Engrenages
7.6
Engrenages

Série Canal+ (2005)

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SAISON 1 : mise en place


D'emblée c'est bien foutu, surtout pour une série française, policière de surcroît.
4 bémols :
1 - Le côté exposé des situations délicates et/ou dégueulasses affrontées par nos joyeux drilles de la PJ. Intéressant mais artificiel.
2- Les tics de caméra en zooms accélérés / surexposés. Canal a dû avoir peur que la mise en scène fasse molasse, statique, française. Franchement je vois pas d'autre explication, ça ne sert à rien et c'est moche.
3- Les flashbacks à la fin de la saison pour expliquer aux cons. Ça c'est très énervant même si ça n'est pas nouveau. Canal se targue d'une culture et d'une indépendance d'esprit au-dessus des autres, et nous prend pour des imbéciles.
4 - L'intrigue "Gillou", cf. ci-après.


Le jeune procureur : c'est le BG de la série. On lui a filé le plus beau costard et le beau rôle, mais lui se contente d'être BG. Il joue comme une planche à pain, c'est dommage. Sa femme est bien castée, fringue et attitude de la bourgeoisie proprette, bien en décalage avec la capitaine de police.


La capitaine de police : c'est marrant le seul flic que je connais est capitaine de police et il est quasiment pareil. C'est un mec bien, malin, cynique et naïf tout à la fois, sûr de lui mais pas tant, qui se tape absolument tout ce qui passe à portée de main.


Le juge : je l'aime bien lui. Sauf quand il dit qu'il est dur d'habitude mais pas avec le procureur qui pourrait être son fils. On voit bien où ils veulent en venir : l'inévitable subjectivité affective qui s'introduit là où il n'y aurait surtout pas lieu. Mais son côté dur est trop peu montré pour ça sonne juste.


Gillou : intrigue pénible car invraisemblable. Les mecs font un très bon job de renseignement sur les rouages police / justice et sont pas foutus d'aller voir un toxicologue... Du coup t'as un side-kick qui complique les choses, parce que quand il prend de la coke, ça finit comme quand Cricri d'amour fume un joint dans Hélène et les Garçons : super SUPER mal. Ou comment bousiller ta street cred en négligeant tes intrigues parallèles.


L'avocate aux dents longues et au teint de porcelaine : à mon sens le personnage le plus intéressant. Audrey Fleurot incarne parfaitement l'ambiguïté de ce métier de représentation où les meilleurs sont des ambitieux aux talents de comédiens - ce qui ne saurait suffire à en faire des méchants, et c'est bien là que se joue le nœud de sa partie, et le nœud de la série globalement.


SAISON 2 : on y vient


Previously on Engrenages : "C'est bien mais j'ai 4 bémols..."


Et bah ils ont disparu, tout simplement. Oué, les 4. On peut sérieusement commencer à y croire, au qualificatif de "The Wire à la française".


Le procureur Machard : gratiné. Effectivement, à part l'entre-gens atavique du pouvoir, on ne voit pas trop comment il a pu se hisser à cette fonction avec son côté fin de race bas du front. Certes, son rôle fait bien contraste avec l'humanité de son subalterne et néanmoins concurrent, mais le trait est gros. On le croirait sorti des Simpsons le mec ! Dans une série fort préoccupée par la réalité du monde et de ses engrenages, c'est lui, le maillon faible.


A part ça...


La capitaine de police : bon coup de vieux de par sa coupe courte aux mèches moches et le curseur "dark" poussé d'au moins 4 crans. D'un coup d'un seul c'est un peu étrange, mais la profondeur du personnage y gagne, d'autant qu'elle accompagne l'évolution de sa Némésis...


Maître Karlson : D'un coup d'un seul c'est un peu étrange, mais le curseur "pute" a été poussé d'au moins 10 crans. Pas totalement crédible, ce basculement précoce dans le banditisme pour 3 relances de l'URSSAF (et des problèmes avec papa semble t-il, et donc l'autorité, et donc les flics ?), mais je maintiens : Audrey Fleurot est parfaite. Malgré un script sans réelle équivoque, on se demande à chaque instant si la peur va émousser sa détermination et si son amour parfaitement compréhensible pour la sape bien coupée ne va pas céder devant l'abjection de ce qui lui est demandé.


Le jeune procureur : c'est bien agréable de se laisser charmer par ce grand naïf qui n'en pense pas moins sans que le jeu de l'acteur ne t'éjecte de l'histoire. Enlever de l'affect au personnage en évacuant ses affaires privées pour ne laisser affleurer que les contradictions de l'homme sous la robe était une excellente idée.


Sami : le flic tangent. On le savait, même avant Lumet et Scorsese : les flics et les voyous vivent dans le même monde et finissent par se ressembler. Jusque là Gillou incarnait ce pan là comme il le pouvait avec le scénar qu'on lui a donné, mais le personnage de l'infiltré à double culture est autrement mieux écrit. Et l'acteur est vraiment à la hauteur.


