Les premières secondes de l'album Wish You Were Here sont caractérisées par un silence pour le moins apaisant, lentement brisé par un petit staccato synthétique après lequel viendra s'installer une ambiance spatiale et éthérée, produite par... des verres à vin! La première partie de l'épique pièce de résistance qu'est Shine On You Crazy Diamond, est un résidu du projet Household Objects, où le groupe avait réussi à façonner cette aura séraphique et lénifiante grâce à un énorme harmonica de verre. Sur ce fond sonore simple et aspirant à la paix se mêlent graduellement de solennelles nappes jouées au Minimoog et à l'orgue Hammond par l'irremplaçable Richard Wright, avant de laisser place à un lent mais magnifique solo de guitare, clairement d'inspiration blues, de la part de David Gilmour, toujours au top, montrant ici une sagesse rare dans la conciliation synthé-guitares. Progressivement, les verres perdent d'intensité... la chanson serait-elle déjà finie? Alors que l'atmosphère aérienne qui avait bercé les trois premières minutes sembla se réduire définitivement au silence, c'est là que le miracle se produisit. Si bémol-fa-sol-mi. Quatre. Notes. Quatre notes sorties de la Black Strat de Gilmour, revenu à l'improviste. Ce que je vais dire pourra vous paraître stéréotypé, mais c'est ainsi, ces quatres notes me font chialer. Serait-ce la nature même de ces dernières, ou le rythme lent et majestueux auquel elles sont entonnées qui m'émeut tant? Je l'ignore. Tout ce dont je sais, c'est que le moment est indescriptible, magique, d'une teneur émotionnelle remarquablement puissante, du même ordre que le ping introductif d'Echoes, des trois notes à l'orgue de Child in Time, de la séquence acoustique de Stairway to Heaven, ou du leitmotiv électrique de Song Within a Song. S'ensuit un lourd moment de silence, faiblement coloré par l'harmonica de verre encore audible, puis de nouveau brisé solennellement par ces quatre mêmes notes. La fréquence à laquelle elles sont répétées s'accélère, jusqu'à ce que la basse et la batterie fassent enfin leur entrée, plus magistrales que jamais. Sur une cadence lente mais assurée, deux soli pleurants de guitare et nostalgiques de Minimoog se succèdent en harmonie, fastueusement comme pour rappeler la présence, ou plutôt l'absence, d'un ami cher... Mais oui, ce diamant fou, c'est bel et bien Syd Barrett! À la conclusion du troisième solo, c'est la voix à la fois fragile et puissante de Roger Waters qui entre en scène, exactement 8 minutes et 43 secondes après le début de la chanson. "Te souviens-tu de quand tu étais jeune?" demande-t-il, avant de se répondre, "Tu brillais comme le soleil." S'ensuit le glorieux et mirifique refrain, ce "Shine On You Crazy Diamond" tant attendu. Des choristes féminines (petit clin d'œil à Dark Side) amplifient la magie de ce moment avec l'aide de l'orgue Hammond de Wright. Un bel instant d'émotion qui figure parmi les plus importantes annales de la discographie de groupe, loin (loin, loin, loin, loin) devant Comfortably Numb et tout le reste. Le chant de Waters, proche de la rupture, continue, se remémorant avec joie ou avec tristesse les gloires du temps passé, avant de laisser place à un autre excellent solo de saxophone, délivré par Dick Parry (Money et Us And Them), sur une splendide et mélancolique ligne mélodique à la guitare, concluant en beauté la première section de Shine On You Crazy Diamond.

La transition entre Wish You Were Here (la chanson) et la deuxième section de ce magnum opus est assurée par un vent synthétique très réminiscent de celui présent sur Meddle (qui contient l'un des plus grands graals de la musique rock, Echoes). Alors que le dit vent commence à devenir angoissant, une basse, jouée par Gilmour cette fois-ci, entre en jeu, répétant un lent et grave ostinato, sur lequel viendront ensuite s'intercaler des power chords aiguës et rugissantes à la guitare électrique, avant que Wright ne nous lance un des plus beaux soli de Minimoog jamais enregistrés, juste derrière celui présent sur l'instrumental Lunar Sea de Camel. La batterie qui structure la séquence est simple et rigide, dictant la cadence aux cris de guitare de Gilmour, qui ne cessent de s'intensifier, devenant de plus en plus strident, jusqu'à ce que ce dernier ne se lance dans un incroyable solo (je pense qu'il s'agit de mon préféré de toute leur discographie), aigu au possible, agressif, mélangeant frustration et mélancolie comme si il chialait de rage. Eventuellement, la séquence s'adoucit pour laisser de nouveau place au thème principale. "Personne ne sait où tu te trouves," nous salue Roger Waters, toujours aussi proche de la rupture vocale que sur la première partie, puis c'est de nouveau le puissant et émotionnel refrain qui refait surface: "Shine on, you crazy diamond!" Après une dernière envolée, toute aussi nostalgique que les deux précédentes, la ligne mélodique à la guitare qui annonçait le cinquième mouvement du morceau (avec le saxophone) revient pour être cette fois accueilli par un excellent groove, tranquille et funky auquel se répondent Gilmour et Wright. Ce dernier aura subséquemment l'honneur de conclure cette fantastique et officieuse aventure musicale avec de longues et très calmes nappes de synthés, accompagnées au piano et à la batterie et emplies d'une majesté réminiscente des quatre notes gilmouriennes du début, comme une marche funèbre, prête à dire adieu définitivement et non sans regret à leur vieux compagnon d'infanterie, ce cher diamant fou, Syd Barrett. Le long fade-out suivant l'arrêt de la batterie est touchant de tristesse et empreint d'un certain sens d'accomplissement, ne manquant pas de faire verser les dernières larmes que cet étonnant morceau ait pu procurer.

Qu'elle soit coupée en deux ou réunie, cette "suite" fait indubitablement partie des trois grands chefs-d'œuvres floydiens, en compagnie des imbattables Echoes et Atom Heart Mother. Pink Floyd est loin d'être le meilleur groupe qui ait foulé le pied sur terre, mais ces trois morceaux-là, pourtant relativement peu complexes par rapport aux contreparties des autres géants du prog comme Yes, Genesis, ELP ou Jethro Tull, sont les plus hauts superlatifs de l'histoire du rock. Que vous mettiez Comfortably Numb ou Money après Stairway to Heaven, j'en ai rien à foutre, mais Echoes, Shine On You Crazy Diamond et Atom Heart Mother représentent, avec les autres épiques prog, l'apothéose de tout ce que ce genre musical ait pu produire jusqu'alors. Point barre.


Première section (20/10)

1) Part 1 (20/10)

2) Part 2 (20/10)

3) Part 3 (20/10)

4) Part 4 (20/10)

5) Part 5 (20/10)

Deuxième section (20/10)

6) Part 6 (21/10)

7) Part 7 (20/10)

8) Part 8 (20/10)

9) Part 9 (20/10)

(Le gras indique ma partie préférée du morceau)


Je sais, je triche en mettant un 20/10 à ce morceau, mais il est de ces pièces musicales desquelles je me sens obligé d'emphatiser leur grandeur, et celui-ci en fait incontestablement partie.

Un sommet.

Créée

le 9 juin 2025

Critique lue 2 fois

Herp

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