Je suis un peu effondré à la lecture de ce bouquin. J’adore Jérôme Leroy, romancier et écrivain de grand talent, un vrai styliste qui élève la littérature « de genre » (l’anticipation / fantasy dans Vivonne, le thriller / roman noir dans Les derniers jours des fauves – pour ne citer qu’eux), et on retrouve bien dans ce recueil de fragments, de chroniques, de notes, son écriture affûtée et alerte. Malheureusement, cette écriture n’est pas mise ici au service d’une intrigue et de personnages, mais de l’auteur lui-même qui raconte des souvenirs, délivre des observations sur l’époque, pense la marche du monde.
En soi, ce n’est pas un problème. Les romanciers ont parfaitement le droit de passer à la non-fiction et d’écrire ce qu’ils veulent. Et c’est là, pour Jérôme Leroy et Un effondrement parfait, que le bât blesse et les bras m’en tombent. Oui, c’était mieux avant, oui, les jeunes filles (majeures, tout de même) c’est merveilleux et émouvant, ça rappelle sa propre jeunesse et le temps qui passe, les premiers émois et les slows maladroits, oh là là il ne faut pas vieillir. Ok, boomer. La vieillesse est donc le naufrage que le proverbe promet… Dans le genre boomer-crooner-dépassé, on n’est heureusement pas au niveau de Beigbeder (et Leroy est un bien meilleur écrivain), mais c’est très fatigant de devoir encore lire ce genre de choses en 2025. Et Leroy, qui fait partie de ceux qu’on a appelés « néo-hussards » dans les années 1990, ces stylistes héritiers des hussards-tout-court, écrivains dits de droite, en tous cas désengagés dans l’après-guerre sous hégémonie sartrienne et en plein sinistrisme du champ littéraire, jouera la carte de l’anticonformisme, du « politiquement incorrect » comme on disait encore il y a quelques années. Certes, anticonformiste, il l’est, et c’est tout à son honneur : communiste revendiqué et encarté, mais écrivain « de droite », écrivain légitime explorant et hybridant les genres littéraires, ou écrivain de genre écrivant comme un écrivain légitime… Mais ne pourrait-on pas être anticonformiste sans décrire physiquement des (jeunes) femmes sans autre but même pas littéraire que décrire physiquement des (jeunes) femmes, toutes les deux pages ?
Il y a quand même deux fragments qui m’ont bien plus, « Petites proustiennes avec orthodontie » (p. 72) et « Quel poème as-tu lu ce matin ? » (p. 73-75) dans lequel il raconte une rencontre en manif avec une lectrice lui posant cette belle question. Bon.
Je ne sais pas s’il faut séparer l’œuvre de l’artiste mais à titre personnel et concernant Jérôme Leroy, je séparerai désormais l’auteur boomer et vaguement libidineux du grand romancier et écrivain.