Serge Brussolo, deuxième approche, après l'excellent Le Syndrome du scaphandrier. J'en avais déjà plusieurs qui prenaient la poussière dans mon étagère de chevet, mais celui-ci est finalement passé devant. Il faut dire qu'on m'avait plus particulièrement recommandé ce recueil de nouvelles, le premier de l'auteur, étrangement pas réédité depuis 25 ans. Étrangement, oui, car je peux bien me joindre aujourd'hui au concert de louanges : si ce recueil au très beau titre (une fois n'est pas coutume) n'est certes pas parfait, il est néanmoins de très grande qualité, d'une cohérence frappante, et mérite assurément le détour. Serge Brussolo nous y offre en effet neuf perles noires de SF cauchemardesque, lorgnant volontiers vers le surréaliste et l'absurde ; et, dans l'ensemble, c'est un régal de bout en bout.

Le recueil démarre très fort avec « Vue en coupe d'une ville malade » (pp. 11-55), longue nouvelle qui donne le ton : un vrai déferlement d'idées noires. Brussolo y décrit une ville gérée par des ordinateurs devenus fous à force de prévisions de plus en plus lointaines. La ville se mue en un insidieux cancer qui a oublié sa raison d'être : offrir un lieu de vie aux pauvres humains qui en sont les victimes. Une réussite flagrante, et la meilleure des entrées en matière.

Suit « La Mouche et l'araignée » (pp. 56-71), qui en rajoute encore dans le cauchemar organique, quelque part entre Ballard et Cronenberg. Un texte terrible, mais dont la conclusion m'a laissé un peu perplexe : je ne sais pas si elle est géniale ou décevante...

« La Sixième Colonne » (pp. 72-78) n'a heureusement rien à voir avec le mauvais roman éponyme de Robert Heinlein. C'est une courte nouvelle indubitablement kafkaïenne, et horriblement glaçante. Impressionnant.

« Comme un miroir mort » (pp. 79-118) change la donne, en jouant la carte du space opera, tout en restant typiquement brussolienne. Les bonnes idées abondent dans cette nouvelle décrivant une fascinante nécropole cosmique, et les rites variés qui la définissent. Un très bon texte.

Suit « Soleil de soufre » (pp. 119-129), dans une veine assez proche, un brin vancienne, mais façon surréaliste. Un étrange fantasme pyromane qui ne laisse pas indifférent.

« ... de l'érèbe et de la nuit » (pp. 130-147) inaugure le pendant le plus franchement dystopique du recueil. La ville s'y mue en tentaculaire dortoir, pour d'innombrables victimes d'un sommeil maladif. Très fort.

L'expérience se prolonge avec « Mémorial in vivo. Journal inachevé » (pp. 148-169), impitoyable cauchemar fondé sur la mémoire des sensations. Une excellente idée, brillamment exploitée, pour un résultat presque aussi insoutenable que les tourments qu'elle suscite.

Suit ce qui est à mon sens un des sommets du recueil, avec « Off » (pp. 170-203), variation pertinente de Fahrenheit 451 où le bruit est banni au nom du repos. Une nouvelle très juste, très forte, visionnaire.

Petite déception, par contre, pour la dernière nouvelle du recueil, « Anamorphose ou les liens du sang » (pp. 204-219), qui m'a parue un peu téléphonée, même si pas inintéressante...

On l'aura compris : Vue en coupe d'une ville malade est un excellent recueil, témoignant avec brio du talent alors en germe du jeune Serge Brussolo. Il n'est cependant pas exempt de menus défauts : ainsi, on peut regretter le caractère un peu répétitif de certains de ces textes (au-delà de leur dimension « obsessionnelle »), ou encore la construction un peu bancale qui les caractérise assez souvent – une longue mise en place passablement picturale (et volontiers hermétique), puis un développement parfois précipité, jusqu'à une conclusion (parfois une chute) plus ou moins convaincante.

Cela dit, la puissance de ce recueil ne saurait faire de doute. Et, malgré ces quelques défauts, on peut bien dire qu'il tutoie régulièrement l'excellence. Merci donc aux gens qui me l'ont conseillé, parce que ça vaut effectivement le coup, c'est le moins qu'on puisse dire...

Va décidément falloir que je lise d'autres œuvres du monsieur, moi... Tout n'a pas l'air bon, loin de là, mais quelqu'un qui a commis Vue en coupe d'une ville malade et Le Syndrome du scaphandrier est nécessairement capable de bien des merveilles...
Nébal
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le 12 oct. 2010

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Nébal

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