Douze ans après ses débuts dans le monde de la musique, Louane peut se vanter d’une très belle carrière. Une réussite dans la durée, malgré le succès inattendu et encore inégalé de « Chambre 12 », son premier album et le plus vendu en France en 2015. Album qui l’amènera même à recevoir un César (car repérée pour jouer dans « La Famille Bélier »). Louane a toujours réussi, notamment par sa pudeur, à esquiver la controverse. Enfin…jusqu’à fin 2024. En effet, depuis début 2025 et son passage à l’Eurovision, la chanteuse a créé un conflit fascinant au sein de ses admirateurs. La raison à cela est l’apparition dans sa liste de chansons d’un titre « Maman », éponyme d’un des tubes phares de son premier album. Cette chanson, qui se veut une suite de celle de 2015, a même fini par remplacer l’originale sur les comptes de la chanteuse, provoquant l’indignation de certains. J’aimerai donc, après avoir proposé une brève analyse comparative des deux œuvres, revenir sur ce choix au premier abord étrange mais en réalité philosophiquement pertinent et à contre-courant de la vision contemporaine qu’on se fait de l’art.
« Maman » (2015)
Les amants passent de lit en lit
Dans les hôtels, sur les parkings
Pour fuir toute cette mélancolie 
Le cœur des villes a mauvaise mine 
Malgré le fait que « parkings » et « mine » ne riment pas, j’aime beaucoup ce quatrain en huitain ABAB. Il y a une sorte de rime de sens. Le texte serait beaucoup plus clair si on faisait du AABB. Mais ce couplet est écrit de telle sorte à ce que les deux idées se mélangent et se renforcent mutuellement. D’une part, il crée une dégradation des lieux de rencontres (qu’on suppose liés à une activité sexuelle) sûrement lié à une perte de repères moraux ; et d’autres part, il dégrade la vision de la ville qui se lie naturellement avec la mélancolie et la perte de repère moraux. On peut d’ailleurs supposer que le dernier refrain veut dire « le cœur des gens de la ville » et qu’elle sous-entend que ce sont de mauvais aimants, ou que tous les citadins sont tristes. Ce quatrain joue sur un aspect de flou où il est difficile de poser le doigt sur ce qui ne va pas, mais un profond mal-être sous-jacent s’en dégage et se poursuivra dans le reste de l’œuvre de manière plus ou moins marqué. Ce changement de rimes atténue également l’idée assez « brutale » de sexe sans lendemain, déjà limitée par la formule très poétique du premier vers.
Des coups de blues des coups de fil
Tout recommencera au printemps
Sauf les amours indélébiles
Les rêves s’entassent dans les métros
Les gratte-ciels nous regardent de haut
Comme un oiseau sous les barreaux
On est encore face à un échec de rimes (ABACCC) que je ne défendrai pas ici et qui n’est sauvé que par les talents d’interprètes de la chanteuse. On retrouve ici aussi un sous-entendu sexuel dans les 3 premiers vers où j’imagine que printemps fait écho à la saison des amours. Louane parle encore selon moi de relations centrées autour du sexe qui s’alternent entre des périodes d’évitement (coups de blues) et des périodes de besoins (coup de fil = appel), chose pas forcément très saine. Il y a un problème de formulation dans la fin du pré-refrain. Ce sont les rêves (vers 4) et non les gratte-ciels (vers 5) qui sont comme des oiseaux (vers 6). La structure porte à confusion. Elle semble indiquer que Louane voulait poursuivre sa chanson de la même manière que le premier couplet mais que cette idée a été abandonnée en cours de route (le vers 5 n’étant pas lié aux vers 1,2 ou 3). On voit une fois encore Les paroles sont divisées en 2, d’une part l’amour (ou plutôt des relations sexuelles) et d’autre part la ville, que Louane n’évoque qu’avec des paroles fielleuses. C’est sûrement lié au fait que Louane a dû, pour des raisons professionnelles, quitter Hénin et ses quelques milliers d’habitants pour Paris et ses quelques millions. Selon elle (en 2015) la ville emprisonne les rêves et surtout donne une impression d’insignifiance voire d’étouffement dont elle se sent prisonnière. Même si je trouve la comparaison visuellement étrange les ressentis de Louane s’expriment bien par un oiseau, bloqué sur terre, fixant le ciel (d’où l’idée de barreaux et non de murs), ne pouvant voler.