Saison 3 : série de meufs et monde de merde


M'a bien fallu 3 saisons pour m'intéresser aux dessous de l'affaire. Et donc, si le tout est produit par un monsieur et une madame, c'est une madame qui tient les rênes du scénar dans cette saison là.
Beaucoup de femmes et de filles comptent dans cette série, et si je ne me reconnais dans aucune, force est de reconnaître que pour une fois leurs rapports aux hommes (et celui des hommes avec elles) sont traités avec finesse. Pour ne citer que cela, le comportement amoureux de nos deux héroïnes, Laure et Joséphine, est particulièrement crédible. C'est un univers hostile, elles sont fatalement habitées par la même détermination et le même esprit d'indépendance qu'un homme, tout en restant des femmes. Et les hommes qui les entourent se positionnent en conséquence sans tomber dans la caricature.


Pour le reste, que dire ? Grosso-modo, le pouvoir peut s'établir selon trois formes : l'information, le fric, le muscle. Entreprise, asso ou domaine public, ça deale au quotidien avec les deux premiers. Idem pour les politicards, à part ceux qui ne sont pas assez dotés des deux premiers ou juste très très cons, qui trempent dans le 3è.
La police officie dans le monde des affaires sales, des macs, des prostituées, des cassos en général et même des fous, du coup on est sur les trois tableaux. Ce qui en fait un univers aussi flippant que fascinant pour nous autres, les classes moyennes qui regardons des séries Canal +.
Il n'empêche, films et séries explorent rarement l'imbrication de ces trois éléments ; c'est ce qui fait d'Engrenages et de The Wire des séries au-dessus du lot. Cependant, dans cette saison 3 le voyant "racolage" - celui qui s'allume quand on presse le bouton "cru" et "gratuit" en même temps - a un peu trop clignoté à mon goût, j'avoue.
Mention spéciale à ce pauvre juge Roban, qui en trois saisons essuie déjà deux suicides... C'est vrai qu'il est dur en fait.


SAISON 4 : poussif


Déjà en saison 3, les relations entre les principaux personnages étaient bien tarabiscotées. Il apparaît là clairement que la prod ne dispose ni de la possibilité de ralentir pour développer, ni de la kyrielle d'acteurs nécessaires pour pousser le réalisme et l'acuité des sujets traités. Ou bien ils s'en fichent.


Thomas Riffaut : ah voilà, les terrorissss, y z'avaient pas encore fait... IRL jamais la PJ ne gère de cette affaire, guerre des polices ou pas, mais là... [cf. le petit laïus juste avant]. C'est bête en plus, Canal dispose d'une série vachement bien renseignée sur la question. Alors certes, n'est pas Eric Rochant qui veut et on ne leur demande pas de se taper tout Proudhon et Bakounine.
Le côté viriliste est bien vu, mais le niveau des dialogues du mec, sérieux... C'en est risible. Ils ont écrit ce personnage entre deux pintes de picon dans un bar antifa de Ménilmontant non ? Remarquez même là ils auraient pu trouver un modèle un tantinet charismatique, dont le discours pourrait vraiment aiguillonner écorchés et paumées pour en tirer la substantifique violence.
Bref, ce topic là, tout du long, c'est tremblez bourgeois, les gauchos bougent encore.


Le retour de Sami :
"L'arc Capitaine Berthaud est tout plat chef, qu'est-ce qu'on fait ?
- Et si on lui ressortait un vieil amant du placard ?
- Hmmm, nan, c'est pas poubelle la life ici, merde.
- Ok... Et si, on lui collait un chef con, borné et légèrement misogyne, ça le fait non ?
- Moué... C'est un peu faible mais on peut en tirer quelque chose. Tu me trouves un acteur bien détestable hein ? Oh et pis vas y, ressort Sami, ça fera plaisir à la patronne du troquet en bas de chez moi. Elle l'aimait bien, Sami."


Tintin ou "ils ont arrêté quand au juste, le suivi psychologique post-traumatique dans les services de police ?" C'est vraiment la crise o_o


François Roban : son arc narratif est bien mené. On a pris le temps de le connaître et subsistent quelques zones d'ombres. Son "Le premier flic de France, Marianne, c'est le fisc voyons, le fisc." était magistral, et tellement symbolique de l'ensemble de cette série, bien rangée du côté de l'ordre (à ne pas confondre avec celui du pouvoir, donc).


Petit point suicide pour finir : Juge Roban 3 - le reste du monde 0.
Enfin Maître Clément a droit à sa petite TS, mais comme entre Maître Karlson et lui, il n'y a pas un passif de 8 saisons de tension sexuelle et des histoires louches à la Daenarys & John Snow, il fallait bien qu'il se passe quelque chose. Quoi donc, je vous le demande ma bonne dame ? Et bah le personnage intelligent, complexe et moralement douteux a évidemment un passif lourd qui explique tout.
Certes, "les forts sont des faibles dont on n'a pas voulu", comme l'a écrit le grand Marcel Proust ; ils ne se liquéfient justement pas au premier regard chaleureux qui leur souffle dessus.


