pour ceux qui ont lu le livre, spoilers pour les autres !

C’est un récit à la croisée des genres, mais à l’identité confuse. La matière est riche ; petite enfance, harcèlement scolaire, quotidien d’adultes urbains, Apocalypse baignée d’un message pro environnement, Science versus Magie, sorciers et intelligence artificielle, avec en prime une histoire d’amour. Cette dispersion reste plaisante parce qu’elle rend l’histoire imprévisible, difficile de deviner où on sera quarante pages plus loin. Mais elle affaiblit la cohérence globale. Et, passé l’enthousiasme du début, j’ai le sentiment d’un récit éclaté, d’une déception diffuse.


Les deux premières parties m’ont accroché. Les malheurs de Patricia et Laurence durant leur enfance et leur adolescence, entre l’enfer de leur famille et celui de l’école, donnent à ces chapitres une intensité qui fait défaut à la suite du livre. Quelques scènes glaçantes, comme celle ou Patricia entend son chat miauler de douleur depuis la chambre de sa psychopathe de sœur. D’autres passages, plus légers, sont tout aussi marquants. J’adore la vision de la vie déprimante de la mère de Laurence : « Lorsque que son fils serait assez grand pour faire ce qu’il voudrait, il comprendrait qu’il ne pourrait pas faire ce qu’il voulait ». La partie sur leur adolescence m’a particulièrement marqué, je m’attache à ces gamins qui morflent. Mon petit cœur s’est fendu de voir Patricia subir les mauvais tours d’enculés que lui jouent les autres élèves, comme le message tracé en lettre de sang dans les toilettes visant à la faire passer pour une gothique tarée. Il y a plus de justesse sur le harcèlement dans treize pages de ce livre que dans tout 13 reasons why.


Malgré la force de ces premières parties, des choses clochent rapidement dans l’univers dépeint. Théodolphus surtout, mais j’en parle plus tard. Pour le moment, c’est Coldwater qui me gêne. Le dernier chapitre sur l’adolescence des héros se conclut sur l’internement de Laurence. Ce genre de détour est un piège que l’auteur se tend à lui-même ; quoi dire d’original sur ce camp en quelques pages ? Impossible d’en faire un chapitre sans le limiter à des vignettes faisant écho à nos références. Le camp se résume à son chef hypocrite, et aux pensionnaires enfermant Laurence dans un placard. C’est frustrant de voir cet endroit devenir un lieu commun : au lieu de l’explorer Charlie Jane Anders se contente de fourguer un bloc d’imaginaire familier. Idem plus tard pour le contexte de l’Apocalypse ; la troisième guerre mondiale est expédiée en quelques clichés. Les visées de la Chine sur la Mer de Chine, les Troupes russes à l’Est. c’est la géopolitique pour les nuls.


Autre lieu commun attendu au tournant ; l’école de magie. Patricia rêvait d’y entrer, moi avec elle. A l’arrivée l’académie Eltisley a zéro intérêt, cette école est à peine moins chiante que son bahut précédent. C’est avec le Dédale que le lieu commun est visité de manière personnelle. J’ai un faible pour la magie de type « arnaqueur », la sorcellerie marabout apporte une touche de fantaisie rafraichissante. Cool le Directeur qui change chaque jour de visage, et propose des contreparties folles à ses élèves pour échapper à leurs devoirs. Ça aurait été sympa de virer l’Académie scolaire et de se concentrer sur le quotidien dans l’asile de fou, qui reste esquissé à gros traits (kékisepasse dans le trou sans toilette ?). Charlie Jane Anders recourt trop à l’évocation, on reste à la surface du merveilleux, comme pour ne pas le déflorer.


