Une vie possible
7.1
Une vie possible

livre de Line Papin (2022)

Une vie possible est le récit par Line Papin d'une double perte : une fausse couche, puis un avortement. L'occasion pour l'autrice d'interroger les notions de féminité, de maternité, de libre choix pour les femmes dans le monde d'aujourd'hui, en convoquant les figures tutélaires de Simone de Beauvoir, Gisèle Halimi et Simone Veil. Vaste sujet. Classiquement, Line Papin mêle l'histoire intime à la sociologie, espérant faire résonner son questionnement en chacun de nous.

Pour cela, il faut avoir un style, et c'est ce qui fait défaut à Line Papin. Prenons par exemple les pages 58 et sqq :

En réalité, le féminin et le masculin sont en train d'être redéfinis [scoop !]. Il n'est plus masculin de se lancer dans une grande carrière, de réparer sa voiture ou d'écrire des romans. Il n'est plus féminin de faire la cuisine, de s'occuper des enfants ou d'un intérieur. Cependant, si cela commence à être vrai dans certains milieux, ce n'est pas vrai partout. Alors que je croyais la cause des femmes acquise, ma première grossesse m'a rappelé que c'était loin d'être le cas.

Page suivante :

Il y avait une chose que je n'aurais pas pu vivre si j'étais un homme : la maternité (jusqu'à nouvel ordre en tout cas).

Page 82 :

Notre couple se fissurait car je n'y trouvais pas ma place. Je me répétais : avec l'arrivée de mon enfant, tout changera, je prendrai ma place.

Page 87 :

Mai j'ai appris à être sage, à être une bonne élève, à ne pas exprimer mon mécontentement, peut-être parce que je suis une fille, et que l'on éduque ainsi les filles.

Notons au passage une contradiction puisque, page 55, Line Papin déclarait "ici, en France, j'étais élevée d'une manière qui me paraissait si mixte qu'elle n'était ni masculine, ni féminine". De même, Line appelle son amoureux par moments "mon compagnon" par moments "mon mari". J'apprends par Wikipedia qu'il s'agit du chanteur de charme Marc Lavoine, plus vieux que son père quand même, et avec lequel la romancière a, depuis, divorcé...

Page 111, cette perle de mièvrerie :

Et je t'interdis d'avoir ce visage-là, car la vie est trop belle pour naître sans sourire.

Dans le même esprit, page 123 :

L'avenir est ouvert. Tout est possible. Ma seule issue est d'être heureuse. Ma seule issue est d'être heureuse.

Une phrase pareille, ça valait le coup de la répéter en effet... Ces répétitions sont souvent le signe d'une impuissance littéraire. On en trouve un autre exemple page 173 :

Ai-je la crainte que ceux qui viendront de moi doivent eux aussi survivre, survivre, survivre, et ne jamais pouvoir se débarrasser de ce pénible préfixe ? Dans un carnet, j'avais noté cela : "Survivre. Vivre, c'est survivre." A présent, comme j'aimerais avoir tort ! Vivre, c'est vivre.

Eh oui, on ne le dit pas assez ça : vivre, c’est vivre. Page 71, on regrettera le trivial "je me souviens qu'une jeune femme m'avait sorti cette phrase". Parfois, l'indigence littéraire vire carrément à la faut de syntaxe. Page 55 "nous riions de nos premiers amours" (au lieu de premièrEs amours), page 81, "Et de ça, j'en étais incapable". Mais que fait l'éditeur ?

Bref. Il serait cruel de continuer. On trouve çà et là tout de même quelques jolies choses, comme ce développement autour de la phrase "tu en reprendras bien un peu ?" à laquelle l’autrice, longtemps, n'osa pas s'opposer. Page 90 :

A la fin, on a envie de cracher sur le tapis molletonné et de dire non, ça va, j'en ai assez, non je n'en reprendrai pas un peu.

Page 203, une réflexion assez subtile sur la façon dont une naissance change le statut de celle qui engendre :

Depuis les grossesses, je voyais ma mère d'un oeil différent. Ce n'était plus seulement ma mère, c'était d'abord une femme, devenue mère. Elle ne m'appartenait plus. Ce pronom possessif n'avait plus de sens [on avait compris, non ?]. Elle s'appartenait à elle-même [on avait vraiment compris !] - mais, du seul fait de mon existence, j'avais modifié une partie de son identité [là est l'idée intéressante]. (...) Parce que j'étais née, elle était mère et j'étais fille [encore une redondance].

Ce passage est symptomatique : une idée pertinente est noyée dans un flot de reformulations toutes aussi plates les unes que les autres.

En un mot, ce n'est pas écrit. Pas ce que j'appelle de la littérature. Je ne doute pas que ça puisse plaire, et même toucher certains lecteurs, ni que certaines lectrices s'y reconnaissent et s'en trouvent réconfortées. Tout dépend, sans doute, du niveau d'exigence que l'on a vis-à-vis de la forme. En ce qui me concerne ce fut une mauvaise pioche : moi non plus, non merci, bien vrai, je n'en reprendrai pas un peu.

5,5

Jduvi
5
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le 26 févr. 2024

Modifiée

le 26 févr. 2024

Critique lue 8 fois

Jduvi

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