J’suis pas bien dans ma tête, maman
J’ai perdu le goût de la fête, maman
Regarde comme ta fille est faite, maman
J’trouve pas de sens à ma quête, maman
Il y a 3 éléments intéressant dans ce refrain. Premièrement, Louane se permet l’utilisation du « Je ». Comme si tout ce qui était dit plus tôt n’était pas son avis mais la description d’une réalité dont elle ne trouvera pas d’échappatoires. Deuxièmement, c’est le seul moment où Louane parle en « Français parlé » avec la suppression du « e » de « je » dans les vers 1 et 4. Cela donne l’impression que Louane n’arrive plus à se contenir, que cette partie va au-delà de ce qui était prévu lors de l’écriture. Enfin troisièmement, « Maman » n’est évoqué qu’ici, alourdissant l’appel à l’aide. Cette chanson n’est pas vraiment pour ou à propos de la défunte mère de Louane. Elle parle du mal être existentiel de son interprète qui face à cela ne peut rien faire d’autre que d’appeler sa mère et donc de revenir dans un passé où le monde était plus sain (amour familial) et où la ville (et donc plus globalement son rapport aux autres) moins oppressant. D’ailleurs, pour la première fois que Louane réussi à tout faire rimer, « Maman » occulte tout, montrant un trouble même artistique. 
A l’heure où les bars se remplissent, 
Cette même heure où les cœurs se vident
Ces nuits où les promesses se tissent
Aussi vide qu’elles se dilapident 
À mon grand désarroi, on perd complètement la structure divisant en 2 parties égales le mal être sexuel/affectif et le mal être urbain (sur une chanson où les couplets font deux quatrains et ou le refrain prend 60% de la chanson c’est un peu la tristesse). C’est aussi la partie la moins bien écrite de la chanson notamment par les répétitions grossières de « l’heure » alourdie en plus dans le deuxième vers et de « vide »). La raison à cela est une continuité de l’idée des rimes ABAB qu’il faudrait mettre en AABB pour comprendre, mais exécuté de moins bonne manière que dans le premier couplet, ce qui a obligé Louane à mettre de grosses ficèles de sorte à ce que l’on comprenne. Nonobstant, la première fois qu’on écoute la chanson, on a surtout l’impression que tout se connecte mal. Si on considère Le bar comme un lieu de sociabilisation, je pense que dans ce couplet Louane voulait dire que dans ces interactions avec des gens (notamment amoureuses), elle n’arrive pas à se projeter ; car une fois la relation consommée, les gens semble se désintéresser et donc briser la promesse implicite d’essayer de créer une relation saine. Et cette idée que cœurs sans émotions qui en viennent à faire promesse au vent pour tromper/voler (d’où l’utilisation du mot « dilapident ») brise complètement les perspectives de futur heureux de la chanteuse.
~~Refrain 2
Regarde comme ta fille est faite, maman
J’trouve pas de sens à ma quête, maman
Je finirai cette chanson par un aspect important du refrain omis plus tôt. La dégradation de l’état de son interprète. On passe d’un : j’ai un problème et je n’arrive pas à être heureuse à : je suis comme ça et je n’ai aucun avenir. Le vers 3 quitte même le « Je » qui semble structurer le refrain pour montrer un espèce de regard fataliste sur sa situation. Le choix de refaire une boucle avec juste les choix des deux protagonistes scelle le sort de sa chanteuse, sans future qui conclut sur « maman » montrant qu’elle ne s’est pas libérée de l’appelle à un bonheur passé pour combler le vide de sa situation actuelle. 
Même si certains peuvent s’ambiancer dessus, le titre Maman (2015) de Louane reste avant tout un titre profondément triste, voir même fataliste si on omet le léger sous-entendu que la recherche de sens à sa quête lui permettra de sortir de cet enfer. On peut donner à Maman beaucoup de qualité, comme sa dissonance entre structure et sens maitrisée dans sa première partie (et à ma connaissance jamais vu ailleurs), sa pudeur notamment sur le thème des relations sexuelles, la nostalgie ou encore sa situation familiale et un détachement du soi qui facilite l’appropriation de la chanson mais des auditeurs dans le même cas qu’elle. Malgré toutes ces éloges la chanson souffre de gros problèmes de structures et d’un rapport refrain/couplet peu avantageux qui viennent miner sérieusement tous les bons éléments évoqués plus haut.
« Maman » (2025)
Il est d’abord bon de préciser que cette chanson est sortie dans un contexte particulier étant donné qu’elle avait pour rôle de représenter la France à L’eurovision. Peut-être que Louane a été plus limité créativement parlant ce qui expliquerai le manque de subtilité et de pudeur que Louane semble affectionner. La chanson est composée de deux "super couplets" (qu’on peut diviser en 6 quatrains) mais assez courts (de l’ordre de 5 syllabes par vers) et 3 refrains en quatrain (octosyllabe).