Lieux communs et trouvailles sont survolés, mais la seule chose dont je n’ai rien à foutre, la cartographie de San Francisco, est, elle, sur-documentée. Je me tape de savoir dans quel bar servant des cacahouètes bios les hipsters ont leur habitudes. Vivant dans cette ville, Charlie Jane Anders stationne dans sa zone de confort. Elle développe moins ce qu’elle imagine que ce qu’elle connait, la vie d’un young adult urbain. Au moins les dilemmes des héros me parlent, par exemple la relation complexée de Laurence avec sa petite amie. Mais chaque enjeu est mieux incarné chez un personnage que chez l’autre : la relation de Laurence avec Serafina possède une justesse absente de la relation entre Patricia et Kévin, dont je ne comprends pas la conclusion : il se barre régulièrement en pleine nuit mais c’est elle qui l’évite ? Bref, Charlie Jane Anders insiste tellement sur les habitudes citadines de ses héros que ça donne un univers très réaliste, presque naturaliste. La magie s’intègre d’autant moins qu’elle n’est pas hyper cohérente : la coexistence des deux systèmes de magie est un peu fumeuse dans les faits. En tout cas j’y adhère bof, pas plus qu’à cette histoire de Suffisance.


De manière générale les touches de merveilleux s’intègrent mal. Laurence invente une montre pour avancer de deux secondes dans le temps, qwaqwa ? Charlie Jane Anders traite la science comme du merveilleux, auquel on est censé adhérer sans discuter. Mais une invention scientifique doit être crédible, sauf si l’auteur plante un monde dans lequel n’importe qui peut inventer n’importe quoi en claquant des doigts. Le pompon c’est la machine à trous de vers qui va faire un trou noir dans la planète, c’est de la vulgarisation velue à la Stargate SG1. Dans la veine WTF, l’Ordre des assassins, et Théodolphus. Ce perso me sort par les yeux, les passages de son point de vue sont hors sujet. L’auteur lie souvent merveilleux et absurde, cf le funny Parlement des oiseaux. Mais son gout pour l’incongru dénote. Elle saupoudre sur un quotidien qu’elle connait bien, et qui sonne (trop) vrai, des pincées de merveilleux saugrenu. Ça ne prend pas dans mon cas : le fantastique parait extravagant. Le pays des merveilles fonctionne pare qu’il est cohérent en lui-même, il possède des lois propres, opposées à celles du monde normal. Ici l’écart est trop grand entre un monde réaliste et Théodolphus qui débarque comme un OVNI.


J’ai l’impression que ces difficultés témoignent d’une lutte, celle pour Charlie Jane Anders de mener à bien un roman. A priori choisir le genre de l’urban fantasy lui permet d’exploiter à la fois son vécu et sa passion pour la littérature de l’imaginaire. C'est un gros challenge d'aborder un genre hybride sans tomber dans la confusion. Elle cède à la facilité en se contentant de survoler certains décors, en se reposant sur ceux qu’elle maîtrise déjà. Le merveilleux sonne souvent faux, la qualité de son univers en pâtit.


Il y a comme la trace d’une peur, celle de ne pas avoir assez d’imagination pour creuser à fond son univers, ses thèmes et ses intrigues. Sauter d’un sujet à l’autre devient une fuite en avant pour se rassurer : la NASA, Coldwater, la sœur psychopathe, le lycée horrible, San Francisco, l’Apocalypse, leur boulots, les sorciers… Rien que l’adolescence des deux héros pourrait nourrir une histoire indépendante. Charlie Jane Anders brasse plein de décors et de sujets, c’est peut-être une manière de contourner la principale difficulté du roman ; donner une unité à un récit long. Quant aux pistes développées jusqu’au bout, celles qui assurent une cohérence globale comme l’Arbre, la romance, ou la trajectoire des personnages secondaires, elles finissent souvent en eau de boudin. Charlie Jane Anders subit le revers d’un récit foisonnant ; bien des intrigues ne tiennent pas la distance, et s’écroulent d’elles-mêmes. On perd des persos en cours de route, certaines conclusions ne sont pas à la hauteur des promesses initiales… autant de signes d’une structure fragile.


