4:13 dream serait-il un disque influencé par les mouvements picturaux de la fin du 19ème siècle ? En effet, tout comme "Underneath the stars" rappelait les paysages hallucinés de Van Gogh, "The scream" fait irrémédiablement penser au célèbre tableau du même nom de Munch. Impossible donc de ne pas y associer cette toile expressionniste aux contrastes criards, présentant un personnage au corps déformé par la douleur, menacé par un ciel apocalyptique. Rien de tel pour inspirer à Smith un texte aux accents existentialistes dont lui seul à le secret.
Côté musique, le "psychédélisme graphique" de cette oeuvre ne pouvait engendrer autre chose qu'une atmosphère angoissante, portée par un gimmick étourdissant. Munch avait écrit à propos de son Cri : "J'étais en train de marcher le long de la route avec deux amis. Le soleil se couchait. Soudain le ciel devint rouge sang ; j'ai fait une pause, me sentant épuisé, et me suis appuyé contre la grille. Il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir et de la ville. Mes amis ont continué à marcher, et je suis resté là tremblant d'anxiété, et j'ai entendu un cri infini déchirer la nature...". Et la chanson possède également cette intensité bouillonnante, ce parfum de peur, de menace imminente, qui prend aux tripes. "The scream" est un champignon vénéneux, un cauchemar qui devient réel.
"Yeah I've been this way before / But something down here changed...", annonce Smith d'une voix gutturale, presque monstrueuse. L'inquiétude prend forme lors du premier couplet, où la voix est intelligemment mise en avant. Puis arrive ce riff de guitare caractéristique qui courra tout le long du morceau, le rendant de plus en plus oppressant. Sous divers aspects, "The scream" renvoie à plusieurs titres déjà écrits par le groupe : "Lost" ou "Forever" pour la progression hypnotique, "The blood" pour la mélodie empruntée aux codes du flamenco espagnol, version "côté obscur". Quoi qu'il en soit, le mélange est détonnant : on imagine Smith en vedette d'une étrange corrida, matador malgré lui, blessé, observé par ses démons, jugé par son public. Le taureau a les yeux rouges, flamboyants ("And your eyes are too bright...") ; il est la vie, le temps qui galope, contre lequel on essaye en vain de lutter. Le texte sonde les reflets amers du désenchantement et en exhale des parfums âpres, pestilentiels. A presque cinquante ans (un âge généralement considéré comme un tournant dans l'existence, car il en représente la moitié), rarement le leader des Cure n'aura été aussi lucide : la jeunesse autrefois idéalisée et choyée devient soudain un ennemi intime et cruel, qui ne lui rappelle que trop qu'elle s'éloigne de lui au profit de la vieillesse. Dans tous les couplets, il utilise la métaphore d'un soleil plus pâle, plus distant, plus froid, presque fantomatique, pour mettre des mots sur ce douloureux constat. Ainsi, les saisons défilent d'une seule traite juste avant le hurlement tant attendu, mais le sentiment de déliquescence reste, inévitable. Comme dans tous les mauvais rêves, il y a dans "The scream" une exagération, quelque chose d'irréaliste, une dramatisation de la situation presque caricaturale, qui, associée aux accents latins de la musique, fait merveille.
Autre élément remarquable : cette chanson est très clairement scindée en deux. Il y a un avant et un après le cri. D'ailleurs, celui-ci n'est pas vraiment dû à la peur, mais au désespoir. Il s'agit du cri du condamné qui tente le tout pour le tout et jette ses dernières forces dans la bataille. Après cette plainte monumentale qui réveillerait un mort, la guitare de Porl Thompson semble subir un choc sismique ; en réalité, elle est l'incarnation de l'adrénaline qui envahit le corps de Smith, et c'est un autre combat qui commence, plus rythmé, plus agressif. On sent que la lutte est acharnée, car les démons sont coriaces. "Scream, and you scream / This is not a dream / This is how it really is...", s'égosille Smith, comme si le visage hideux de la réalité lui apparaissait nettement pour la première fois, comme s'il tentait de le regarder sans le fuir. Sa guitare s'emballe de plus en plus, la chaleur l'étouffe. Le décor tourne sur lui-même, semblable à un manège déglingué, devenu incontrôlable. Les deux adversaires se trouvent embarqués dans une danse macabre à l'issue fatale. Au coeur de ce tourbillon, l'homme et la chimère en arrivent à se mélanger, comme le prouve le "we" utilisé dans les dernières lignes du texte ; puis soudain, les esprits s'apaisent, sans que l'on sache vraiment lequel est sorti vainqueur de ce duel éprouvant.
"The scream" se termine ainsi, en forme d'interrogation. Elle ne raconte rien d'autre, finalement, que ce que certains morceaux de l'album précédent avaient déjà esquissé : les doutes du leader de Cure au sujet de la fin de son groupe, et ce que cela entraînerait comme conséquences, comme remises en question personnelles. Si le physique et le mental s'abîment, pourquoi continuer ? Et c'est sans compter sur les fans, qui voudraient que cela dure indéfiniment... Malheureusement pour eux, "It's over", la conclusion de 4:13 dream, sonne comme une réponse qu'ils ne souhaiteraient pas entendre... .