Wildfire
Wildfire

livre de Hannah Grace (2023)

Wildfire ne partait pas gagnant. L’exergue du bouquin est une phrase de Raison et Sentiments, jusque-là rien d’anormal, sauf que c’est une citation du film et pas du bouquin de Jane Austen. Instinctivement, le snob en moi se dit qu’on part du mauvais pied. Cela ne s’arrange pas sur les 40 premières pages où l’on est bombardé d’une dizaine de noms différents, tous très américains et indistinguables. Je me suis alors dit que j’aurais dû commencer par le tome 1 et ne pas croire ma camarade Claire qui m’avait promis que les deux tomes étaient indépendants…

J’ai persisté, suis venu à bout des presque 500 pages, et peux donc dire que sans être du niveau de ma nouvelle écrivaine préférée Ali Hazelwood, ce roman est construit : après une (trop) longue introduction des deux protagonistes, Russ et Aurora, à l’occasion d’une soirée de fin d’année universitaire dans la coloc du premier, il et elle couchent ensemble, se quittent sur un quiproquo et, ô surprise, se retrouvent le lendemain dans la même équipe de moniteurs de colonie de vacances où il et elle se sont engagés pour les 10 semaines d’été. On se trouve en terrain connu : la soirée étudiante, le malentendu, le bon vieux fantasme des animateur·ices de colo qui couchent ensemble (n’ayant jamais été animateur je ne trancherai pas le débat)… Sans être follement originale, la construction du récit tient la route. Le quiproquo est levé assez rapidement et l’enjeu de la romance tient dans le fait de ne pas se faire surprendre par la direction de la colo, qui interdit toute relation extra-professionnelle entre ses animateurs, et dans la nature-même de la relation : amour d’été, ou grand Amour ? Suspens…

Le fond de l’affaire est, comme souvent dans les teen fictions, psychanalytique. Russ et Aurora ont de très grosses daddy issues. Et même quelques mommy issues par ricochet. La barque est assez chargée. L’autrice insiste sur les questions de peur de l’abandon, des difficultés à s’attacher émotionnellement, la dévalorisation de soi… Aurora n’a jamais été considérée par son père, elle a besoin d’attention et d’affection qu’elle trouve facilement dans les bras virils et musclés des jeunes hommes de ce type de fiction grâce à son physique plus qu’avantageux. Russ souffre de l’addiction au jeu de son père et de son impact toxique sur sa famille. Il et elle manquent cruellement de confiance en eux et vont en trouver dans les yeux (et le lit) de l’autre. On a certes l’impression de l’avoir lu et/ou vu des dizaines de fois, mais c’est plutôt bien fait, mignon et touchant.

Malgré leurs problèmes psychanalytiques, leur relation est saine, leurs rapports sexuels consentis et protégés. Parce que oui, il faut quand même dire que c’est assez chaud (ou spicy, dit-on sur Booknode), c’est l’été, ils ont 20 ans et beaucoup d’hormones… Enfin les 4 ou 5 scènes de sexe ne sont pas là que pour satisfaire les dites hormones du public visé, mais servent (un peu) au récit. Il y a quelques facilités d’écriture : « Allons chercher les bandages. Tu peux bander en premier si tu veux » (p. 131), « Je sirote un café que j’ai acheté dans une station-service, amer et brûlé, à l’image de mes sentiments » (p. 185), mais il y a surtout une des phrases les plus drôles que j’ai lues cette année – moins que celle sur l’érection matinale de Hazelwood, indépassable :

Oh non. Je vais avoir une érection devant tous mes amis. (p. 42)

Hannah Grace a conscience du risque du cliché, qu’elle écarte habilement en faisant du personnage d’Aurora une lectrice connaisseuse des romances young adult et leurs tropes. L’autrice joue avec certains codes : les scènes de sexe n’arrivent pas toujours là où on les attend. À l’occasion de leur jour de repos commun et d’une randonnée dans la montagne, je m’attendais bêtement à ce qu’ils se sautent dessus à la première occasion venue, mais non, ils se baignent dans une crique, se psychanalysent l’un l’autre et se caressent la tête. Romance is not dead

Après un build-up sur plusieurs chapitres autour d’un orage, et de la peur des orages d’Aurora, il finit par éclater. Elle hésite longuement entre respecter les règles, et aller voir Russ dans son chalet pour un peu de réconfort. Elle se décide, y va, mais personne ne lui ouvre… car il était allé la voir dans son chalet pour vérifier qu’elle allait bien. Annnnnnnw…

Moralité : pour encourager les jeunes à passer le BAFA, il faut inscrire ce livre dans les programmes scolaires. C’est une lecture d’été, légère, pas demandante pour un sou (à part au début pour retenir les noms), avec des personnages mignons comme tout. Et en plus, il y a des petits chiens vraiment trop choupis.

antoinegrivel
6
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le 21 juil. 2024

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Antoine Grivel

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