Un monde immense
8.9
Un monde immense

livre de Ed Yong (2022)

Dis ! La Mante, t’as de beaux yeux, tu sais...

Sciences et Avenir de Janvier 2024 nous a proposé, entre autres, dans sa sélection de lectures, cet ouvrage de Ed Yong "Un monde immense - Comment les animaux perçoivent le monde" : « Ils « goûtent » à travers leurs pattes ou leur peau, « sentent » par la langue, distinguent les couleurs dans le noir, perçoivent leur milieu en captant les champs électriques, s’orientent grâce au magnétisme terrestre… » Waouh ! De quoi ouvrir de grands yeux et s’en mettre plein la tête…

L’auteur, Edmund Soon-Weng Yong, Ed Yong pour faire court, est né en 1981 en Malaisie. Britannique de nationalité, il s’est formé à l’University College de Londres et de Cambridge. C’est un journaliste, vulgarisateur scientifique et scientifique qui écrit pour divers journaux (The Atlantic, The Guardian, The New York Times, The Times, New Scientist, The New Yorker, National Geographic, etc…). En 2021, il reçoit un prix Pulitzer pour un reportage sur son travail autour de la pandémie de Covid-19.

En attendant le clin d’œil de la "Mante" – l’une des grandes vedettes du bouquin –, si vous le voulez bien, laissons-nous guider par ce brave Edmund, Ed pour les intimes, dans le monde sensoriel et fantastique du règne animal (n’oublions pas que nous en faisons partie). Alors, pour cela, ou vous vous procurez le livre – ce que je vous recommande car il est d’une richesse "colossale" – ou vous lisez les quelques extraits (plus de 5000 mots) que je vous ai sélectionnés ci-dessous (Je n’ai conservé que ce qui m’a paru le plus maquant – ou le plus curieux).

L’Umwelt, ça vous dit quelque chose ? Au pluriel, ça donne "les Umwelten"… C’est "l’environnement sensoriel propre à une espèce ou à un individu" ! Ça n’a l’air de rien, comme ça, mais c’est bien plus profond que ça n’y parait. Parce que humains nous sommes, humain nous pensons que notre environnement est le même pour tous les êtres vivants. Eh bien non, il a raison, Ed, quand il dit « Les limites de l’Umwelt humain nous rendent les autres Umwelten opaques. » Bon, pas très clair tout ça ! Moi aussi, je me suis gratté la tête un bon moment, jusqu’au moment où… Ed a raconté l’histoire de Mike Ryan et de ses punaises sautillantes ! Non, non, pas les punaises de lit ! La mode n’avait pas encore été lancée, c’était en 1998. Ça vaut le coup d’y consacrer quelques minutes. Enfin, moi, ça m’a permis de comprendre un peu ce qu’était l’Umwelt.

Donc voilà Mike qui se balade dans la forêt pluviale du Panama en compagnie de Rex (ce n’est pas son chien, mais un de ses anciens étudiants) qui veut lui montrer ses nouvelles copines, des petites punaises sautillantes de la famille des membracides. De petits insectes suceurs de sève, lesquels communiquent en envoyant des vibrations à travers les plantes sur lesquelles ils sont posés.

Arrivés devant le bon arbuste, Rex a rapidement trouvé ce qu’il cherchait, sous une feuille : Maman-punaise et ses petits. Rex a alors fixé un simple microphone sur la plante et donné des écouteurs à Mike puis il a fait vibrer la feuille semant la panique dans la nurserie : « "Je pensais que j’allais entendre une sorte de grouillement, se souvient Ryan. Or ce que j’ai entendu ressemblait à des meuglements de vache." Le son était profond, ample, et ressemblait à tout sauf à un bruit d’insecte. Une fois les petits calmés et revenus auprès de leur mère, la cacophonie des meuglements vibratoires s’est transformée en un chœur synchrone. » Après avoir enlevé ses écouteurs, Mike a entendu autour de lui des oiseaux chanter, des singes hurleurs crier et des insectes striduler. Mais pas un son provenant des membracides. Puis il a remis ses écouteurs et « J’ai été transporté dans un monde totalement différent », une fois encore, les bruits de la jungle ont quitté son Umwelt et le meuglement des membracides est revenu. « Quelle expérience inoubliable […] Un vrai voyage sensoriel. » Des univers parallèles qui coexistent en s’ignorant totalement. Pas encore très clair ? On va y revenir !

