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C. Robert Cargill est ce genre d'auteur qu'on n'attendait absolument pas au tournant. Quand on débute une carrière de scénariste de cinéma par les deux Sinister, normalement on reste éloigné le plus possible d'une machine à écrire jusqu'à la fin de ses jours. Il s'est heureusement rattrapé avec le premier Doctor Strange, certes pas un chef-d’œuvre de narration, mais qui peut se vanter d'être l'un des tout meilleurs Marvel.

Cet homme nous offre donc un roman post-apocalyptique à base de robots, d'IA et raconté avec le déroulement d'un scénario de film à gros budget, fait d'explosions, de personnages hauts en couleur et d'univers aussi riche que déboussolant. Joe Hill, le fils de Stephen King, compare d'ailleurs Un Océan de Rouille à Mad Max Fury Road, pas tant à mon avis pour le côté post-apocalyptique que pour ce mélange de série B furieuse et d'univers bis et bigarré portant malgré tout avec lui toute une charge symbolique et émotionnelle.

L'univers est bien sûr la première chose qui donne envie de tenter la lecture : Un monde post-apocalyptique dans lequel les robots ont exterminé l'Humanité puis ont fini par s'entredéchirer et se retrouvent à patauger dans le sable, la rouille et les bugs de mémoire. C'est donc un monde post-apocalyptique dans lequel a lieu une nouvelle apocalypse, plus lente et plus cruelle incarnée par les IA, gargantuesques structures robotiques concentrant les individualités de milliers de robots pour ne former qu'une seule grande entité surpuissante, et qui ne demande qu'à absorber toujours plus de robots restés indépendants.

C'est par ce biais que Cargill parvient à nous mettre en empathie avec ses personnages robots. Il insiste bien et à de très nombreuses reprises sur le fait que les machines de ce futur ont exterminé les Humains et que nos protagonistes ont du sang sur les mains pour avoir activement participé au génocide, pourtant il parvient à nous les rendre sympathiques. Car ils ont beau être libérés de leurs maitres, dénués de toute contrainte biologique et par ce biais virtuellement immortels, leurs problématiques restent très humaines et compréhensibles : Survivre, échapper à un ennemi inarrêtable qui va les dépouiller de leur identité, mais surtout échapper à leurs démons intérieurs. Qui a dit qu'un robot ne pouvait pas virer barjot ? Ici, les robots se cannibalisent littéralement en s'affrontant les uns les autres pour obtenir des pièces de rechange leur permettant d'échapper à l'inexorable faillite de leurs systèmes, les rares communautés de survivants ne parviennent qu'à maintenir un simulacre d'ordre et de morale, alors que tous savent qu'il n'y a plus aucun espoir de retour à la normale pour eux.

A travers son roman, Cargill interroge sur ce qu'est la vie et sur l'essence de l'âme. Ses protagonistes ont beau être artificiels, ils sont mus par l'instinct de survie propre à toutes les créatures vivantes, ils pensent, ont leurs propres opinions, font des choix et ont même des émotions à un certain degré en fonction de ce que leur permet leur programmation. Ils représentent une forme de vie qui n'est pas vivante mais a été façonnée à l'image de ses créateurs pour les servir. Donc, est-ce que l'extinction de l'humanité n'est pas indirectement l'extinction des robots eux-mêmes ? S'ils ne peuvent plus remplir la fonction pour laquelle ils ont été créés, ont-ils encore un intérêt à exister ?

Évidemment, Cargill cite par ces thématiques le Frankenstein de Mary Shelley, où justement, après avoir amené son créateur à la mort, le Monstre choisit de disparaitre pour mourir dans le Pôle Nord. Privé de son père qui était son seul lien avec l'humanité, le fils choisit la mort plutôt que la solitude.

Et les robots du roman sont justement seuls. Ils tentent de faire survivre leur individualité dans un désert aride où tous finissent invariablement par se désagréger et péter une durite jusqu'à devenir des cyber-psychotiques, et leur seule alternative, c'est laisser les IA géantes les dévorer et les ajouter à la conscience collective. Évidemment, il y a quelque chose de très américain dans cette logique de l'individu qui cherche à s'accomplir par lui-même face à la masse déshumanisée, avec bien sûr le schéma de ce même individu qui peut choisir de rejoindre une autre forme de collectif imparfait mais capable de lui apporter la paix ou bien sombrer plus bas encore. Les robots de Cargill ne sont pas humains mais ils sont indéniablement américains. A vous de voir si c'est mieux ou pire.

Ce que je dis là peut donner l'impression d'un livre très théorique, mais dans la forme nous sommes face à un pur roman de SF post-apocalyptique, avec courses-poursuites, fusillades endiablées et personnages charismatiques. Notre héroïne, Fragile, est presque un Max robotique : Celui qui veut juste survivre dans son coin et qu'on lui fiche la paix, mais qui va devoir s'improviser héros parce que la situation l'exige. Un archétype vite identifiable et donc facile à appréhender. C'est un pur roman d'action qui n'oublie toutefois pas de travailler son fond, d'où le comparatif avec Fury Road qui fonctionnait selon le même principe.

On trouvera toutefois une limite, à savoir la plume de Cargill. Non pas qu'elle soit mauvaise, elle fait le travail qu'on attend pour un roman de divertissement de ce calibre, mais à de nombreuses reprises l'auteur donne l'impression d'oublier qu'il parle de robots et intègre donc des formules trop "humaines", comme les nombreuses occurrences où un personnage "lance un regard mauvais" à un autre. Bien sûr, les robots de cet univers sont de forme variée et certains, dont l’héroïne, ont été conçus pour avoir l'air plus humains que les autres, mais quand celui qui lance un tel regard est censé être un modèle militaire qui n'a pas d'yeux mais des capteurs... On comprend l'idée, mais elle n'est pas vraiment adaptée. Et ce n'est qu'un exemple, mais le style qu'adopte l'auteur ne travaille à mon sens pas suffisamment la nature robotique des personnages. C'est un style de roman post-apocalyptique dont il se trouve que les héros sont des robots, alors que la vraie démarche aurait été de penser l'écrit en adéquation avec une pensée "robot". Pas un vrai reproche mais un regret. L'histoire est bien écrite et riche en réflexions intéressantes, mais avec un style plus travaillé on aurait eu droit à une véritable pépite.

Ne boudons pas notre plaisir, Un Océan de Rouille reste un très solide roman, assez accessible, divertissant et intelligent. Une proposition de SF qui fait le job qu'on attend d'elle et nous tient en haleine jusque dans les toutes dernières pages.

Arkeniax
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le 11 mai 2024

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