Peut-on réellement surpasser Breaking Bad ?

Better Call Saul est l'exemple type du spin-off qui a tout compris à son matériau de base. En reprenant un personnage populaire mais aux yeux de certains trop peu exploité dans Breaking Bad, Vince Gilligan a fait un choix intelligent, notamment parce que Saul Goodman n'est pas Walter White et que comparer les deux personnages relève d'une impossibilité quasi-mathématique.
De fait, même si les deux séries se déroulent dans la même ville et dans une temporalité proche (BCS se déroule avant, pendant et après Breaking Bad), elles n'ont pas du tout la même approche de leur sujet.
La ou tout l'intérêt de Breaking Bad était de montrer l'ascension et la chute d'un raté qui devient baron de la drogue, et qui en devient mauvais (Traduction littérale du titre de la série) au travers de tous les choix moraux qu'il aura a faire et des actions répréhensibles qui vont passer d'une contrainte à presque quelque chose de l'ordre du plaisir ou même du besoin, Better Call Saul a pour intérêt sa capacité à développer un personnage qui ne devient pas mauvais, mais qui est un produit de ce que le monde à fait de lui.
Ainsi, la ou Walter White agissait, de manière particulièrement badass parfois, Saul subit, du moins pendant un certain temps, avant d'ouvrir les yeux et de profiter d'un monde qui ne lui a pas fait de cadeau. Il n'est pas question ici que Saul perde son humanité et devienne mauvais, il sera toujours incapable de commettre un meurtre par exemple. Il est question d'une prise de pouvoir dans un système qui n'a jamais voulu de lui. C'est en cela que dans un sens Saul Goodman est plus attachant que Walter White, car à la manière d'un Jesse Pinkman, il est pathétique et ainsi rien ne procure plus de joie au spectateur que de la voir remporter une victoire, aussi courte soit-elle. Et de la même manière, chacun de ses échecs nous brise le cœur et nous donne envie de le serrer dans nos bras, jusqu'à ce qu'il se relève à nouveau.
Tout l'enjeu de la série était également d'implémenter des intrigues et des personnages qui n'existent pas dans Breaking Bad. On pourrait penser que cela signifie que chacun desdits personnages est condamné à mourir, mais ce n'est pas forcément le cas. L'exemple de Kim Wexler, la compagne de Saul en est l'exemple type, car elle est dépeinte de telle manière et elle ouvre un tel champ des possibles qu'il est tout à fait envisageable qu'elle survive, malgré son absence dans Breaking Bad, ce qui rend la série également très difficile à prédire à l'avance.
L'autre enjeu de la série, peut-être moindre, était de réussir a faire une série qui ne passe pas son temps à référencer la série mère et qui puisse s'en détacher, et par conséquent se détacher de son côté parfois grand spectacle et surtout de sa violence parfois assez rude. Ici, le contrat est rempli également. Même s'il y a quelques scènes d'une grande violence (En particulier dans la saison 4), la série reste en dehors de cette mécanique qui au fond conviendrait moins à l'ambiance de la série et surtout arrive a reprendre des personnages issus de la série mère en leur apportant quelque chose de nouveau. Si vous pensiez avoir tout vu de Gus Fring ou de Mike Ehrmantraut, vous serez surpris.

De plus en plus de voix s'élèvent et décrivent Better Call Saul comme étant devenue, avec sa saison 4, meilleure que Breaking Bad. A mon avis, la question ne se pose même pas, tant les deux séries visent quelque chose de complètement différent. Better Call Saul est à une échelle paradoxalement beaucoup plus humaine que Breaking Bad, car il est impossible de détester Saul, la seule envie du spectateur est de le voir inventer des plans complètement dingues pour se débarrasser de ces adversaires, un par un, en prenant des coups au passage. Mais le goût de ses victoires en est d'autant meilleur qu'il en évite toujours de passer par la violence pure, tout se joue sur son intellect, sa capacité d'adaptation, son bagout, et peut-être au fond que ceux qui ne sont pas sensibles aux méthodes jouissives et explosives de Walter White trouveront leur compte avec celles de Saul Goodman.

La seule manière de mettre en relation les deux séries est de les considérer comme se complétant l'une l'autre. Il ne s'agit pas d'être meilleur que l'autre, les deux séries sont exceptionnelles, sont des chefs d’œuvres absolus et elles gagneraient sans doute à être considérées pour ce qu'elles sont réellement, deux faces d'une même pièce, à la fois différentes mais complémentaires, l'une n'allant pas sans l'autre.

Breaking Bad fut probablement la série la plus importante des années 2000-2010 voire de l'histoire des séries télévisées. Et Better Call Saul ne fait qu'appuyer ce fait, tout en prouvant que dans cet univers, ce sont avant tout les personnages et leurs trajectoires de vie qui nous passionnent, qu'ils explosent une chambre de maison de retraite avec une bombe planquée sur une chaise roulante, ou qu'ils battent leur pire ennemi par une simple faute de frappe sur un document papier.

Dans les deux cas, on ne peut que crier au génie, et espérer que Better Call Saul connaisse un destin aussi incroyable que celui de Breaking Bad. C'est bien parti pour.