Les personnages qui gravitent autour de Patricia sortent par la petite porte. J’ai déjà blablaté sur Kévin. Les parents de Patricia sont un autre exemple : après leur mort elle se rend compte qu’elle avait encore des choses à régler avec eux… puis passe à autre chose, le sujet est évacué. C’est encore plus frappant avec le personnage de sa sœur, un des rares à dégager une personnalité puissante. Une fois adulte elle tombe dans la drogue, et après ? Le début m’avait quand même promis une psychopathe XXL. J’ai l’impression de ne plus avoir affaire au même personnage, ou est passé sa malveillance ?? Elle tourne bien moins mal que ce à quoi je m’attendait, c’est un pétard mouillé. Pas très cohérent par ailleurs ; Patricia la philanthrope laisse sa sœur dépérir dans son coin. Le souvenir des hémorroïdes qu’elle s’est tapé après avoir bouffé le chili doit la retenir de l’aider à fond.


Autre teasing mal foutu ; Toby et l’école de magie. On titille mon attente : la seconde partie s’achève sur le départ de Patricia vers ce lieu attendu… et boum, ellipse. RDV quelques chapitres plus loin, avec un flashback sur « ce qui s’est passé avec Toby ». Le souvenir pseudo traumatique ne casse pas des briques. C’est censé la hanter mais j’y crois pas trop : on se rend compte que Toby elle en avait pas grand-chose à battre. Encore un pétard mouillé. Par contre le « Dénouement » prévu par les sorciers, mystère planté tôt dans le récit, ne m’a pas déçu une fois dévoilé. Faire vivre à Patricia le sort qu’ils préparent donne lieu à une séquence puissante, qui incarne la folie qui germe dans cette « solution ». Même originalité dans la manière de traiter le sujet « sauver le monde » : ici personne ne s’accorde sur le « comment ». Chacun prépare son plan de secours avec les meilleures intentions, au risque de tout bousiller pour de bon avec des méthodes délirantes. L’objectif devient de sauver le monde de ceux qui veulent le sauver, entre Milton prêt à sacrifier la Nature pour préserver l’humanité, et les sorciers prêts au sacrifice inverse.


Contrer la folie par l’amour, c’est la finalité de la relation entre Patricia et Laurence. Mais leur romance ne m’a pas touché plus que ça. Le coup du message téléphonique non écouté, utilisé pour sauver leur couple in extremis, fait penser à un ressort de romcom, mais je n’ai ressenti ni l’attente de la réconciliation, ni le plaisir de les voir réunis. Finalement les premières parties de l’histoire m’auront davantage marqué, j’ai eu quelques pincements au cœur au début, quand à la cantine Laurence évite pour la première fois Patricia, elle comprend pas, lui fait des signes pour qu’il la rejoigne, il l’ignore, et elle capte que son seul ami la rejette. Leur relation ne me touche plus trop par la suite. Je devine trop tôt vers quelle type de fin on me dirige : tout est téléphoné après cette putain de 4e de couverture. Le monde sera sauvé par une « troisième voie », l’alliance du meilleur de la science et de la magie, symbolisée par la relation entre Laurence et Patricia. Petite surprise réjouissante malgré tout, quand l’arbre grogne de plaisir après qu’on lui ait mis une tablette dans le cul, pour métaphoriser l’union de la Science et de la Magie au service de la Nature.


Pour moi les histoires de ce genre se mesurent à Myasaki. On te balance une fois de plus un message écologiste plombant. Tout est littéral, de l’Arbre de Patricia à la volonté de Milton de Détruire la Planète. Sans être authentique pour autant ; je ne sens pas une auteur prise d’un profond respect pour la Nature, plutôt une bobo qui va dans le sens du vent. En creux elle parle de l’intranquillité de sa génération, qui n’a connu ni guerre ni cataclysme, et qui joue à se faire peur. C’est l’angoisse des privilégiés branchés sur CNN, pépère sur leur canapé, qui s’alarment des désastres en Asie en se demandant à qui le tour. Une fois encore on me serrine la nécessaire-prise-de-conscience-de-notre-responsabilité. Lorsque l’Apocalypse arrivera, il sera « trop tard ! », comme le martèlent tous les oiseaux du ciel.

ventura
7
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le 20 mai 2018

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ventura

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