Titus d'enfer
7.9
Titus d'enfer

livre de Mervyn Peake (1946)

Titus d’Enfer, Mervyn Peake

Mervyn Peake est une comète dont on ne verrait la traînée que depuis peu. Peu reconnu de son vivant, il commence tôt dans l'écriture, puisque à 10 ans il rédige son premier écrit. Plus tard il se tourne vers l'illustration et la peinture. Ces trois activités vont l'occuper et faire vivre sa famille avec plus ou moins de bonheur jusqu'à ce que, atteint de la maladie de Parkinson, ses forces déclinent, l'empêchant d'écrire puis de dessiner. Fatalement la maladie l'emporte en 1968, et c'est après sa mort qu'il est redécouvert, et considéré comme un auteur unique, inclassable et merveilleusement doué.

Gormenghast c'est un château sans commune mesure, un univers à lui seul. C'est le château d'une dynastie ancestrale, celle de la noble lignée des Comtes d'Enfer. C'est enfin le lieu où l'on va suivre le quotidien du représentant en exercice des Enfers, Lord Tombal 76è comte d'Enfer, de sa famille, et de l'armée de domestiques qui arpente le labyrinthique château.
Tout ce petit monde ne semble avoir pour seule raison d'exister que de veiller à bien répéter inlassablement des rites hérités du passé et d'un protocole confinant à l'immobilisme.

Décrite ainsi cette introduction, n'a rien de bien palpitante et pourtant ce sont presque les seuls éléments de fond à retenir : Un Comte, sa famille, leurs domestiques, ce château et quelques rares lieux extérieurs. Ici pas de héros, pas de quête ou de créatures fabuleuses, mais plutôt une ambiance, une atmosphère, un surréalisme confinant au fantastique, et un château-univers, véritable entité.

Le roman commence d’emblée sur la description des activités de quelques acteurs de l'histoire, une galerie de personnages dont les rôles et activités y sont détaillés avec une minutie et une inventivité confondante.
Craclosse le valet de chambre du Comte, Premier des Serviteurs de la maison, grand épouvantail d'une maigreur si prononcée que sa présence se devine toujours par le son des articulations grinçantes qui le précède.
Lenflure le chef des Cuisines de Gormenghast, créature bouffie, masse de chair grotesque, à l'humour douteux, et aux sourires inquiétants...
Grisamer, le Bibliothécaire poussiéreux et inquiet du respect perpétuel de tout protocole inscrit dans les heures de la Maison Gormenghast.
Nanie Glu, l'antique nounou, minuscule et anxieuse de Fuschia, la fille rêveuse, naïve et capricieuse du morose Comte et de la distante Comtesse Gertrude.

Voici un bref aperçu des étranges et atypiques hères aux noms fleuris et évocateurs qui arpentent les couloirs, tours et cours perdues de cette demeure interminable. Tour à tour inquiétants, monstrueux, hallucinés, pathétiques, drôles, mystérieux, intéressés, comploteurs, avides, excentriques, ils ont pour point commun de s'affairer à veiller à ce que les minutes de la journée des habitants se déroulent invariablement de la même façon, une minutie d'horloger dans le détail si poussée, qu'elle en est extraordinaire.

Mais l'ordre immuable va se trouver altéré par quelques personnages.
Finelame, grouillot souffre-douleur de Lenflure, doté d'une intelligence froide et calculatrice, et résolument prêt à l'utiliser sur les habitants du château afin de s'extraire de sa condition.
Et Titus, héritier disgracieux, et futur 77è Comte d'Enfer, petite créature dont la venue au monde dans l'indifférence familiale, va pourtant peu à peu bouleverser les habitudes.
Ou encore Keda, jeune femme de l’extérieur du château qui devient temporairement la nourrice de l’enfant, et dont la vie va changer du tout au tout.

Premier volume d'une Trilogie, Titus d'Enfer est une lecture sans pareille, hypnotique, une expérience infiniment grisante par ce qui s'en dégage, par ce surréalisme prégnant, par ces descriptions magnétiques, par la force et la richesse du verbe de son auteur. Cette poésie merveilleuse et intrigante qui émane de l’œuvre vous décrochera de votre réalité. Un monde à part, disproportionné, fabuleux, Mervyn Peake est un faiseur d’univers.
Cosmoclems
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le 15 mai 2014

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