“Tout persécute nos idées, à commencer par notre cerveau.”

Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau, est sûrement un des livres de la rentrée littéraire de ce début 2023 les plus déroutants que j’ai pu lire.

Un couple, Emma et Paul, vont dans une espèce de fête foraine avec leur fille Nina. Elle est un peu miteuse, mais la petite s’amuse. Mais voilà, la fille disparaît au cours de la fête. On pourrait croire qu’on va nous raconter l’histoire d’un deuil parental, mais il n’en est rien : Nina est retrouvée complètement saine et sauve, elle s’est perdue mais a réussi à trouver un abri pour la nuit.

Alors, de quoi est-il question, puisque tout va bien dans le monde ?

Eh bien c’est dans la tête d’Emma que ça ne va pas : elle croit, puis finit par être persuadée que la fille qu’elle a devant elle n’est pas sa fille Nina, mais une sosie, une imposteure qu’on lui a ramenée pour des raisons qu’elle va tenter de découvrir. Après tout, pourquoi pas, même si c’est très probable, ça pourrait arriver, avec une chance infinitésimale…


C’est donc un roman qui, dans un premier temps, s’apparente presque à une sorte de thriller que Stéphanie Kalfon nous offre, mais une sorte de thriller psychologique (littéralement, on le comprendra par la suite) interne, dans lequel la source du problème, le coupable et la solution seraient incarnés par un même personnage, Emma. On finit réellement par se demander, même si cela ne se fonde sur rien, si Nina est vraiment Nina

Mais ce ton-là, cette piste du thriller, est assez rapidement mise de côté, peut-être un peu rapidement, et c’est là mon seul reproche : cela créait une réelle intensité dramatique, un vrai malaise pour le lecteur.

Petit reproche cependant, puisqu’il va s’agir en réalité ici de parler d’un trouble psychologique et non de dresser une intrigue de thriller : Emma souffre en effet du syndrome de Capgras, un véritable syndrome, causé par des troubles neurologiques, des traumatismes (ou les deux) la certitude chez ceux qui en souffrent que leurs proches ont été remplacés par des sosies, des imposteurs, et que ceux-ci cherchent à leur nuire. Dans le cas d’Emma, en plus de souffrir de troubles neurologiques, elle a subi de graves traumatismes dans l’enfance : elle a vu sa sœur se noyer sous ses yeux, et sa mère, ne pouvant faire le deuil de sa fille, a forcé Emma a jouer le rôle de sa fille décédée.

Cette certitude en tête, l’attitude d’Emma frôle dangereusement, puis tombe complètement dans la maltraitance, l’abus psychologique envers sa fille Nina, malgré elle, ce qui est d’autant plus perturbant à lire puisqu’ici, c’est par le prisme de l’abuseur que nous lisons ces actes de maltraitance.

Mais c’est l’angle que va prendre le roman concernant la relation mère-fille vers la fin du roman qui a achevé, pour ma part, de me faire adorer ce roman, au moment où Emma est diagnostiquée et que Nina comprend ce dont souffre sa mère et pourquoi elle l’a fait souffrir : Nina décide purement et simplement de jouer le jeu de la maladie de sa mère. Autrement dit, elle accepte de n’être pour sa mère qu’une imposteure, et tente de retrouver avec sa mère la vraie Nina, donc elle-même, mais qui n’existe plus vraiment. C’était absolument bluffant à lire, et d’autant plus ambigu que c’est finalement à ce moment, où Nina joue le jeu de la maladie de sa mère , et donc de cette imposture, quand les deux acceptent d’être des étrangères l’une pour l’autre, que leur relation mère-fille est la plus épanouie.

Toute cette intrigue est servie par le style parfaitement maîtrisé de Stéphanie Kalfon, qui développe une vraie esthétique surréaliste, une syntaxe éclatée, retournée, qui rend parfaitement compte des troubles neurologiques qui assaillent Emma : on ne quitte jamais sa perception des choses, même dans les moments les plus ambigus, mais l’auteure se garde bien de juger son personnage, ce qui est tout à la fois déroutant et grandement appréciable, puisque le roman parle avant tout d’une maladie psychologique rare.

Une lecture difficile par ses thèmes mais que je recommande chaudement.

Seilen
8
Écrit par

Créée

le 10 févr. 2023

Critique lue 10 fois

2 j'aime

Seilen

Écrit par

Critique lue 10 fois

2

D'autres avis sur Un jour, ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau