Pantalon trop court, longues chaussettes blanches et petits souliers noirs, chemise rose et vert pâles boutonnée jusqu’en haut, veste en laine verte trop grande, allure de nerd dégingandé, le Néo-Zélandais installé à Londres Connan Mockasin parle. Mollement, par hachures, le doux rêveur explique sa fascination pour le Japon et la poésie baroque des films d’animation de Miyazaki. Ça se passe quelques jours après le tremblement de sa terre natale. Quelques jours avant celui des îles nippones. On écoute son album Forever Dolphin Love, sorti depuis des mois ailleurs qu’en Europe, à peu près mille fois par jour depuis sa découverte, au lendemain des Trans Musicales de Rennes. De ces catastrophes, en poussant le bouchon une année-lumière trop loin, on aurait pu subodorer que l’album de Mockasin était une sorte de signe précurseur : l’irradiation à la folie de ce type et sa relation intime avec l’âme terrienne et les mouvements océaniques semblent consanguins à son auteur. Car Connan est un garçon étrange. Il a passé son enfance à bâtir ses propres mondes avec des trucs et bidules dégotés dans le jardin familial. “J’avais deux frères, on utilisait les déchets des vignobles et des fermes qui entouraient notre maison pour les recycler, fabriquer des objets. Notre jardin était comme un dépotoir. Maman nous aidait beaucoup.” Vers l’âge de 4 ans, il decide de changer de sexe. “Pendant six mois, j’ai vécu en tant que petite fille : mon nom était Daisy. Mes parents se demandaient un peu ce que je faisais, mais ils sont entrés dans le jeu.” Plus tard, il se met à la musique. Avec des instruments de bric, de broc, sans doute pleins de bestioles étranges, jamais loin des démons envahissants, des trains fantômes qui le passionnent, des créatures fantasmagoriques qui l’accompagnent, de tous ses drôles d’amis imaginaires. Il a publié quelques albums sous le nom de Connan & The Mockasin. Puis ce type, depuis très recherché (Thom Yorke est, dit-on, grand fan, le génial Erol Alkan a publié son album, il a collaboré avec Fatboy Slim sur un morceau de son Brighton Port Authority, a récemment composé pour Charlotte Gainsbourg, écrit avec Sam Eastgate de Late Of The Pier…), a dessiné les arabesques sublimes de Forever Dolphin Love dans les boiseries craquantes d’une vieille baraque abandonnée près de Wellington. Un chef-d’oeuvre, écrit et déroulé comme un gamin perturbé déploie son subconscient dans des rêves incongrus, comme un adulte déçu s’échappe de la pesanteur des réalités dans un trip au LSD. “Ce ne sont pas des chansons que j’ai choisies puis placées dans un certain ordre pour en faire un disque. J’ai écrit et enregistré en même temps, du début à la fin, tout seul la plupart du temps, ce que j’avais dans la tête. Puis quand j’ai atteint 36 minutes, j’ai simplement arrêté.” Que les choses soient claires : Forever Dolphin Love restera sans doute comme l’un des plus beaux albums de l’année. Pas réellement un album : un océan, plutôt. Un sac et son ressac, sous haute influence lunaire, des morceaux qui coulent les uns dans les autres, algues placides pliant mollement au gré des courants doux. Quelque part entre Air (mais dans l’eau), la belle époque du Gainsbourg enfumé, les merveilles stellaires des Flaming Lips, Forever Dolphin Love est un grand disque de psychédélisme tendre (le mini-tube Egon Hosford) et de chansons-univers (Megumi the Milkyway Above, It’s Choade My Dear) qui ne s’embarrassent pas des questions d’espace ni de temps (la longue et variable Forever Dolphin Love, fascinante sirène). C’est le disque de chevet de Morphée – il pourrait à son écoute lui-même sombrer dans le plus beau des rêves. (inrocks)


Un an après sa sortie sur Phantasy Sound, le label d’Erol Alkan, l’album de Connan Mockasin revit dans une version augmentée d’un enregistrement live, et sous un nouvel intitulé. Ce bizarre objet pop s’accompagne de vidéos qui dépeignent l’univers hors du temps et profondément déstabilisant du troubadour néo-zélandais émigré à Londres. Sur It’s Choade My Dear, à la manière du Beck déglingué de Whiskeyclone Hotel 1997, lui aussi grand admirateur des basses rondes concoctées par Jean-Claude Vannier pour Histoire De Melody Nelson (1971), Connan minaude de sa voix plaintive. Poétiquement abstraite, enfantine mais gorgée d’émotions, sa musique charrie des torrents de larmes sur des bribes d’orchestrations. Pas si éloigné de la folie de Syd Barrett ou du psychédélisme de Gorky’s Zygotic Mynci, le monde onirique et fondamentalement unique du baladin fluet culmine au long des dix minutes de Forever Dolphin Love, tel un songe cinématographique, à la fois merveilleux et morbide.La bossa-nova déglinguée de Faking Jazz Together et le déboulé baroque digne d’un western-spaghetti de Turn Me Into The Snat marquent à vif les plaies d’un songwriter en pleine rupture sentimentale. Ce disque est une expérience auditive qui se situe foncièrement aux antipodes de la musique formatée de notre temps, une sorte de Magical Mystery Tour dont le script aurait été écrit par Tolkien et adapté sur grand écran par Lynch. Connan Mockasin, ce nouvel ami pour la vie, apaise les cœurs sensibles en façonnant un écrin enjôleur dans lequel rêves et cauchemars se confrontent à sa psyché enchanteresse. (magic)
bisca
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le 10 avr. 2022

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