Euphoria
7.8
Euphoria

Série HBO (2019)

Voir la série

"Une chose est sûre, la vie n'est pas comme un roman de Nicholas Sparks." (saison 1)

Avec "Euphoria", HBO met un grand coup de pied dans la fourmilière des séries dites "teen dramas" et va directement tutoyer les cimes de ce genre trop souvent laissé aux facilités du soap amorphe sur les networks habituels (coucou CW & co !). Pourquoi ? Tout simplement parce que la célèbre chaîne a tiré le gros lot avec Sam Levinson en chef d'orchestre de sa propre version de la série israélienne éponyme ! En 2018, ce nouveau petit prodige se faisait remarquer avec son excellent deuxième long-métrage "Assassination Nation", portrait au vitriol d'une bourgade US sombrant dans le chaos après la révélation des vilains secrets de ses habitants sur les réseaux sociaux. Déjà, Sam Levinson choisissait de raconter son histoire à travers le point de vue d'une bande adolescentes désignée coupable par la population et dépeignait leur réalité avec un regard tout aussi cru que corrosif dans une société devenue l'ennemie de sa propre descendance. Forcément, avec "Euphoria" dont le discours même renvoie à comprendre de manière frontale à quel point se traduit la perte de repères de la jeunesse américaine aujourd'hui, on peut dire que Levinson a trouvé parfaite chaussure à son pied et, comme pour remercier HBO de le laisser s'affranchir de certaines limites pour aller très loin à cet égard, le bonhomme ne va pas décevoir, jusqu'à se poser en digne héritier audiovisuel d'un Bret Easton Ellis pour saisir les maux de la génération z !


Dès les premières minutes nous présentant l'enfance de Rue (Zendaya), narratrice éclairée et héroïne de "Euphoria", le ton est donné ! La série va aller loin, même très loin dans le trash pour dépeindre cette jeunesse bourgeoise complètement paumée dans un monde qui lui offre les opportunités les plus malsaines pour dissimuler ses blessures profondes.
Dans le fond, comme tout son entourage lycéen plus ou moins immédiat, Rue est au premier abord un stéréotype universel (ici celui de l'héroïne cynique et introvertie) mais, ce qui intéresse avant tout Sam Levinson, c'est d'aller voir ce qui se cache au-delà de ces apparences faciles qui perdurent dans l'inconscient américain, ces masques quelque part rassurants car facilement identifiables, et révéler comment une génération née en parallèle du 11 septembre 2001 survit dans une Amérique désormais rongée par la peur et les artifices les plus dangereux pour l'oublier.
Ironiquement déjà bourrée de médicaments dès ses premières années par un système s'étant donné pour mission de gommer la différence, Rue va connaître une épreuve terrible durant sa jeunesse, une tragédie comme beaucoup de familles en rencontrent mais dont la situation contemporaine va mettre ici la jeune fille sur la route d'une toxicomanie aux proportions exponentielles.
Certes, les problématiques liées à la drogue seront évoquées à maintes reprises dans la série afin de montrer que l'accès facile et déconcertant à ces paradis artificiels est devenue le moyen idéal pour les ados d'évacuer temporairement leurs maux dans une forme d'euphorie insouciante rappelant l'enfance (un étonnant fournisseur récurrent de la série est loin d'être un hasard au milieu de ces "enfants perdus") mais elles seront évidemment le démon le plus vif de Rue, menaçant d'emporter définitivement la jeune fille à chaque difficulté qu'elle rencontre. Pour la sortir de cette noirceur qui l'a récemment conduite à frôler la mort, le destin placera une lumière sur sa route : Jules, une nouvelle arrivante au lycée avec laquelle Rue va nouer une relation fusionnelle et bien plus forte que toutes les drogues de le planète. Seulement, et c'est là toute l'intelligence de la série, Jules aura elle aussi son propre bagage de ténèbres issus de son passé à gérer, ce qui, tout comme celui de Rue, pourrait être un interrupteur radical à la lueur d'espoir que les adolescentes représentent l'une vis-à-vis de l'autre...