Y’a plus d’amants, 
Y’a plus de lits
Finalement tu vois 
J’ai construit ma vie
On commence avec 2 vers à 4 syllabes suivi de 2 vers à 5 syllabes. On reconnait tout de suite que cette chanson s’inscrit dans la continuité de la version de 2015 par la présence d’un échec de rimes (« mants » et « vois »). Ah et aussi on retrouve les mots « amants » et « lit ». Si la formulation « Y’a plus » fonctionne dans le premier cas, ce n’est pas le cas du second qui aurait mérité quelque chose comme « plus d’autres lits » pour gagner en limpidité. Mais le plus intrigant, c’est que dès le premier couplet, trois éléments viennent directement en contradiction de la version de 2015. Premièrement l’utilisation du « langage parlé » avec « Y’a plus ». Si on avait donné raison à Louane qui donnait à son refrain un aspect plus émouvant par cet ajout en 2015, le mettre aussi tôt n’a aujourd’hui qu’une signification lointaine (dire que dès le début le texte l’émeut tellement qu’elle n’arrive pas à dire son texte) ; et donne surtout une impression que le texte est mal écrit. Deuxièmement, Louane utilise « Je », ce qui casse l’idée d’universalité de la musique originale. Et troisièmement, la mère est devenue un personnage et non une idée d’un passé joyeux.
Et le vide est grand
Les questions aussi
Toi tu vas comment ?
Est-ce que tu vois tout ici ?
Il est étrange de faire du 5-5-5-7 syllabes dans la partie méridionale du couplet, le dernier vers se prête mieux à ce changement de rythme. Le mot « vide » est étrangement utilisé car présent dans la chanson de 2015 pour exprimer un manque d’émotions ; alors qu’ici il a un rôle strictement inverse. J’imagine que par ces questions et aux vues du prochain couplet, Louane cherchait à montrer une émotion mixte de tristesse et d’acceptation, mais la symétrie fait plutôt effet de séparateur et laisse le spectateur plutôt confus.
Et j’ai bien changé
J’ai bien grandi
De toi j’ai gardé 
Tout ce qui fait qui je suis
Selon moi, il manque un « mais » au vers 3 pour garder une vraisemblance au sein du couplet. Comme pour l’idée évoquée précédemment, dans ce cas on a une impression que l’interprète ne lie bien pas les idées d’évolution et de conservation.
Je vais mieux je sais où je vais
J’ai arrêté de compter les années 
Et si j’ai voulu arrêter le temps
Maintenant c’est moi qu’elle appelle « maman »
Maman, maman, maman
Le premier vers est une réponse au refrain de la version de 2015, même si quelque chose comme « Regarde-moi, je sais où je vais » répondrait mieux aux deux vers mis en avant dans sa conclusion. Les vers 2 et 3 viennent d’autant plus contrecarrer les derniers mots du titre de 2015 qui bloquaient Louane dans le passé. Le vers 4 (où plutôt le 1) se plante à conserver les rimes derrière le « maman » et donc à faire écho à l’ancien refrain. A part ça, le refrain s’impose comme la meilleure partie de la musique et établie le mieux des liens entre les deux chansons. Maman reprend ici son sens symbolique, de par son rôle de mère, Louane sous-entend qu’elle a retrouvé un bonheur équivalent à la nostalgie qu’elle chérissait. Pour les « MAMAAAANNNNNN » j’imagine que c’est un exutoire d’un trop plein d’émotions ou une idée de cycle. Dans les deux cas je trouve l’idée très mal exécutée, causant une vraie lourdeur tentaculaire au sein de la chanson proposée.
J’ai trouvé l’amour 
Indélébile
Tu sais le vrai le « toujours »
Même quand le temps file
« Indélébile » est une référence à l’ancienne musique de 2015 que Louane appuie beaucoup ici. Je trouve toujours un manque d’emboitement, notamment entre les vers 3 et 4 . Je suis cependant près à le pardonner du fait que je surinterprète en liant « file » à tout le joli sous-entendu du vers « des coups de blues des coups de fil » de la version de 2015 qui donne un sens (être toujours là même quand il n’y a pas de désir sexuel).
