Schlick entreprend, dans sa Théorie générale de la connaissance, une refondation méthodique de l’édifice épistémologique, concentrée en un seul volume. L’entreprise, ambitieuse sans tapage, vise à affranchir l’épistémologie de la confusion avec la psychologie, pour lui assurer une assise rigoureuse au service de l’enquête scientifique.


Le livre tout entier peut se lire comme un exercice de clarification, de délimitation conceptuelle, et de réfutation implicite — mais systématique — du psychologisme et de la phénoménologie. Schlick y distingue d’abord, avec une sobriété conceptuelle qui fait sa force, la connaissance en son acception courante de la connaissance en son sens scientifique. À cette fin, il introduit la notion de concept, qu’il oppose nettement à celle d’image mentale ou de représentation, inaugurant ainsi une critique des définitions intuitives qu’il remplace par des définitions implicites — au sens hilbertien : définies par leur rôle dans un système théorique, telles que l’axiome « par deux points passe une seule droite ».

La connaissance, dès lors, n’est plus saisie comme appréhension immédiate, mais comme élaboration progressive d’un réseau de concepts enchâssés dans un ensemble de jugements cohérents, autrement dit : une théorie. Le geste est net, presque ascétique : séparer l’activité conceptuelle, proprement dite cognitive, de la réalité, entendue comme donné brut de la conscience.

C’est sur ce fondement que Schlick récuse toute possibilité de jugement synthétique a priori. Contre Kant, il affirme que la scission stricte entre l’ordre conceptuel et l’expérience interdit que des jugements portant sur des concepts — c’est-à-dire a priori, selon son lexique — puissent légitimement s’étendre au champ de l’expérience, domaine des jugements synthétiques. En effet, déduire une conséquence à partir de la seule structure d’un concept ne saurait produire un énoncé sur le réel : ça ne fait que déplier l’intension conceptuelle dans les limites internes d’une théorie. Ainsi, les énoncés de l’arithmétique ne sauraient, pour Schlick, relever du synthétique a priori, puisqu’ils n’impliquent aucune donation phénoménale, mais demeurent contenus dans l’architecture abstraite d’un système de concepts définis.

Cette position, quoique jamais formulée explicitement en ces termes, tend vers un certain anti-réalisme scientifique : si les jugements de connaissance ne sont, en dernière analyse, que des jugements analytiques, alors ils ne sauraient prétendre dire le réel, mais seulement organiser les conditions de son intelligibilité — et le réel décider de sa valeur, par la vérification. La théorie ne vaut que par la rigueur de ses enchaînements internes et son pouvoir de désignation fonctionnelle. C'est l'annonce du futur empirisme logique.

Le texte vaut aussi beaucoup par sa critique de la phénoménologie, du scepticisme radical, et par l'analyse offerte au sujet de l'unité de la conscience.

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le 24 avr. 2025

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