SAISON 5 : remarquable


Par la finesse de construction des intrigues principale (le meurtre) et secondaire (le recel d'or et l'enquête des "bœufs") et leur cohérence, notamment via de très bons personnages secondaires, y a pas à dire, c'est une saison de haute qualité. Car il n'est pas simple de garder du rythme en conservant ce niveau de crédibilité.


J'avoue les cassos délinquantes, violentes et déconnectées du réel, je les ai pas vu venir. En revanche, il paraissait évident que la capitaine Berthaud aurait un soubresaut d'instinct maternel.
Il est vachement bien amené, jusque dans les actes manqués, et très clairvoyant dans ce rapport à l'enfantement que l'on pense toujours si évident pour une femme - sans parler des détails un peu crus que seule une femme aura imaginé mettre en scène.
Le pendant masculin est aussi bien construit, avec le bon papa démissionnaire (Tintin), le mauvais papa qui reste avant tout un papa (Jaulin) et le mec qu'est pas papa mais qui voudrait tellement l'être (Gillou).


Le chien : un jeu d'une justesse incroyable ! Blague à part, quand ils le tuent, telle la petite vieille qui voit le reportage à la télé sur la glorieuse "prise des voleurs de colliers", je me suis dit "oh noooon pas le chien !".
La police est le bras armé d'une politique. Qui dit politique dit com', et bam, retour de bâton, parce que la com', c'est souvent de la merde. Des problématiques aussi complexes de devoir, de pouvoir, d'humanité, ne peuvent pas passer correctement via un medium aussi vulgaire.


Maître Edelman : il m'est arrivé de lire ou de voir des déclarations de ténors dans la presse. Leurs piques sont dignes d'un rhéteur pas trop con sur l'internet mondial, c'est fascinant. Ils appellent ça "l'éloquence" dans le métier.
Je n'ai hélas jamais assisté à un vrai procès, mais de ce que l'on m'a raconté, ce personnage a l'air plutôt conforme. Comment je te recadrerais tout ça si j'étais juge... Balancer des vannes en pleine audience de pénal, sérieux.
Enfin, la série le recadre pour nous : le vrai boss c'est pas le ténor, c'est celui qui paye l'orchestre.


SAISON 6 : ronron


Les meilleures séries sont celles qui ont une fin, ça ne loupe pas. Si l'on file quelque chose par morceaux il n'en n'est pas moins bon normalement, sauf à l'étirer, le diluer, pour exploiter le filon plus longtemps. Pendant un moment on continue à prendre par habitude, mais l'envie est de moins en moins là.


Engrenages est un bon filon faut dire ; l'une des très rares séries françaises à avoir été achetée outre-Manche et même outre-Atlantique. Mais l'attachement aux personnages que l'on a vu évoluer empêche semble t-il d'aller plus loin sur ces fameux engrenages. Saison 6, la collusion pouvoir effectif local / pouvoir politique local / ordre public local était vachement intéressante, mais effleurée au profit d'intrigues ni fines ni trépidantes.


Laure & Gillou : tu t'en fous sûrement lecteur, mais j'ai eu beaucoup de mal à supporter les scènes du bébé prématuré tuyauté de partout. Aussi la fuite de fin ne m'a t-elle pas choquée. D'autant que je ne pigeais pas comment après plusieurs années à le friendzoner on pouvait avoir envie de son collègue partout tout le temps comme ça. Enfin c'était surtout dans des situations où ça créé un micro-suspense maintenant que j'y pense, genre en planque dans le camion.


Joséphine : ma pauvre, ils t'auront tout fait... L'approche du harcèlement et des pressions diverses et puissantes chez les robes noires aurait pu être intéressante, mais non, ça envoie direct du lourd. Viol sous GHB, abandonnée sous un pont comme un emballage de kebab, et là, notre personnage intelligent et tenace mais fragile mais intelligent et tenace frôle l'homicide, carrément. Très décevant.


Roban : personnage intelligent et tenace mais fragile qui affronte la maladie comme beaucoup de monde, en la niant. Triste, et décevant. Surtout que lui aussi, ils lui auront tout fait.


Patron (le commissaire) : j'ai accueilli l'évolution d'Herville avec enthousiasme. Ce chefaillon mi beauf mi veule qui en prenait un coup avec la mort de l'un de ses hommes et se révélait humain et efficace, déterminé, c'était vrai, et c'était chouette. Même ses punchlines sonnaient mieux.
Mais ils nous refont le coup avec le nouveau. Pendant 3 épisodes le bleu parachuté se cache derrière la procédure, bien vu, courant... L'épisode d'après il sort le costume 3 pièces, fait n'imp dans le camp de gitans et se transforme en responsable, hop, d'un coup. Nul.


Le procureur Machard : franc-mac fourbe homo honteux SM pleutre maffieux à tête de Simpson surplombant le costume rigide de la justice... Ce personnage n'aurait pas des parents juifs-nazis par hasard ? Il n'a pas un très bon karma j'ai l'impression...

claucloc
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le 13 sept. 2017

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