Ainsi on va voir que si les humains vivent dans un monde dominé par la vision ce n’est pas le cas des chiens, par exemple, vous l’avez deviné… eux, vivent dans un univers d’odeurs ! Tout le monde a pu voir tel maître tirer sur la laisse de son chien distrait par un coin supposé malpropre d’un trottoir. Aller, viens ! « Encore et encore, les gens imposent leurs valeurs et leur Umwelt à leurs chiens. Ils les forcent à regarder plutôt qu’à sentir, voilent leur monde olfactif et étouffent une part essentielle de leur canitude. »

Dans ce domaine, le champion est un animal au bulbe olfactif énorme, dont la vie est entièrement déterminée par les odeurs. Il reconnait, à des kilomètres de distance, la présence d’une femelle en chaleur. D’instinct grégaire, ils se reconnaissent à leur odeur personnelle : un étranger au groupe sera instantanément identifié. Alors, bien sûr, il a un nez particulièrement proéminent. Il s’agit de… l’éléphant !

« La quantité d’information que les éléphants peuvent obtenir grâce à leur odorat est bien au-delà de ce que nous pouvons concevoir. »

Mais tout le monde n’a pas besoin de nez pour "sentir". Pour la petite histoire, signalons que les mouches (drosophile) ont des capteurs olfactifs aux extrémités… des pattes !

Je ne sais pas chez vous, mais pour moi, 2023 a été une année particulièrement chargée en moustiques et nous avons dû user abondamment de sprays anti-moustiques qui les faisaient fuir dès qu’ils posaient leurs petites papattes sur notre peau appétissante (capteurs olfactifs !).

D’autres, comme les papillons ou les fourmis, utilisent leurs antennes pour capter les molécules chimiques, odeurs ou phéromones… C’est quoi ? C’est un terme important et souvent mal compris. Il désigne des signaux chimiques qui portent des messages entre les membres d’une même espèce. Les fourmis en sont les grandes championnes. Qui n’a jamais observé une ligne de fourmis en file indiennes suivre "aveuglément" un trajet balisé aux phéromones. On aurait même vu l’une d’elle prise au piège d’une piste "en boucle", tourner jusqu’à ce que mort s’en suive !

Désolé pour les amateurs de « pheromone parties », ces fêtes où des célibataires hument les vêtements des uns et des autres pour trouver l’âme sœur, mais « malgré des décennies de recherches, aucune phéromone chez l’être humain n’a été identifiée. » Ça ne fait rien, on peut toujours y croire ! On ne sait jamais, comme dirait "Blaise".

Par contre, il y a un truc que l’on ne devrait pas croire, c’est que le GOÛT absolument "divin" du confit de canard aux pommes Sarladaises que je vais préparer dimanche prochain (n’en déplaise aux végans de service) soit dû à la sensibilité de notre odorat ! Eh non ! Le "goût" est le sens le plus élémentaire. Si l’odorat fait intervenir une quantité indescriptible de molécules aux caractères très variés, le goût, en revanche, se réduit à cinq qualités de base chez les humains : le salé, le sucré, l’amer, l’acide et l’umami (qui signifie "savoureux" ou "délicieux" en japonais). C’est la SAVEUR qui est dominée par le sens de l’odorat. En outre « Le goût est instinctif et inné, contrairement à l’odorat. […] En revanche, les odeurs ne sont pas porteuses de sens jusqu’à ce qu’elles soient associées à des expériences. » (Mais ne comptez sur moi pour partager mes cuisses de canard ! 😊)

Sur ce, on va changer de sens ! Mais Nooon… on ne change pas de direction, on passe de l’odorat à la vue – domaine de prédilection de l’espèce humaine. Et on n’a pas fini d’être surpris. « Les yeux n’ont pas évolué d’une forme pauvre à une forme complexe. Ils évoluent de l’accomplissement parfait de quelques tâches simples à l’accomplissement parfait de nombreuses tâches complexes. » Le premier pas pour comprendre l’Umwelt d’un autre animal est de comprendre à quoi lui servent ses sens (l’évolution est limitée à son utilité). Nos yeux sont adaptés à nos besoins. Ils nous donnent un Umwelt singulier que la plupart des animaux ne partagent pas.