Ainsi, du quaterback star à l'élève en surpoids mal dans sa peau (pour ne citer que les épisodes 2 et 3), les trajectoires personnels de ces figures que l'on pourrait qualifier de "classiques" du monde lycéen US suivront un cheminement similaire où leurs mal-être respectifs venant de l'enfance définiront ce qu'ils sont devenus aujourd'hui. Comme Rue et Jules, la plupart auront une vraie porte de sortie mise sur leur parcours à un moment ou à un autre mais la grande question sera surtout de savoir s'ils préféreront saisir cette opportunité souvent synonymes de remise en cause et d'efforts ou s'ils préféreront emprunter les voies plus faciles, déviantes ou nauséabondes pour se maintenir dans une illusion de bonheur éphémère.
À travers ces dernières, c'est toute la société moderne américaine et ses contradictions plus que tendancieuses qui vont en prendre pour leurs grades, rendant la quête d'identité inhérente à cet âge encore bien plus difficile que par le passé ! Le mirage/refuge des réseaux sociaux comme exutoire à la réalité et qui peut même l'influencer de la pire des manières, la violence de la pornographie comme seule guide dans les rapports sexuels, des modèles familiaux conservateurs cherchant à étouffer des orientations sexuelles différentes de leurs "normes", des défaillances parentales de bien des natures,... On s'arrêtera là mais "Euphoria" passe en revue la multitude de barrières que ces jeunes doivent franchir dans la douleur pour espérer atteindre un âge adulte qui sera forcément vicié dès ses fondations.
Le tableau que dresse la série est grave, voire carrément affolant, surtout qu'elle accumule quelques cas bien extrêmes qu'elle approche de façon très crue et démonstrative, mais "Euphoria" ne fait jamais du trash pour du trash, elle pointe seulement du doigt le fait que le pire est aujourd'hui trop souvent le choix le plus facile et accessible pour ces jeunes déjà couverts de cicatrices...
Est-ce que pour autant "Euphoria" est une série radicalement pessimiste ? Non, bien sûr que non, car si la noirceur les entourant est palpable à chaque instant, la série porte toujours une espèce de regard d'une infinie tendresse sur ses personnages, aussi bien explicite pour la majorité d'entre eux (à commencer par Rue et Jules) que pour ceux ayant le plus de choses à se reprocher (leurs agissements sont souvent des corollaires de souffrances refoulées). De même, si beaucoup de représentants parentaux seront considérés responsables de l'état présent de leurs enfants, d'autres seront vus comme des rocs inaltérables, soutenant leur descendance dans leurs décisions ou vers de meilleurs horizons. Comme on l'a déjà évoqué, l'issue de secours placée sur la route de chacun de ces ados réservera elle aussi des moments où l'émotion l'emportera sans mal sur tout le reste... à condition, bien sûr, qu'elle soit empruntée par celle ou celui auquel(le) elle se destine.
Dans ces aspects plus lumineux, on pourrait aussi ajouter les passages les plus légers et drôles de la série. Eh oui, aussi étonnant que cela puisse paraître, "Euphoria" est aussi une série méchamment drôle lorsqu'elle le décide ! Du moins, surtout quand Rue le décide et part dans des délires de médium omnisciente (toutes les intros sur l'enfance des héros sont géniales) ou de rôles qu'elle se donne le temps de délires irrésistibles (au hasard, le cours sur les différents selfies de pénis ou l'enquête de l'épisode 7).


Vous l'aurez compris, "Euphoria" jouit d'une liberté de ton qui lui permet d'aller vers tous les extrêmes des contours émotionnels de son propos. Une approche que l'on retrouvait déjà dans "Assassination Nation" auquel Sam Levinson emprunte beaucoup en termes de traitement pour la mise en scène, le rythme narratif et l'ambiance en forme de bombe imprévisible de "Euphoria". Débarrassé ici du contexte plus extraordinaire du film, il en tire même une nouvelle force, toujours prêt à ricocher entre le sordide et la poésie du quotidien qu'il cherche à retranscrire au plus près des yeux de ces adolescents. À travers sa caméra, la réalité semble se parer de la teneur de leurs émotions, emmenant certaines séquences vers des sommets de beauté esthétique, de folie et d'inventivité dont on sort invariablement subjugué, même un simple décor de fête foraine pourra ainsir devenir une sorte de balancier infernal naviguant entre tous les points de vue des personnages le temps d'un épisode complet (4). Avec brio, Sam Levinson aiguise donc ce qui est train de devenir son cinéma à travers la petite lucarne et avec des idées au niveau du sens du cadre ou du montage qui n'ont rien à envier au grand écran.
On conclura notre récital de louanges en citant la bande originale magistrale, autant par sa richesse, son harmonie avec l'image que sa qualité, et ce casting absolument formidable de jeunes acteurs dominée par une Zendaya impressionnante, livrant une prestation qui fera d'elle une actrice incontournable à l'avenir (on en met notre main à couper).


