Plein d’inventivité, le troisième roman d’Antoine Mouton séduit par sa folie furieuse et son humour.


Je lis beaucoup. Et j'écris beaucoup sur mes lectures afin de vous recommander la perle ultime. Parfois, je suis un peu triste : tout se ressemble, les schémas narratifs sont vus et revus, l’histoire sans intérêt… et on en vient à douter de la nouveauté en littérature. Et pourtant, pourtant, des livres comme Toto perpendiculaire au monde d’Antoine Mouton redonnent espoir. Cinématographiquement parlant, c’est comme si vous aviez enchaîné les bons films, mais un peu trop classiques, et que vous tombiez sur un Quentin Dupieux ou un Luis Buñuel. La déflagration.


De votre lecture, vous serez constamment surpris. Antoine Mouton invente un monde fou, qui peut, à sa manière, rappeler nos très chers confinements. Unité de lieu pourrait-on dire, le couloir 133 accueille des couples derrière chacune de ses portes. Le couloir, sans fin, sans caractéristique particulière, se présente comme une ligne. De part et d’autre se trouvent donc des couples auxquels une fonction est attribuée (président, policier, sculpteur…). Dans leur chambre minuscule, chaque couple s’adonne à sa tâche sans trop se poser de question. Le quotidien se retrouve seulement perturbé par des lâchers de ballons (« Les ballons nous donnent des repères dans l’espace, un horizon dans l’aplani. Quand nous les apercevons nous savons où aller, que faire de nos corps, de nos vies. »). Toto, le narrateur, partage une chambre avec sa femme, qui refuse de lui dire son nom.


A cela, ajoutez une histoire parallèle, lue par Toto, celle de deux jumeaux, Otto et Hans, dont l’un ressemble à l’autre (la réciproque est fausse). Ces deux histoires, par une belle pirouette vont se croiser, sans que je vous en divulgâche le pourquoi du comment. Car Toto est perpendiculaire à son monde, au couloir 133 qu’il n’épouse pas. Conseillé par son ami sculpteur enfermé dans sa propre statue, Toto rêve d’ailleurs et de remonter l’infini du couloir.


On l’aura compris, toute la folie de Toto perpendiculaire au monde grise le lecteur. Après, déjà, les trouvailles d’Imitation de la vie, Antoine Mouton renouvelle son théâtre de l’absurde. Prendre conscience du couloir 133, c’est mieux se questionner sur la vie que nous menons et sur les règles de notre société car, par ajout subtile, l’auteur dérègle sa mécanique, notamment par l’arrivée surprise d’un nouveau couple. Et également par un meurtre qui, tel celui d’Abel par Caïn, ébranle profondément la communauté. Ces personnages sous cloche qui rêvent d’ailleurs, dont seule l’arrivée des ballons constitue un divertissement au sens pascalien, c’est nous. Assez ri, assez pleuré.

JulienCoquet
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le 17 août 2022

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Julien Coquet

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