On va passer rapidement sur les performances des yeux humains « L’être humain surpasse presque toutes les autres espèces en la matière. Les rapaces exceptés, seuls les primates approchent nos performances. » L’acuité visuelle du lion, par exemple, se situe juste au-dessus du seuil où les humains sont officiellement considérés comme aveugles. La vision de la plupart des animaux tombe sous ce seuil, dont la moitié des oiseaux, la plupart des poissons et tous les insectes.

Mais en termes de complexité, on peut "jeter un œil" sur le poisson Anableps qui fréquente la surface des rivières sud-américaines, ses yeux sont divisés en plusieurs parties. La partie supérieure, émergée, est adaptée à la vision à l’air libre, et la partie inférieure, immergée, à la vision aquatique. C’est pourquoi ce poisson s’appelle aussi « quatre yeux ». Il ne s’agit pas d’une bizarrerie de la nature mais, bien sûr, d’une évolution lui permettant de surveiller la présence d’éventuel prédateur aérien et de proie aquatique.

Quant aux yeux du calmar géant, ils peuvent atteindre la taille d’un ballon de football. Pourquoi une telle évolution ? Les chercheurs ont découvert que les yeux très grands sont plus performants pour la réalisation d’une seule et unique tâche : repérer de grands objets lumineux dans l’obscurité totale. « Un seul animal répond à cette description et il s’agit du plus grand animal que le calmar géant ait besoin de voir : le grand cachalot. Le grand cachalot est le plus grand prédateur du monde muni d’une dentition. Il s’agit également de l’ennemi juré du calmar géant. […] Les grands cachalots ne produisent pas leur propre lumière. Mais, tel un submersible descendant dans les profondeurs [à plus de 2000 m], lorsqu’ils heurtent des petites méduses, des crustacés ou du plancton, ils déclenchent chez eux des éclairs de bioluminescence. Avec ses yeux d’une grandeur disproportionnée, le calmar est capable de voir ces scintillements caractéristiques à 120 mètres, distance suffisante pour pouvoir prendre la fuite. »

Qu’en est-il de la couleur ? D’abord, les couleurs existent-elles réellement ? Évidemment puisqu’on les voit !... Pas si sûr : « Un brin d’herbe n’est pas intrinsèquement « vert », ni la lumière de 550 nanomètres qu’il réfléchit. Nos photorécepteurs, nos neurones et nos cerveaux transforment cette mesure physique en une sensation de vert. »

Ça vaut la peine d’essayer de comprendre : La lumière est composée de plusieurs longueurs d’onde. Celles que l’œil humain perçoit vont de 400 nanomètres (perception du violet) à 700 nanomètres (perception du rouge). Notre capacité à détecter ces longueurs d’onde dépend de nos opsines, qui sont des protéines. Elles sont de diverses sortes et chacune absorbe particulièrement telle ou telle longueur d’onde. Chez l’être humain, la vision normale de la couleur dépend de trois opsines, dont chacune est associée à un type de cône particulier dans nos rétines. On parle familièrement d’opsines sensibles au rouge, au vert ou au bleu. Lorsque la lumière se réfléchit sur un rubis et arrive dans notre œil, elle stimule les longs cônes (rouges) intensément, les cônes de taille moyenne (verts) modérément et les cônes courts (bleus) faiblement.

Les humains possèdent, généralement, ces trois types de cônes, ils sont dits trichromates. « La plupart des humains ne perçoivent pas les UV, ce qui explique pourquoi les scientifiques ont cru si facilement que cette capacité était rare également chez tous les animaux. En réalité, dans le règne animal, c’est tout le contraire. En fait, de nombreux animaux sont capables de voir les UV. C’est la norme. Les animaux bizarres, c’est nous. » La plupart des oiseaux ont quatre types de cônes aux opsines particulièrement sensibles respectivement au rouge, au vert, au bleu et à l’ultraviolet. Ils sont ainsi tétrachromates. En théorie, ils devraient être capables de distinguer une multitude de couleurs imperceptibles pour nous.

