Mistral gagnant
7.9
Mistral gagnant

Morceau de Renaud (1985)

Lorsque je suis né, on m'a probablement mit les mauvaises lunettes afin de voir la vie. En haut, quelqu'un s'est dit : " lui, on lui met une vision couleur. Mais l'astuce pour le faire bien chier, on va lui foutre un filtre en noir et blanc! Il va voir les couleurs mais mentalement, toute sa vie, il va la voir en gris! Allez, on le fait...". C'est ainsi que depuis ma jeunesse, il n'y a presque rien à faire. Le gris prédomine. Ce que ça implique? Il faut s'imaginer traverser les jours sans réelle joie, envie, et bien entendu, couleurs. Le mot morose ne représente pas bien le contexte alors j'utiliserais plutôt taciturne contemplatif. J'analyse pratiquement tout malgré le fait que j'en ai rien à foutre et le résultat de cet analyse ne donne absolument rien sinon que je comprends adéquatement la " game". J'ai souvent raison. Toutefois, ça n'a aucune incidence. En bref, je suis un pelleteur de nuage. Cependant, là-haut, ils ont laissé une petite ouverture en ce qui concerne le beau, la beauté, l'amour. Cette minime faille, ce sont les enfants...


A la base, Renaud, rien à foutre. Je le connaissais à peine et n'avait pas d'opinion particulière sur sa carrière. Un ami m'a conseillé l'écoute lorsque j'ai eu mon premier enfant. Lire ici que tout s'applique aux 2 suivants. Quoiqu'il en soit, lorsque j'ai prit connaissance de la chanson et surtout des paroles, j'ai versé une larme. Curieusement, pas une larme de tristesse. Plutôt un petit écoulement oculaire dû à l'authenticité d'un beau texte. Ce qui est frappant avec ce titre, c'est qu'on peut voir la scène au fils des mots. On peut s'imaginer être celui qui s'asseoit sur un banc 5 minutes avec son enfant. De la même manière, je visualisais le portrait en me comparant à l'auteur, père, homme mais aussi adolescent quelque peu insouciant, volage, déglingué. Du coup, le carrousel des souvenirs s'est mit à valser à sa guise dans ma tête de con...


Ces instants de vie près de mes enfants ont été enregistrés dans un coin de ma tête depuis le tout début de leurs existences. Je me souviens les journées au parc où, fatigué par un quotidien trop rempli , je prenais tout de même plaisir à contempler ces petits bouts d'humains qui gambadait de modules en modules, le sourire aux lèvres, inconscients de tout le bazar adulte. Marcher avec eux à d'ailleurs ce quelque chose de magique. Lorsque une traversée se pointe, où danger il y a, automatiquement, leurs petites mains se dirigent vers celle du parent. De minuscules doigts boudinés serrant mon gros doigt. Ou encore, une main si petite que la mienne arrive à toute la prendre en fermant doucement le poing. Des cheveux en bataille les matins, l'odeur du shampoing pour bébé dans cette tignasse généreuse avant le dodo. Et par-dessus tout, le paradoxe du câlin. Comment un si petit morceau d'humain, s'approchant d'un papa lourdeau, peut arriver à provoquer autant de bonheur en faisant un câlin. Comme si le rôle de parent prenait tout son sens à travers des bras d'enfants. J'ai pris un nombre incalculable de photos mentales de ces moments et les ai cachées dans la voûte de ma mémoire section souvenirs. Mais ce qui s'avère le plus grand mystère pour une tête de père sans mode d'emploi demeure l'occupation incessante qu'ont mes enfants à travers le tumulte de la vie quotidienne. Toujours quelque part au fond du cœur, toujours une image d'eux a travers les yeux. Puis, comme un vent qui a soufflé, le temps a passé...


Il ne m'est plus donné de serrer ceux-ci comme j'aimerais le faire. S'il fallait justement démontrer mon amour pour eux par un câlin, nul doute que je les briserais tellement ils ont de l'importance dans une vie sans couleur. Aujourd'hui, je repasse tous ces souvenirs dans mon esprit et malheureusement, c'est comme si je devais les regarder à travers une fenêtre, comme si un fin brouillard séparait ma main de la leur a cause d'un temps définitivement assassin ( Renaud). Il y a aussi les jugements qui viennent teinter ces images précieuses en les couvrant de gris. Ce que je suis devenu versus ce qu'ils auraient espéré. Celui que je crois avoir été contre celui qu'ils ont interprété. La distance qui s'est créée face à un monde en ébullition qui vole l'enfant qui devient grand a l'adulte qui se sent maintenant petit.


Puis, maintenant assis seul sur le même banc ou on le faisait 5 minutes avec son gamin( Renaud), on revoit les scènes avec mélancolie. Le titre de père ne se résume pas qu'au câlins. Il faut un homme droit, fier, solide. Et sur ce banc à moitié vide, il m'apparaît que j'aurais dû, j'aurais pu et un millions d'excuses. Paumé par diverses épreuves, solitaire comme s'il y avait célibat depuis toujours, lointain par mentalité énormément plus que par choix, je tente par tous les moyens de trouver la clé du cœur à chacun afin d'y insérer un amour certes dépassé dans leurs esprits néanmoins inconditionnel dans mon organe vital. Même si, avec le recul, je réalise que ces instants étaient trop rares et précieux, je cherche à laisser quelque chose de beau afin de racheter les manques dont ils ont pu être victime. Teinté de gris, cette beauté que je voudrais donner en héritage n'aura d'autre choix que d'être en noir et blanc.


Je ne sais pas ce que je représente pour eux. Je sais ce que représente mon père à mes yeux. Bien que j'aie essayé de faire de mon mieux, un décalage immense entre lui et moi face à la parentalité s'est créé de lui-même. Pas la même histoire, pas la même génération, séparation et autres merdes sont venus ternir la définition même du mot famille. Toutefois, je ne chercherai pas d'excuse. J'ai dû composer avec mon bagage intrinsèque afin de peindre la toile sans avoir accès à toute la palette issue des arc-en-ciels. Possible que je sois pour eux une sorte d'étranger au visage familier plus qu'un père. Un ours dans sa grotte. Un père absent ou un paumé. Je ne saurais le dire. Mais malgré cette laideur que j'interprete en ce qui concerne mon rôle, eux, n'auront pas à se poser ces questions ou à se demander ce qu'ils représentent pour moi.


Car, ce don ou cette malédiction qui m'a été donné , cette capacité d'analyse de tout ce qui ne fonctionne pas, cette faculté à percevoir la laideur du monde, il demeure qu'ils m'ont fait le plus beau cadeau qui soit. A travers la pénombre, les épreuves, les merdes et tout ce que je ressens comme étant laid, assis sur ce banc, à présent vide de rires gamins, je regarde au loin. Une larme tombe de mon œil droit, celui qui voit le passé. Ce n'est pas de la tristesse. Plutôt touché. Parce qu'ils m'auront permis de voir à quoi ressemblait la couleur quelle qu'elle soit. Depuis le tout début, ils auront réussi à passer à travers le filtre et du été ce qu'il y a de plus beau


Jean-francoisBohémie
9

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Créée

le 21 oct. 2017

Modifiée

le 21 nov. 2025

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Johnny B

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4

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