Force est de constater que la plupart des série dites «de vulgarisation scientifique» fonctionnent un peu comme des anesthésiants intellectuels. On se ramollit, on ferme bien les yeux et on ouvre grand la bouche : voilà les images qui défilent et les faits qui s'accumulent. Ne réfléchissez à rien : ça a bon goût, c'est tout ce qui importe.


Il faut donc juste être conscient que regarder Cosmos, c'est moins faire de la science que participer à une grande attraction futuroscope. De belles images, de belles animations, un peu de poésie très clichée mais qui fait toujours mouche (Les indémodables «Regardez comme nos soucis sont petits face à l'immensité de l'univers» ou «Les étoiles que nous regardons sont peut-être déjà mortes.»). La série a la décence de raconter les choses très simplement avec un montage dosé et percutant. Elle a aussi le grand mérite (à mes yeux) de ne pas nous imposer de commentaires pseudo-métaphysiques : la présentation du contexte des découvertes et leur élégante illustration suffira donc à nous sentir libre avec nos craintes existentielles. Pour couronner le tout, le monsieur Tyson m'a l'air d'être un honnête homme qui insiste bien sur le fait que la science, c'est surtout une méthode et une remise en question perpétuelle. Et ça, c'est bien. Je fus vraiment agréablement surpris. La série mérite donc plus que la moyenne.


Mais le tableau est finalement assez loin d'être parfait. Le gros bémol qui me fait grincer des dents est le traitement réservé à l'histoire des sciences : naïf et moralisateur. Vouloir raconter l'histoire par de jolies animations dessinées est une magnifique idée dans la théorie, mais la pratique me rend perplexe : on se retrouve constamment face à des héros trop gentils trop mignons et qui avaient des idées parfaites et se faisaient trop martyriser par tout le monde. On se retrouve par exemple face au sempiternel «Gentil scientifique face à méchante religion» avec ses gros sabots dès le premier épisode. On passe donc allègrement sur le fait que le raisonnement «La flèche qui saute les obstacles» du pauvre Bruno était tout sauf scientifique. Tyson en est parfaitement conscient et, tout honnête qu'il est, fini par nous dire «Le raisonnement de Bruno était plus philosophique que scientifique, mais sa conception permit de servir d'hypothèse de base à tester pour ses successeurs.» Une toute petite phrase pertinente arrivant donc après un bon quart d'heure d'insupportable pathos.


Parfois, le petit cartoon ne prend même pas le soin de faire semblant d'être subtil. Ainsi pour Isaac Newton VS Robert Hooke, nous aurons donc un Isaac un peu exclu, humble et incompris (Normal : il est gentil) contre un Hooke bossu, moche et dégarni. (Normal : il est méchant.) Encore une fois, Tyson est honnête et commence par nous lister les apports scientifiques de Robert (Ô combien nombreux : un formidable expérimentateur.), mais si c'est pour donner ensuite à Hooke cette image caricaturale d'opportuniste frustré. Bof. Et au-delà de ces deux exemples, je vous assure que ces aspects foutrement manichéens se retrouvent dans tous les dessins animés de la série.


Le deuxième gros bémol est évidemment ce sur quoi j'ai bien voulu passer en début de critique. Dès lors que vous vous attardez trois secondes sur ce que dit Tyson, vous remarquerez une grande dispersion dans le contenu : la cause vient surtout du fait que la série veut embrasser le cosmos, eh oui. C'est son nom. On veut ici grossièrement aborder tout, de l'astrophysique à la biologie en passant par un peu de géologie. Donc apprêtez-vous à un festival de notions sortant du chapeau sans aucune véritable explication.


Peut-être l'épisode qui m'a le plus choqué sur ce point est l'épisode sur la lumière. On nous parle par exemple d'onde sans en expliquer le concept. C'est très dérangeant. Pourquoi le son serait une onde ? Pourquoi du coup la lumière serait une onde par analogie avec le son ? Les différentes conceptions corpuscules/ondes de la lumière ne sont même pas citées ! Puis on nous parle de photon. C'est quoi le photon ? Je croyais que la lumière c'était une onde !