« Mais évidemment, pour nous tous, que nous soyons monochromates, dichromates, trichromates ou tétrachromates, les couleurs semblent naturelles. Car chacun de nous est coincé dans son Umwelt. »

Et là, nous allons faire la connaissance de "Dame Mante" ! Un animal de science-fiction, la Crevette-Mante (Stomatopoda). Une sorte de chimère de crustacé au corps de langouste et buste de mante religieuse qui, chez certaines espèces les transforment en véritable championnes de boxe. En visite au laboratoire d’Amy Streets, à Brisbane en Australie, l’auteur contemple une de ces championnes, dans son aquarium : « Au lieu de mettre à l’épreuve la patience de la crevette-mante paon, j’observe ses yeux avec attention. Ses deux yeux ressemblent à des muffins roses emballés dans un papier d’aluminium bleu. Ils sont placés au bout d’appendices mobiles fixés sur le sommet de la tête de l’animal. L’œil gauche m’observe. L’œil droit regarde Streets. Ce sont vraisemblablement les yeux les plus étranges de la planète. » (Jean Gabin en serait resté sans voix).

Mais quand les chercheurs ont commencé à disséquer l’œil d’une crevette-mante paon, ils n’ont pu retenir un cri de stupéfaction : chaque œil est divisé en trois parties, deux hémisphères séparés par une bande distincte, en observant cette bande, ils sont tombés sur un merveilleux spectacle : un assemblage kaléidoscopique de taches colorées, rouges, jaunes, orange, pourpres, roses et bleues. La mante de mer utilise ses taches colorées pour filtrer la lumière, qui atteint alors une seule catégorie de photorécepteurs. En fin de compte, ce ne sont pas moins de 12 catégories de photorécepteurs qui y sont répertoriés : « La bande centrale de l’œil présente six rangs d’unités captant la lumière. Mettons de côté pour le moment les deux rangs inférieurs. Seuls les quatre rangs supérieurs servent à voir les couleurs. Chaque rang a trois photorécepteurs uniques qui sont eux-mêmes organisés en différents niveaux. Le rang 1 a des photorécepteurs du violet et du bleu, le rang 2 du jaune et de l’orange, le rang 3 du rouge-orangé et du rouge, le rang 4 du cyan et du vert ; chaque rang est surmonté d’un unique photorécepteur UV. Cela forme un total de 12 catégories de photorécepteurs, dont quatre dédiées à l’ultraviolet. » Rappelons pour mémoire que les humains n’en possèdent que trois. Mais ce n’est pas tout !

Rappelons-nous que la lumière est une onde : elle se propage en oscillant dans toutes les directions. Mais lorsque la lumière est réfléchie par l’eau ou par l’air, ou lorsqu’elle se reflète sur des surfaces planes comme des feuilles luisantes et des masses d’eau, ces oscillations sont limitées à un seul plan. Ce genre de lumière, dite polarisée, est fréquente dans la nature. La plupart des insectes, des crustacés et des céphalopodes perçoivent ce phénomène tout aussi bien que la couleur.

Mieux ! La lumière polarisée oscille habituellement dans un seul plan fixe. Ce plan peut également opérer une rotation, la lumière se déplace alors le long d’une hélice. On appelle ce phénomène la polarisation circulaire. On a découvert que les mantes de mer sont les seuls animaux au monde capables de la percevoir. Ainsi, les mantes de mer ont six catégories de récepteurs de polarisation : verticale, horizontale, deux pour les diagonales, horaire et antihoraire. Ce sont des hexapolates, une exception dans la nature.

« Mais puisque les mantes ont déjà 12 catégories de photorécepteurs, à quoi six récepteurs supplémentaires spécialisés dans l’analyse de la polarisation de la lumière pourraient-ils bien leur servir ? Pourquoi leur vision est-elle si démesurément compliquée ? […] Personne n’a encore trouvé la réponse. » Un mystère de l’évolution(*)…

Dis ! La Mante, t’as de beaux yeux, tu sais...

