"_ Et Vendredi 13, épisode 5 ?
_ Heu...
C'est un couple, visiblement endommagé, à la recherche d'un je-ne-sais-quoi qui pourrait sauver leur soirée, à défaut de leur amour. Le mâle interroge la femelle du menton, elle fait la moue.
_ OK, enchaîne Nikki, vous avez un problème avec les ados morts. Que pensez-vous de Scanners 2 ? The New Age ? Oui ?
Elle leur vend sa soupe : il y a plusieurs suites à Scanners, le film de David Cronenberg sur les agents aux pouvoirs psy, capables de tuer avec des fréquences inconnues -- deux suites officielles, puis un Scannercop et un Scannercop 2. Mais c'est vraiment The New Age qui tire son épingle du jeu, en proposant une virée exponentielle dans la conspiration. Un mystère épais, paranoïaque, aux ramifications sans fin. Une plongée dans le glauque des salles polyvalentes, du mal en costume-cravate, du pouvoir tout-puissant des grilles de calcul, d'un capitalisme sans tête, sans âme, partout à la fois, qui sait tout, voit tout, entend tout, et des soldats de l'ombre qui luttent contre cet enfer conceptuel où l'humanité est aujourd'hui enfermée, célébrant la toute-puissance de la commodité sans se poser la question du pourquoi. C'est un scanner qu'il faudrait, une armée de scanners pour lire l'intimité de ces pensées infertiles, de ces mensonges. Une clarté, une vigilance ouverte. Une transparence.
_ Oui, mais, est-ce qu'il y a une histoire d'amour ? demande le mâle, intrigué.
_ Ah, mais bien sûr monsieur. Il faut beaucoup d'amour pour faire exploser une tête."
(p.49)


Dans une utopie uchronique (quid des DVD ou Blu-ray par exemple, les supports vidéos restent ici la VHS et la Betamax alors que nous avons dépassé les années 2010 apparemment ! --mention d'un certain Donald Trump) où l'île de Montréal se révèle l'un des derniers bastions encore libres de cet avenir (a venir ?) parallèle, David Calvo tisse un roman cyberpunk sans l'être (le net s'est effondré, il a été remplacé par l'alternative de La Grille où tous les termes informatiques d'un passé encore chaud sont remplacés par des dénominations mythologiques).


L'écrivain y superpose enquête policière riche (on part de petits cadavres mutilés d'animaux pour déboucher sur du plus vaste), quête initiatique et références cinéphiliques d'autant plus exactes qu'elles transpirent une authentique tendresse du fantastique et de l'horreur, de la série B comme des productions plus fauchées mais non sans idées.


Et ça marche puisqu'on se retrouve littéralement transporté de bout en bout.
Le dépaysement de l'accent québécois mêlé souvent à des termes techniques, la description de cette Commune qui fait singulièrement écho à celle de 1871 à Paris, les nombreuses pistes scientifiques (voires mystiques) qui fonctionnent par couches sans jamais altérer la portée du roman, laissant le lecteur choisir suivant son humeur (même la fin reste d'ailleurs volontairement ambigüe pour ça puisque parvenu ici vous pourrez justement l'interprêter soit de manière optimiste ou pessimiste suivant justement l'angle dans lequel vous avez pris votre lecture), un certain sens de l'action et du rythme, un mystère soigneusement entretenu (non pas un, plusieurs même vu la richesse de ce gros livre), de l'humour, de l'onirisme (tous les rêves de Nikki) et un certain bestiaire allant du raton-laveur au ouaouaron (sorte de grosse grenouille : http://p1.storage.canalblog.com/13/52/148617/118171164_o.jpg) font le reste.


Le titre Toxoplasma en lui-même est une nouvelle piste narrative soutenant l'un des mystères du livre que Calvo n'explicite qu'à moitié, évoquant la Toxoplasmose causée par le parasite Toxoplasma Gondii (véridique). Cette dernière, propagée le plus souvent par les chats (hôte final) peut toucher les humains tout en restant bénin. Les cas les plus dangereux restent toutefois pour les femmes enceintes, les personnes séropositives ainsi que celle dont le système immunitaire s'avère affaibli.


Dans le roman, la toxoplasmose participe d'un système de transmission dont les chats seraient le vecteur. Mais, curieusement on ne croise pas tant que ça de chats dans cette commune qui verse lentement en fin du monde.
Ou plutôt fin d'un monde.
Ou sa renaissance en bout de course ?


Allez savoir ! Au lecteur justement de se faire une idée. Très vivement recommandé, surtout si vous êtes cinéphile et mordu de SF et d'horreur : là vous allez y reconnaître vos petits (surtout que tous les films cités dans le livre existent --et j'en ai vus une bonne poignée, j'avoue).
Un livre riche, foisonnant, mystique, barré, chaotique.... Punk ?


Elle lui explique. C'est dans cette unité d'habitation que fut tourné Shivers, AKA Frissons, un film de David Cronenberg sorti en 1975, un an après la sortie de High-Rise de Ballard, qui traite un peu du même sujet – probable que Cronenberg s'en soit inspiré, malgré ses dénégations. Les deux œuvres partent du même principe : la dégénérescence d'un phalanstère. Un monde fermé, organisé en strates dans un même immeuble, où les plus riches –habitant plus haut-- prennent plus de libertés que les plus pauvres – habitant les premiers étages. Un monde de fausse copropriété, divisée en locataires et proprios. Dans le bouquin de Ballard, la société de l'immeuble dégénère en société barbare par la simple dynamique de la lutte des classes. Dans le film de Cronenberg, une contamination par parasite est le déclencheur d'une crise. Cette espèce de limace développe l'agressivité et la sexualité des habitants, transformant le rêve bourgeois en cauchemar hippie, un monde d'orgie, de soumission et de barbarie. Nikki avait vu le film plusieurs fois, à chaque fois fascinée par la réalisation millimétrée, la sauvagerie assumée et le climat de fin du monde propre à un certain cinéma de l'époque (...)

Nio_Lynes
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le 20 nov. 2017

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Nio_Lynes

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