Je ne reproche donc pas au documentaire de dire des absurdités mais simplement de ne développer que des «explications» finalement assez superficielle. Pour enfoncer le clou, l'autre exemple que j'ai en tête est l'épisode 4 où l'on discute un peu le fait que rien ne peut aller plus vite que la lumière (Relativité restreinte donc.) et où l'on passe sans transition aux... TROUS NOIRS (Relativité générale donc.) ! Mouvement abusif (ce n'est pas la première fois que je le vois en vulgarisation), mais on explique généralement les trous noirs en disant «Imaginez un machin si massif que même la lumière ne pourrait y échapper.». Donc les deux concepts sont liés par : les mots «lumière», «Relativité» et «Einstein». Ce sera donc suffisant dans la tête des gens. On vient de voyager sans transition entre deux théories totalement différentes dans les concepts utilisés, mais les mots pour parler des deux choses sont semblables, donc ça ne se voit pas. Habile.


On pourrait croire, peut-être à raison, que je ne suis qu'un rustre frustré égocentrique qui pinaille sur des détails. Puis on pourrait me dire que de toute façon, on s'en tape le coquillard. Mais je persiste : cette dispersion et ce manque de clarté m'a été très désagréable dans l'épisode sur le classement stellaire, car je ne connaissais ni cette histoire de Harem, ni le thème scientifique abordé. J'aurais aimé comprendre un peu comment cette chère Payne a raisonné. Puis savoir pourquoi le classement des madames était particulièrement bien pensé. Et puis, pourquoi y avait-il donc un consensus scientifique ? Qu'est-ce qui les empêchait d'en changer ? J'aurais aimé, mais le résumé dans ma tête à la fin de l'épisode fut celui-ci : il y avait des scientifiques idiots qui pensait des choses fausses, puis Payne est arrivé et la pauvre fille gentille s'est trop faite spolié par ses supérieurs. Tout ça parce qu'elle ne croyait pas en ses rêves. Morale : croyez en vos rêves les enfants !


Bon, évidemment, je caricature. Mais bordel : j'ai vraiment l'impression d'être pris pour un gamin de 11 ans lorsque je regarde ça. D'autant que pour avoir fait quelques recherches ensuite, ils ont oublié d'insister sur un point délicat : les dames du fameux harem étaient toutes payées une misère à travailler à la chaîne, avec pourtant le même taux de qualification qu'un homme. D'ailleurs : c'est pour cela qu'elles ont été embauchée ! M'enfin bon, pas trop de pathos à la fois, hein. La cause féministe, ce sera pour plus tard. Ici, on préfère insister à quel point ce fabuleux pays qu'est l'Amérique fut le premier à accueillir des femmes scientifiques.


Pour revenir à nos moutons : cette volonté de voir TOUT le cosmos nous amène finalement au dernier bémol : c'est le bordel. Il n'y a aucune cohérence globale, ce qui est encore acceptable. Mais il y a parfois perte de cohérence au sein d'un même épisode et là c'est un peu plus préjudiciable. Par exemple, je n'ai toujours pas compris ce qu'est censé m'apprendre le sixième épisode. On nous explique les atomes. Ok. Puis on nous parle du microcosmos d'une goutte de rosée. Ok. On nous parle de la photosynthèse. Ok. On parle du noyau et de la fusion nucléaire. Euh... ouais. Puis on termine sur la détection des neutrinos. LOGIQUE. À cela ajoutez l'ordre les épisode que je ne comprends pas. Pourquoi parler de l'électromagnétisme et des atomes si tard ? Et surtout, pourquoi parler de l'électromagnétisme APRÈS la lumière ?


Résumons donc : Cosmos reste une très bonne série documentaire si jamais vous souhaitez vous émerveillez devant notre beau univers. Mais dans ce bloudibulga de choses éparses et de notions diffuses, j'ai du mal à voir où ils voulaient réellement en venir. Si je souhaitais leur intenter un procès d'intention, je dirais qu'il y a là-dedans un brin de propagande pour nous fourrer dans le crâne l'idée selon laquelle la science, c'est vraiment un ensemble de saintes matières absolument sans défauts qui nous ont extirpé de notre condition d'être imbécile et qui nous élèvent moralement. Regardez donc tous ces martyrs qui ont risqué leurs vies pour nous apporter la connaissance ! Regardez !


Et si le verdict «coupable» venait à tomber, je dirais que répondre à la propagande religieuse par de la propagande scientifique, ce n'est pas forcément une solution.

Erw
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le 12 mai 2015

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