Terminons ce chapitre par un clin d’œil (ça s’impose !) :

L’évolution a doté les primates d’une trichromatie pour leur permettre de mieux repérer les jeunes feuilles et les fruits mûrs. « Une fois qu’ils ont ajouté le rouge à leur Umwelt, certaines zones de leurpeau ont commencé à perdre leurs poils.En rougissant grâce à un afflux sanguin, elles sont devenues capables de transmettre certains messages. Par exemple, les faces rouges du macaque rhésus, les fessiers rouges des mandrills et les amusantes têtes chauves rouges des ouakaris sont des signes sexuels rendus possibles grâce à une vision trichromate. » 😊

Au chapitre de la douleur, le débat est engagé. Les animaux souffrent-ils ? Nul doute qu’ils sont le siège de nociceptions. Mais la nociception et la douleur sont deux choses différentes. La nociception est une fonction défensive présente chez les vertébrés et chez les invertébrés qui engendre des réactions "réflexes". La douleur n’existe pas pour elle-même, elle n’a pas de nécessité intrinsèque. Elle est une information que les animaux doivent utiliser. « La douleur peut-elle exister sans conscience ? Si vous ôtez l’émotion de la douleur, ne reste-t-il que la nociception ? Ou une zone grise que nos imaginations ont peine à remplir ? » La notion de douleur implique la conscience de soi et donc d’un système neuronal développé. « Pour les mammifères, le fait que la douleur soit localisée leur permet de se protéger et de nettoyer les parties vulnérables du corps, tout en continuant à mener leur vie. »

De nombreux animaux, grands ou petits, disposent de capteurs thermiques pour savoir si leur environnement devient intolérable, pour repérer leurs proies, et même pour se reproduire. Ainsi se comporte les coléoptères du genre Melanophila qui détectent à plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde les incendies de forêt, grâce à leurs récepteurs thermiques. Arrivés sur les lieux ils s’accouplent au beau milieu de la forêt en feu puis les femelles pondent leurs œufs sur des écorces calcinées et refroidies. Une fois écloses, leurs larves xylophages ont à leur disposition le bois des arbres trop abîmé pour se défendre. Leurs prédateurs sont chassés par la fumée et la chaleur émises par les braises et les cendres.

Le toucher est un sens mécanique. Quand on l’évoque on pense immédiatement à nos doigts. C’est vrai mais c’est très caricatural et réducteur ! Il fonctionne avec des stimulus comme des vibrations, des textures, des pressions… Cette sensibilité dépend des mécanorécepteurs, des cellules qui réagissent à de légères stimulations tactiles. Pour de nombreux animaux, le toucher peut également s’opérer à distance. Grâce à de minuscules poils et d’autres récepteurs, ils sentent les signaux envoyés par d’autres animaux éloignés.

Permettez-moi de vous présenter le "Cyrano de Bergerac" du règne animal, lequel aura fort à faire pour répondre à tous les Vicomte de Valvert de la création. Bien sûr, vous aurez deviné qu’il s’agit du Condylure étoilé. Cette taupe dont « l’extrémité de son museau est formée par onze paires d’appendices roses et glabres en forme de doigts, réparties en anneau autour de ses narines […] et ressemble à une excroissance en forme de fleur se développant sur sa face ou encore à une anémone de mer fixée à son museau. […] Cette étoile est entièrement et exclusivement formée de récepteurs du toucher. En l’observant de près, on pourrait la comparer avec justesse à une paire de mains ouvertes sur l’extérieur. »

Quand elle parcourt ses galeries, la taupe appuie constamment son organe étoilé contre les parois, une douzaine de fois par seconde. À chaque pression, son environnement apparaît dans une explosion de textures. Chaque pression modifie l’image de la galerie formée en continu dans son cerveau.

Et le bécasseau. Vous avez déjà vu de près un bec de bécasseau ? Drôle de question ! Eh bien peut-être que, comme moi, vous pensiez que son long bec est lisse et dur ! Que nenni… Long, oui. Dur, oui. Lisse, c’est à voir : « La pointe de leur bec, grossie au microscope, est criblée de trous, comme un épi de maïs dont on aurait consommé tous les grains. Ces trous sont remplis de mécanorécepteurs semblables à ceux de nos mains. » Et donc, en plongeant son bec dans le sable mouillé, le bécasseau exerce une pression sur l’eau qui se propage. Si un objet solide s’y trouve, l’eau s’écoule alors autour, ce qui modifie les caractéristiques de la pression créant une distorsion captée par les mécanorécepteurs permettant à l’oiseau de localiser des objets sans avoir à entrer directement en contact avec eux.

