1852, Indes britanniques. Le sergent Arthur Bowman est choisi pour accomplir une mission secrète pendant la deuxième guerre anglo-birmane. Ce ne sont pas douze salopards qu’il doit sélectionner pour l’accompagner, mais dix. Dix soldats n’ayant pas peur de mourir et ne posant aucune question. Ayant rejoint une troupe d’une trentaine d’hommes, ils remontent l’Irrawaddy, après avoir incendié un village entier et sa population, femmes et enfants y compris. Mais la jonque dans laquelle ils ont embarqué fait naufrage et, suite à un bref et sanglant combat, les survivants sont faits prisonniers. Durant leur captivité, ils accomplissent un voyage au cœur de leurs propres ténèbres. Un périple qui les transforme pour toujours.
1858, Londres. Au terme de la Grande Puanteur, on découvre un cadavre atrocement mutilé dans les égouts de la capitale. Devenu policier, Arthur Bowman croit reconnaître dans les sévices subis par la victime les signes de son propre calvaire en Orient. Torturé par ses geôliers, il porte en effet dans sa chair les stigmates de sa détention. Mais des séquelles plus graves hantent son esprit, l’obligeant à s’abrutir avec de l’alcool, du laudanum et de l’opium. En fouillant dans sa mémoire, il se souvient que dix hommes ont survécu avec lui. Le coupable figure forcément dans la liste. À Bowman de le retrouver pour mettre un terme à ses agissements, et qui sait, peut-être faire la paix avec son passé.


« La nouvelle que vous apportez, monsieur Bowman, c’est qu’il n’y aura pas de nouveau monde. Parce qu’ici la liberté de devenir soi-même s’offre aussi à des monstres comme votre ami. Et face à eux nous ne sommes pas suffisamment armés. C’est le combat d’hommes comme vous, et tant que vous existerez nous resterons des utopies. Vous êtes une objection à notre projet. »

À bien des égards, Trois mille chevaux vapeur s’apparente à un véritable coup de cœur. Le genre vous faisant mettre entre parenthèses toute autre activité. Le genre addictif, impérieux, vous condamnant à la réclusion et à la mort de toute vie sociale, le temps d’en achever la lecture. Bref, cela faisait un bon bout de temps que je n’avais pas apprécié autant un bouquin d’aventures.


Fresque historique échelonnée sur douze années, Trois mille chevaux vapeur nous fait traverser trois continents. On évolue ainsi des berges tropicales de l’Irrawaddy, aux grands espaces de l’Ouest américain, en passant par les rues populeuses de Londres au moment de la Grande Puanteur, épisode dont Antonin Varenne restitue de manière saisissante les effluves pestilentielles. On est également saisi par le regard désabusé que l’auteur porte sur l’homme et sur l’écriture de l’Histoire, un récit écrit par les vainqueurs est-il encore utile de le préciser ?
Au carrefour du thriller et du western, le récit s’attache aux pas d’Arthur Bowman, un dur-à-cuire, une brute sans état d’âme qui s’est engagée dans l’armée pour échapper à la misère de son quartier natal. En cela, il ne se distingue guère de ses congénères. Pour le compte de la Compagnie des Indes orientales, il a commis de nombreuses atrocités, obéissant sans rechigner aux ordres de supérieurs ne valant guère mieux que la racaille à leur service.
Bowman témoigne du basculement d’un monde vers un autre, sans doute plus moderne et policé, mais pas moins cruel et injuste. Antonin Varenne explore ainsi les angles morts du progrès, dévoilant ses facettes les moins vertueuses. Destruction de l’environnement, perpétuation de la misère et des inégalités, détournement des idéaux au profit des mêmes prédateurs, exploitation de l’homme par l’homme… On sent le regard désabusé de l’auteur venu du polar pour qui il n’y a pas de Bien ou de Mal, juste des gens qui disent non et boivent un coup, parce que c’est dur.
Au-delà de la série de crimes fournissant son fil directeur à la course-poursuite de Bowman, Trois mille chevaux vapeur se révèle aussi une quête personnelle, celle d’un homme cherchant à faire la paix avec ses démons intimes. Un anti-héros dépassant sa condition initiale d’archétype pour revêtir dans la douleur une personnalité beaucoup plus complexe.


Habité par un souffle romanesque indéniable et l’envie de faire vivre ses personnage, Trois mille chevaux vapeur se lit avec un réel plaisir, réussissant de surcroît à faire réfléchir sur la condition humaine et l’Histoire. Une belle réussite !


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leleul
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le 8 mai 2016

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