Yirminadingrad, petit port de la mer noire, a visiblement mal vécu la transition au capitalisme après la chute de l'URSS. Car il n'y a guère d'espoir dans cette ville : l'industrie périclite, les chiens redeviennent sauvages, la violence est omniprésente... A une guerre avec un pays voisin s'ajoutent même des attentats suicides.

La vingtaine de textes de ce recueil, décrit autant de personnages de cette ville : ouvriers, enfants, flics nous racontent leurs douleurs, souffrances, perversions et malheurs.

On remarquera en particulier Demain l'usine, où, pour maintenir artificiellement les emplois, deux ateliers s'acharnent l'un à démonter la production de l'autre, rien ne sortant de la fabrique depuis 15 ans. L'absurde atteint son paroxysme le jour où la direction décide d'augmenter les cadences, ce qui déclenche ainsi une terrible grève puis des émeutes où les ouvriers inutiles, déjà désespérés depuis longtemps par ce simulacre de travail, retrouveront un semblant de dignité.
A l'opposé de ce texte militant, Sache que je te réserve est une référence évidente au Crash de Ballard : un pilote d'avion se livre à des ébats sexuels dans un simulateur de vol où il reproduit des crashs aériens.
Dans une veine expérimentale proche, Tarmac penthouse nous livre trois récits parallèles, imprimés sur trois colonnes, décrivant un trajet en voiture entre un aéroport et une maison. Est-ce la même histoire ou trois parcours différents ? Difficile de le savoir avec certitude.
Les 18 autres textes du recueil oscillent entre le réalisme prolétarien et une écriture expérimentale rappelant la speculative fiction. On pourra juste regretter que ces expérimentations rendent abscons un ou deux textes, notamment 10101 (rhapsodie) (les auteurs évitent d'ailleurs d'écrire le chiffre 21 tel quel tout au long du recueil).

On pourrait rapprocher Yama loka terminus de la science-fiction politique française des années 70, mais ce serait une erreur : ce livre profondément noir ne promet pas de lendemains qui chantent ni d'utopie verte. Au contraire, cette vision désabusée d'un futur possible à une Europe de l'Est vieillissante nie tout espoir de se raccrocher à la modernité.

Mais même si le futur n'y est pas vraiment joyeux, allez visiter Yirminadingrad : on y trouve un ensemble d'histoires très fortes, peuplées de personnages formidables dans leurs folies et leur désespérance, soutenues par une écriture belle et efficace.
rmd
9
Écrit par

Créée

le 26 févr. 2013

Critique lue 348 fois

4 j'aime

rmd

Écrit par

Critique lue 348 fois

4

D'autres avis sur Yama Loka terminus

Yama Loka terminus
rmd
9

Critique de Yama Loka terminus par rmd

Yirminadingrad, petit port de la mer noire, a visiblement mal vécu la transition au capitalisme après la chute de l'URSS. Car il n'y a guère d'espoir dans cette ville : l'industrie périclite, les...

Par

le 26 févr. 2013

4 j'aime

Yama Loka terminus
Ertemel
10

Fragments d'un ailleurs proche (Yama Loka Terminus)

« Yama Loka Terminus » ressemble à un recueil de nouvelles. Nouvelles extrêmement diverses, où Léo Henry et Jacques Mucchielli explorent tous les territoires connus de la fiction, et en expérimentent...

le 14 nov. 2014

Du même critique

La Ménagerie de papier
rmd
8

Critique de La Ménagerie de papier par rmd

Voici donc, quasiment en première mondiale (juste après la Chine), le premier recueil de nouvelles de Ken Liu. Sur les dix-neuf récits qui le composent, sélectionnés par Ellen Herzfeld et Dominique...

Par

le 2 mai 2015

16 j'aime

5

Victus
rmd
9

Dommages à la Catalogne.

Soyons francs : un livre historique sur un ingénieur militaire spécialiste de la construction de forts et de tranchées à l'époque de louis XIV, ca n'a pas l'air franchement excitant. Ajoutons une...

Par

le 15 août 2013

15 j'aime

Anamnèse de Lady Star
rmd
9

Critique de Anamnèse de Lady Star par rmd

Trois ans après Cleer, voici le deuxième ouvrage de l'entité bicéphale L.L. Kloetzer, toujours dans la collection Lunes d'Encre de Denoël. A l'origine de ce récit, la nouvelle trois singes, parue...

Par

le 5 mai 2013

14 j'aime