Quand il me tient par la main
J’ai plus peur de rien
Et ça m’fait comme avant
Quand toi tu me tenais la main
Je ne sais pas si c’est une référence de mettre de telles similitudes entre les vers 1 et 4 mais réalisé de manière aussi proche donne un résultat très laid à l’oral. Je ne comprends pas trop l’utilisation du mot "peur" qui est un des rares sentiments péjoratifs non utilisés de la version de 2015.
~~ Refrain 2
Maman (x6)
~~ Refrain 3
Maman (x5)
Et si j’ai voulu arrêter le temps
Maintenant c’est moi qu’elle appelle 
Maman
Enchainer les refrains (sûrement pour l’iconiser) et surtout doubler les « Maman » est pour moi une faute de forme. Cependant enlever un « Maman » pour faire comprendre que la musique n’est pas terminée est élégamment judicieux. De la même manière qu’en 2015, Louane conclut en répétant les deux derniers vers de son refrain, qui libère cette nouvelle version du fatalisme de celle d’il y a 10 ans. Cet élan d’espoir est démultiplié par l’ingénieuse et très médiatique idée de faire chanter le dernier "maman" à sa fille.
En conclusion, il est très difficile de parler de suite directe pour maman 2015. Déjà pour des questions de structure (le jeu des vers n’est ni conservé ni rappelé), de thématiques (la ville a complétement disparu des thèmes abordés) et enfin du rôle de la mère dans la musique. Dans le premier « Maman » est symbole d’un temps passé, plus heureux ; elle ne fait pas partie de la discussion. Dans le deuxième « Maman » est hybride, omniprésente de l’œuvre en tant que personnage excepté durant les refrains où elle redevient. Maman de 2015 aurait pu s’appeler « Papa » ou « Hénin », la version de 2025 par le thème de la maternité ne peut s’appeler que Maman.
Si vous avez lu l’analyse des deux œuvres, il n’est pas compliqué de savoir celle que je préfère ; et j’avoue que la suppression de Maman (2015) des plateformes d’écoute musicale m’ennuie fortement. Cependant je comprends et défends l’idée de Louane de supprimer cette chanson.
« L’art » en tant que tel n’a pas une définition propre. Celle concernant un caractère immuable propre à celui-ci n’est pas commun. Le cinéma n’a par exemple pas historiquement pris la peine de conserver ses films, les bobines de l’époque coutant assez chère et étant réutilisées. Dans une moindre mesure les remakes s’ils sont bien réalisés (donc pas comme les Disney en image de synthèse dont la simple existence est une insulte au 7eme art) amènent au remplacement de l’œuvre existante.
En plus de l’aspect légal qui n’empêche rien à Louane à ce sujet, l’aspect moral est donc limité car la suppression de la chanson n’est pas définitive pour le grand public qui pourra toujours profiter de la musique sur d’autres canaux de diffusion parallèle. La suppression ne concerne que ce que la chanteuse considère comme son œuvre. De plus, j’ai l’impression que beaucoup ont oublié l’aspect déprimant et sans espoirs de la première chanson. C’est une manière pour Louane qui a rendu le fatalisme de sa situation immuable par la mise en vers (enfin de la poésie…à deux trois problèmes de rimes près) de sortir d'un piège de tristesse. Elle l’explique d’ailleurs très bien : « Pour la première fois je vis enfin bien, et cette nouvelle chanson existe pour cette raison. J’aimerai que ce soit la seule chose que l’on retienne, plutôt que de ressasser le passé. »
Je ne vais pas jouer à la girouette et vous annoncer que je suis un grand fan du travail de Louane. Allez faire un tour sur mes notes et vous verrez qu’à part « Si t’étais là » (dont j’ai fait une critique) je trouve son travail au mieux moyen, qualité dont peuvent prétendre les deux chansons « Maman ». Cependant pardonnez-moi de l’expression, mais cette nana a des ovaires ! Suivre ses préceptes même si ça implique de se débarrasser d’un de ses plus grands succès ; franchement madame n’ayez pas honte de votre vision l’art, vos choix de vie et votre volition imposent le respect. Je ne connais pas Louane mais avec ce choix controversé je suis persuadé qu’elle a réellement trouvé le bonheur. Donc indirectement, cette chanson à l’Eurovision peut prétendre à la réussite. Les barreaux n’étaient donc pas bien gros, les rêves de Louane se sont envolés, bien plus haut que le chagrin, bien plus haut que le passé. Je pense que de là-haut, ils doivent regarder ces insignifiantes et arrogantes tours de verre, d’un air narquois.
Le monde de l’art n’est pas celui de l’immortalité, c’est celui de la métamorphose
André Malraux