Aller, sur la plage, vous n’allez plus regarder de la même façon ces oiseaux "farfouiller" dans le sable au bord de l’eau 😊.

Juste pour le fun, citons comme organes du toucher (autres que les doigts humains) les vibrisses et autres moustaches de certains mammifères (souris, rats, chats et chiens, loutres, phoques, etc.) ou les poils qui couvrent les pattes (à raison de 400/mm²) des Cupiennius salei, ou « l’araignée tigre errante », ils sont si sensibles qu’un "vent" de 3 cm/min les font bouger (gare aux proies).

Mais dans la course aux armements, ça marche aussi pour se défendre : Le grillon des bois présente une paire de pointes, appelées cerques, située à l’extrémité de son abdomen. Les cerques sont couverts de centaines de poils aussi sensibles que ceux des araignées tigres, si ce n’est plus et leur servent d’avertisseurs en cas d’attaque.

Alors, on a vu que lorsque ces mécanorécepteurs perçoivent ces vibrations transmises dans l’air ou à la surface de l’eau, il est évident que c’est le sens du toucher qui est sollicité… et pourtant pour certains chercheurs, ces vibrations sont des sons ! Rappelez-vous les membracides rassemblés par centaines sur une seule plante et qui peuvent émettre des vibrations tous en même temps « Une seule tige peut être aussi bruyante qu’une rue animée, pleine de cris d’alarme, d’appels au calme, de demandes de rendez-vous… et plus si affinités. »

Comme chaque année, en avril, je vous invite au Sopchoppy Worm Gruntin’ Festival. Vous êtes Fan, bien sûr !

En tout cas, moi, je sens que je vais le devenir !

Ça se passe à Sopchoppy, en Floride, et on y découvre des festivaliers qui s’aventurent dans les bois en frappant le sol avec des bâtons et en les raclant avec une pièce en métal pour générer des vibrations. Non, non, ils ne sont pas dérangés des méninges ! Ils sont en pleine chasse … aux vers de terre ! Car en faisant correctement ce "tapage", des centaines de vers de terre sortent du sol. Les "chasseurs" ont longtemps cru que les vibrations imitaient le bruit de la pluie tombant sur le sol. Mais, en fait, ils affluent en surface s’ils détectent les vibrations d’une taupe en train de creuser une galerie. Cette fuite hors du sol est judicieuse, puisque les taupes ne poursuivent généralement pas leurs proies à l’air libre. « Nos festivaliers. Pendant des décennies, ont imité sans le savoir des tremblements de taupe. » 😊

Elle est chouette la chouette avec ses grands yeux ! Pas étonnant qu’elle chasse la nuit ! Elle y voit comme en plein jour et le moindre mulot qui passe dans les parages, se croyant en sécurité, n’échappe pas à sa vigilance !... Eh ben j’ai tout faux !

Et j’ai dû attendre plus de quatre-vingts ans pour corriger le tir : Les plumes qui entourent ses yeux sont caractéristiques, elles sont épaisses, raides et denses et semblent augmenter l’importance des yeux. En fait, elles forment des paraboles qui font office d’oreilles externes, tel un radar, ces disques collectent les ondes sonores entrantes et les dirige vers les conduits auditifs, de grandes ouvertures situées derrière les yeux de la chouette, cachées dans ses plumes ! En plus, son oreille gauche étant plus haute que son oreille droite, cela contribue à donner à la chouette une sensibilité auditive exceptionnelle car, par effet stéréo dans le plan horizontal ET dans le plan vertical elle peut localiser avec une grande précision la source d’un bruit. Nul besoin de lumière pour situer et fondre, en pleine obscurité, sur une souris qui trottine sur quelques feuilles mortes !

