Un crime
6.9
Un crime

livre de Georges Bernanos (1934)

Petite aide à la compréhension pour qui veut apprécier

A deux reprises j’ai dû avoir recours au net pour comprendre une œuvre. Avec la même frustration les deux fois d’être passé à côté d’une révélation surprenante et cruciale à mon appréciation totale de l’œuvre.
Mulholland Drive était la première. Un crime la deuxième.


Il y a des livres que l’on comprend à moitié mais c’est surtout qu’ils ne nous plaisent pas assez pour qu’on se concentre sur tous les détails nécessaires à leur révélation.
Un crime fascine au contraire. Le style Bernanos ainsi que cette façon qu’il a de jouer avec nous incitent à relever le défi proposé, à percer à jour ce manipulateur dans son histoire de manipulation. Impossible de ranger ce livre dans ma bibliothèque sans avoir compris le fin mot de l’histoire.


Les indices laissés par l’auteur sont si minces. Mais en apparence, seulement. Une relecture le démontrera, à condition seulement d’avoir compris les grandes lignes de l’intrigue.
Un crime n’étant ni un succès pour les fans de l’auteur (le polar était un sous-genre de gare) ni pour les amateurs de polar (ils ont probablement bien fait de passer à côté tant ce livre néglige les codes du genre), il n’existe que très peu de site donnant une explication satisfaisante. Je crois même qu’il n’en existe qu’un, une étude croisée de deux œuvres de Bernanos (Un crime et L’Imposture) que vous pouvez consulter ici : https://books.openedition.org/pur/12157?lang=fr#notes
Anne-Marie Baranowski, même si son étude comporte une erreur (l’endroit où la photo est trouvée) et une avis sujet à interprétation (le destin du clergeon) a deux mérites : celui d’avoir compris Un crime et celui, aussi, d’avoir publié cette étude (essai ?) qui m’a été d’une grande assistance pour livrer ce résumé qui devrait aider les lecteurs perdus comme je l’ai été.


Les raisons du meurtre :


Evangéline est l’amante de Madeleine, seule héritière de madame Beauchamp, veuve fortunée vivant dans une grande demeure à Mégère. La rencontre des deux femmes ne doit rien au hasard, Evangéline l’a forcée, sur les conseils de sa mère, ancienne nonne défroquée, qui n’est autre que la gouvernante de madame Beauchamp.
Après plusieurs années de vie commune, où chacune garde jalousement sa compagne à l’abri du regard ou de la convoitise des autres, Madeleine, contre toute attente, délaisse Evangéline pour un homme. C’est tout l’ascendant d’Evangéline sur Madeleine qui est remis en question. Evangéline en souffre d’autant plus.
Pourtant, par amour de Madeleine , Evangéline décide de tuer madame Beauchamp pour hâter la succession (j'ai toujours du mal à comprendre les motivations d'Evangéline à aider celle qui l'a ainsi trahie)


Le meurtre :


Evangéline rencontre le nouveau prêtre de Mégère sur la route menant au village (elle avait certainement suscité cette rencontre).
Elle se rend à Mégère au même moment que le prêtre (mais pas avec lui), en tout cas à quelques heures près, croise Mathurin par hasard (il en témoignera), avant de s’éclipser à l'intérieur de la demeure de madame Beauchamp. Là, elle tue la veuve fortunée, sort de la demeure et croise (à dessein ?) le nouveau prêtre de Mégère dans le parc. Elle l'abat d'un coup de pistolet à bout portant. Puis elle lui enfonce de la terre dans la bouche pour accélérer son décès tout en l'empêchant de parler dans ses ultimes instants, lui subtilise ses habits (il se retrouve en chemise) avant de les enfiler. Enfin, elle se rend au presbytère où Céleste l'accueille. C'est à compter de ce moment-là qu'Evangéline endosse le rôle de prêtre de Mégère, échappant de cette manière aux recherches que les meurtres et son intervention (c'est elle qui alerte le village suite à deux cris qu'elle aurait entendus) vont déclencher.
Parce qu’elle est une manipulatrice hors pair qui sait trouver les mots justes et aussi en raison de son ambigüité physique d’homme qu’elle joue, aux manières discrètes de femme qu’elle est, le nouveau prêtre de Mégère suscite sympathie et considération autour d’elle (seul le médecin reste réticent à accorder au nouveau prêtre sa pleine confiance). Exploitant cette position, elle parvient à se faire accorder par le juge une liberté de surveillance de trois jours qu'elle met à profit pour fuir, en compagnie du jeune clergeon, lui aussi subjugué par ce prêtre hors du commun.


Le juge :


Il trouve une photo de Madeleine dans les affaires laissées par le prêtre, dans son ancienne chambre du presbytère (et non chez la gouvernante comme l’indique par erreur Anne-Marie Baranowski). Quand il rencontre Madeleine, il fait le lien avec la photo. Son accès de fièvre agite ses rêves dans lesquels il pense pouvoir trouver un dénouement à son enquête. Il effleure la résolution du meurtre sans y parvenir totalement (certains lecteurs plus avisés que moi verront peut-être quelques indices à côté desquels je suis passé).


La fin :


Le clergeon comprend que le prêtre est un menteur mais ne peut se résoudre à la quitter (à priori, il ne sait pas qu’il s’agit d’une femme déguisée en prêtre avant qu'elle ne se décide à le lui révéler).
Dans un café, Evangéline, qui a quitté ses habits de prêtre, écrit une lettre à Madeleine dans laquelle, après avoir longuement et perfidement évoqué leur relation, elle explique envoyer à ses côtés le clergeon afin que celui-ci, par sa ressemblance avec elle, lui rappelle son ancienne amante.
Alors qu’elle prépare son suicide, elle apprend dans le journal que le clergeon a été retrouvé noyé dans la Bidassoa. Il s’agirait d’un suicide, même si la dernière fois que Bernanos évoque le clergeon, il est au bord de la Bidassoa en compagnie du prêtre, prêt à lui révéler toute la vérité; on pourrait donc penser que ce dernier l'a tué. Mais le projet d’envoyer le clergeon aux côtés de madeleine évoqué dans la lettre accrédite plutôt l'hypothèse du suicide.
Elle s'allonge sur les rails en attendant le passage du train.

bast2002
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le 27 janv. 2020

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