Alors cette saison 1 de "Euphoria" est-elle pour autant une réussite indiscutable ? Vu l'énorme coup de cœur encore palpitant que l'on a eu pour elle, on serait tenté de répondre directement par l'affirmative mais ce serait malhonnête de ne pas parler du trou d'air que connaît la série dans sa partie centrale. Plus précisément lors des épisodes 5 et 6 qui ne sont justement pas dirigés par Sam Levinson. Contrairement au premier réalisé par Augustine Frizzell qui, lui, pose parfaitement les fondamentaux de la série, ces deux épisodes mis en scène par Jennifer Morrison, puis par Pippa Bianco vont hélas se faire remarquer par leurs manques de percussion et de folie permanente qui collent tellement à l'esprit du reste. Alors, rien de grave non plus, l'évolution des intrigues et des personnages restent passionnantes à suivre et quelques vraies bonnes séquences se démarquent mais ces épisodes ont incontestablement quelque chose de plus faiblard, pas aidés par les personnages moins fouillés sur lesquels ils se greffent principalement d'ailleurs. Ce sera d'autant plus flagrant que lorsque Sam Levinson repassera derrière la caméra, boum, le septième épisode fera redémarrer la série du feu de Dieu jusqu'à son formidable final, un bijou nous faisant passer par un flot invraisemblable d'émotions dont on ne peut que sortir définitivement accro.
La saison 2 ne pourra que corriger cette petite faute de parcours pour aller encore plus loin, vers l'euphorie totale peut-être même... Vivement !

RedArrow
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 24 déc. 2019

Critique lue 971 fois

6 j'aime

RedArrow

Écrit par

Critique lue 971 fois

6

D'autres avis sur Euphoria

Euphoria
HALfrom2046
5

Spleen et Idéal

Immédiatement amalgamée avec 13 Reasons Why et Skins, la nouvelle série HBO avait de quoi effrayer. L’appréhension grandit encore à la lecture du synopsis. Rue, 17 ans, est déjà une grosse toxico...

le 20 févr. 2023

62 j'aime

Euphoria
UniversLworld
3

Bites à gogo

Hormis l'esthétique, je n'arrive pas à apprécier cette série, alors qu'elle est carrément adorée par la majorité des spectateurs. La psychologie, le comportement et les névroses des personnages sont...

le 1 avr. 2020

52 j'aime

Euphoria
JobanThe1st
10

Pop, dépressif et résolument moderne

(article disponible sur PETTRI.COM) Quand deux des personnalités les plus importantes de la pop culture actuelle se retrouvent sur un même projet, aussi dantesque que passionnant, on ne peut que...

le 12 nov. 2019

38 j'aime

2

Du même critique

Nightmare Alley
RedArrow
9

"Je suis né pour ça."

Les premières minutes que l'on passe à parcourir cette "Nightmare Alley" ont beau nous montrer explicitement la fuite d'un homme devant un passé qu'il a cherché à réduire en cendres, le personnage de...

le 19 janv. 2022

73 j'aime

16

Umbrella Academy
RedArrow
5

L'Académie des 7 (saisons 1 & 2)

SAISON 1 (5/10) Au bout de seulement deux épisodes, on y croyait, tous les feux étaient au vert pour qu'on tienne le "The Haunting of Hill House" de personnes dotés de super-pouvoirs avec "The...

le 18 févr. 2019

67 j'aime

10

Bird Box
RedArrow
6

Sans un regard

L'apocalypse, des créatures mystérieuses, une privation sensorielle, une héroïne enceinte prête à tout pour s'en sortir... Le rapprochement entre cette adaptation du roman de Josh Malerman et "Sans...

le 21 déc. 2018

66 j'aime

7