Je me souviens d’une boutade qui se racontais, il y a quelques décennies, sans doute pour tourner en dérision l’hyper-rationalisme de notre élite : « On donne une sauterelle à un Polytechnicien qui lui ordonne de sauter. Elle saute. Il lui enlève les pattes et lui dit de sauter. Elle ne saute pas. Conclusion : elle entend par les pattes ! » Très drôle…

Mais voilà, encore une fois l’histoire drôle a fait « Flop ! »

Car ce n’est pas si stupide que ça : « On trouve des « oreilles » sur les articulations des pattes du grillon et des tettigoniidés [famille de sauterelles qui comprend plus de 6400 espèces], sur l’abdomen des criquets et des cigales et sur la bouche des papillons sphinx. Le moustique entend avec ses antennes, la chenille du papillon monarque avec une paire de poils sur son abdomen, la sauterelle africaine présente six paires d’organes auditifs le long de son abdomen, la mante religieuse a une seule oreille cyclopéenne au milieu du thorax. »

Mais d’après les connaissances actuelles, les éphémères et les libellules sont dépourvus d’audition. Tout comme la majorité des coléoptères. La plupart des insectes semblent sourds et ceux qui entendent ont évolué soit à des fins sexuelles, soit pour échapper à des prédateurs.

Quand on parle d’animaux émetteurs d’infrasons (éléphants, baleines…) ou d’ultrasons (dauphins, chauves-souris, chats, rats, souris…), ces termes sont anthropocentriques. Pour ces animaux, ce sont des sons comme les autres parfaitement audibles pour de nombreuses espèces, ils n’ont rien de « secrets » ou de « cachés » sauf pour les humains qui pensent toujours être le centre de l’Univers.

Et dans un sens, heureusement qu’on n’entend pas les "ultrasons" : « [on] a mesuré le volume sonore de l’appel de la grande chauve-souris brune au niveau de sa bouche, à l’endroit de son émission : 138 décibels – soit autant qu’une sirène ou un avion. Même les chauves-souris les plus discrètes émettent des cris de 110 décibels – soit autant qu’une tronçonneuse ou un souffleur de feuilles. » Incroyable ! Qui aurait pu penser que ces petites bêtes puissent hurler avec une telle intensité !

Les chauves-souris sont vraiment des championnes de l’écholocalisation mais les dauphins n’ont rien à leur envier, ils peuvent même « utiliser l’écholocalisation pour identifier un objet caché et le reconnaître ensuite avec leur vue – même sur un écran de télévision. » Cela signifie que non seulement il devine la position d’un objet, mais il en construit également une représentation mentale qui peut être traduite dans ses autres sens.

Arrivé au chapitre de dauphins, je ne peux résister à l’envie de vous renvoyer vers le livre de Fabienne Delfour « Dans la peau d’un dauphin ».

https://www.senscritique.com/livre/dans_la_peau_d_un_dauphin/critique/289734967

Un livre passionnant sur ces êtres plus passionnants encore. Mais Fabienne a oublié de préciser une chose que je découvre ici : « Le son peut interagir différemment avec les objets immergés. Généralement, les ondes sonores se réfléchissent quand elles rencontrent un changement de densité. Dans l’air, elles se réfléchissent sur des surfaces solides. Mais dans l’eau, elles peuvent se propager dans la chair (qui a une densité analogue à celle de l’eau) et se réfléchir sur des organes comme les os et les poches d’air. » Ce qui signifie que si un dauphin « écholocalise » un nageur, il percevra ses poumons et son squelette !

Bien que la tendance soit au développement et à la promotion des énergies renouvelables, on passera rapidement sur les animaux générateurs d’électricité comme les anguilles électriques, pour ne citer qu’elles, dont la plus puissante peut envoyer une décharge de 860 volts – de quoi paralyser un cheval – et dont l’organe électrique est à la fois une télécommande et un Taser, permettant à l’anguille de maîtriser à distance les autres animaux (j’imagine déjà ma prochaine voiture-aquarium !).

Bon, ça c’est dans l’eau, mais dans l’air me direz-vous ? Et bien on sait que l’atmosphère a une charge positive et la surface de la planète une charge négative (Cf. les orages) et donc les fleurs ?... Elles sont négatives… Et les abeilles ?... Positives (Elles sont dans l’air) !... Et alors ?... « Attirés par une charge opposée, les grains de pollen sautent littéralement de la fleur à l’abeille, avant même que cette dernière n’atterrisse sur la fleur. »

Autre astuce électrique (ou électrostatique), les araignées volantes qui, au sol, éjecte un fil de soie chargé négativement donc, lequel est repoussé par la charge négative environnante devenant ainsi une sorte d’aérostat entrainant l’araignée dans un long voyage au gré des déplacements d’air ! Pas bête la bête pour voyager aux frais de la princesse…

Il y en a qui ne "perdent pas le Nord" bien que, contrairement aux autres sens rencontrés, la magnétoréception ne sert pas à communiquer. En effet, les animaux ne génèrent pas de champ magnétique. Le rouge-gorge, la chauve-souris brune, le poisson cardinal, le papillon bogong, etc. utilisent la magnétoréception pour s’orienter lors de leurs déplacements. On a remarqué que les jours où les tempêtes solaires étaient les plus intenses, les baleines grises avaient quatre fois plus de risques de s’échouer.

