"Plein de livres chaque année sont écrits là-dessus par des survivantes et des survivants."
Neige Sinno parle ainsi d'une des raisons qu'elle avait de "ne pas vouloir écrire ce livre". Elle en énonce d'autres parmi lesquelles le doute de pouvoir apporter quoi que ce soit aux victimes et à quiconque d'autre et la conviction que l'écriture ne peut pas être une thérapie.
L'expression de ces réserves qui tranchent avec le discours qui accompagne communément ce type d'écrit illustre la singularité de "Triste tigre", un témoignage d'une incroyable richesse sur les causes et les conséquences de ce que Neige Sinno, enfant puis adolescente, a subi de son beau-père pendant près de sept ans.
La simple consultation des titres des sous-chapitres, rappelés à la fin du livre, donne une idée de la variété des angles de point de vue qui viennent étayer la finesse des réflexions de Neige Sinno. laquelle les enrichit en s'appuyant sur des écrits de, entre autres, Vladimir Nabokov, Virginia Woolf, Toni Morrison ou Emmanuel Carrère.
La crudité absolue de certaines descriptions n'est pas gratuite, elle est au service du témoignage et aurait sans doute eu un effet sur l'attitude de la vieille dame qui salue volontiers le coupable des viols à sa sortie de prison, en se justifiant ainsi : "Mais à nous, il ne nous a rien fait."
Une lecture éprouvante qui n'en ouvre pas moins de nombreuses pistes de réflexion.