Et nous dans tout ça ? Nous les humains. Avec nos gros sabots qui font un raffut de tous les diables… Ce n’est pas vrai ? Bien sûr, on y est habitué, on ne l’entend plus. Pourtant en 2020 pendant le confinement, tout d’un coup on entendait à nouveau le chant des oiseaux. Et même eux se sont demandés ce qu’il se passait (une tourterelle est venue voir à ma fenêtre de bureau, ce qui ne s’était jamais produit en plus de trente ans).

Bon, on fait du bruit, et alors ? Un exemple parmi tant d’autres : Dans les forêts du Nouveau-Mexique, le geai de Woodhouse a fui le bruit des compresseurs utilisés pour l’extraction du gaz naturel. Or cet oiseau dissémine les graines du pin à pignons. Un seul individu peut ainsi enfouir entre 3000 et 4000 graines de pin chaque année. Ce geai joue un rôle si important pour la forêt que dans les aires silencieuses qu’il fréquente, on dénombre quatre fois plus de jeunes pousses de pin que dans les aires bruyantes qu’il a délaissées.

Et la lumière ? Plus de 80 % des gens vivent sous des cieux nocturnes pollués par la lumière. Depuis combien d’années vous n’avez pas contemplé la Voie Lactée. Vous allez me répondre : « On s’en fiche de la Voie Lactée ! » Ben voyons ! Mais c’est comme ça qu’on se coupe de l’Univers, qu’on se replie sur son nombril, que l’on rétrécit son Umwelt. À cause de cette pollution exclusivement anthropique, les jeunes tortues en quittant leur nid peuvent être désorientées et mourir prématurément. Les insectes sont attirés mortellement par les lumières artificielles avec toutes les conséquences sur la pollinisation, etc… « Nous avons profané les environnements sensoriels et nous nous sommes habitués aux conséquences. Nous avons expulsé les animaux et nous nous sommes accoutumés à leur absence. »

Avec des microscopes, des caméras, des haut-parleurs, des enregistreurs, on peut explorer d’autres mondes sensoriels. Nous utilisons la technologie pour rendre visible l’invisible et audible l’inaudible. Notre capacité à nous immerger dans d’autres Umwelten est notre plus grand talent sensoriel. L’être humain ne bénéficie ni de la vision ultraviolette, ni de la magnétoréception, ni de l’écholocalisation, ni du sens infrarouge. Mais l’humain est le seul être capable de savoir ce que les autres peuvent percevoir et le seul être susceptible de s’y intéresser. Alors nous devons avoir conscience de la responsabilité qui nous incombe et d’utiliser notre science et nos technologies pour préserver les Umwelten de tous les êtres vivant avec qui nous partageons nos lieux de vie.

NOTE :

(*) Pourquoi les mantes de mer ont-elles acquis la capacité de voir la lumière polarisée circulaire ? Alors que les seuls objets capables d’en émettre dans leur environnement, ce sont … les mantes elles-mêmes (certains mâles, lors de parade nuptiale, ou d’autres, lors de combats) ! C’est contraire à la logique de l’évolution : à quoi serviraient ces signaux polarisés s’il n’existait pas des yeux pour les voir ? Et pourquoi des yeux auraient-ils évolués dans ce sens s’il n’y avait encore rien à voir ? « Lequel de l’œil ou du signal, est apparu en premier ? »

Le béotien que je suis se permet de faire une suggestion : il y a quelques millions d’années, les mantes de mer ont pu développer cette faculté pour se prémunir d’un prédateur, aujourd’hui disparu, qui émettait ce type de lumière. C’est idiot ?

Philou33
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le 11 mars 2024

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Philou33

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