Kaamelott
7.9
Kaamelott

Série M6 (2005)

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Perceval, au centre de tout. (SPOILERS BIEN GRAS)

Plus je compare cette série à différentes versions de la légende, et plus cette impression grandit en moi: Perceval va trouver le Graal.
Vous savez, Perceval dans Kaamelott c'est l'un des ressorts comiques les plus récurrents et les plus efficaces: aussi peu instruit que son ami Karadoc, mais plus subtil, plus spirituel, et surtout d'une intelligence rare, évoluant dans un autre flux de conscience, une autre mécanique de réflexion, il se révèle au fil de la série un génie des chiffres et un philosophe tout à fait honorable, tout en commettant ses innombrables bourdes à répétition, comprenant tout de travers et passant pour le roi des cons (on a notamment vu qu'il s'était débarrassé, par ignorance, des Clous de la Ste-Croix et du Saint Suaire, pour "ne pas choper le tétanos).

On voit dans un épisode que l'épée Excalibur brille bien plus quand c'est Perceval qui la tient que quand Arthur la porte, ce qui indiquerait selon la Dame du Lac qu'il serait doté d'une destinée beaucoup plus grande.
En vérité, Perceval a conscience de sa faiblesse, de ses petites infirmités, et ça fait de lui le porteur du Graal. Le grand fardeau d'Arthur dans la série est qu'il est le roi compétent d'un pays remplit d'abrutis en tout genre, son seul égal étant Lancelot, sa némésis. Il s'est emparé (au cours d'une aventure décrite dans la saison 6, la dernière et l'une des meilleurs) du Royaume de Logres grâce à son statut d'Élu des Dieux, et s'est donc retrouvé à devoir dirigé un pays de gros casse-couilles en étant secondé par des gros casse-couilles, que ce soit Léodagan, sanguinaire à outrance, Bohort, froussard et moralisateur, Karadoc, le gourmet imbécile ou justement Perceval, gaffeur qui comprend tout de travers. Et enfin Lancelot, intelligent, bon soldat, à cheval sur l'honneur... Et qui réalise en même temps que son roi que la Quête du Graal, menée par des glandus pareils, ne sera pas une partie de plaisir.

C'est ça, Kaamelott.

Alors oui, on peut aimer (ou détester) cette série parce que ce sont des petits épisodes courts et sympathiques mettant en scène le mode de vie parodique d'un héros de légende, avec ses problèmes familiaux, les chevaliers connards de la Table Ronde, etc... Le public d'M6 a adoré ça, et moi, comme beaucoup de monde, ça m'a gavé sur le long terme. Sans trouver les acteurs mauvais ou monocordes, loin de là, sans trouver l'humour mauvais ou raté (il est certes très particulier, mais ne manque pas de finesse et de justesse, tout en se permettant de lorgner du coin de l'oeil le territoire des gros sabots avec son lot de langage fleuri, des prouts karadociens et d'histoires de sexe entre Arthur et ses maîtresses, mais surtout pas au grand jamais sa femme Guenièvre), sans trouver dans les quatre premières saisons tous ces défauts, donc, la série m'avait laissé assez admiratif sur le côté décalé (comparé aux bouses que sont les séries FR d'habitude) mais sans pour autant que je qualifie le tout de génie.
Il y avait bien quelques fils rouges: les romains, menés par Bruno Salomone alias Caïus, finissent par abandonner leur emprise sur la Bretagne, ce qui conduit ledit général à la désertion puis à l'accès, par un Arthur pas contrariant, au statut de Seigneur incompétent; les invasions barbares se font de plus en plus contraignantes, et on croise des chef tous plus barrés les uns que les autres, que ce soit Attila ou le fameux "Couillière"; les caisses du royaume se vident; Merlin l'enchanteur/druide/mongolito se retrouve forcé de collaborer avec un assistant beaucoup plus fort et beaucoup plus arrogant que lui, Elias de Kelliwic'h; et enfin Lancelot avoue son amour à Guenièvre et, lassé de voir tous ses compagnons incompétents échouer dans la Quête du Graal, décide d'emmener la reine avec lui pour fonder sa propre faction, et mener tout seul son combat du Graal, aidé par le Roi Loth. C'est le plus gros arc narratif de cette première partie de la série: c'est là où une véritable limite se forme, entre Arthur et Lancelot, entre deux visions de la Quête: celui qui se contente des crétins et échoue encore et toujours, et celui qui s'entoure de grand chevalier, et forme un clan ennemi. Cela ouvrait beaucoup de portes au niveau du scénario: Gauvain était forcé de choisir entre son oncle Arthur et son père Loth, avec au milieu son ami Yvain, Arthur était poussé par le devoir à aller reprendre sa femme, mais attiré par l'idée d'être enfin débarassé de cette bécasse insupportable pour vivre enfin au grand jour son idylle avec Mevanwi, la sublime épouse de Karadoc, avec qui il procède à la cérémonie controversée de "l'échange des femmes", ce qui entraîne encore d'autres épisodes rigolos, notamment le fait que Lancelot soit toujours l'ennemie politique d'Arthur, mais non plus son ennemi personnel, maintenant que Guenièvre était devenue la femme de Karadoc, qui avait beaucoup moins de scrupule qu'Arthur à aller la chercher (celui-ci encore désireux de ramener son ancien ami à la raison), plus par honneur que par amour.
Malgré ça, la série "stagnait un peu", et même si le nombre considérable d'épisodes et leur format (une centaine d'épisodes de 8 minutes environ par saison) permettait d'amorcer sans se brusquer l'évolution des personnages (notamment celle de Lancelot, qui passe du chevalier modèle à l'absentéisme, puis carrément à l'adversaire prophétique, torturé par les visions d'un homme en noir le suivant à travers la forêt...), on voyait mal de VRAIE histoire se dégager, tout ça était toujours qu'un prétexte à se marrer et à se détendre devant M6 en rentrant du boulot. Cette richesse n'était donc qu'un plus, l'humour prenant toujours le pas sur l'histoire.
Et c'est finalement cette vision que les gens, détracteurs comme amateurs ont gardé de ce feuilleton au succès foudroyant, alors que c'est lors de la véritable cassure des saisons 5 et 6, qui n'emportera pas tellement le coeur du public, que la série décolle et devient LA série française, et mon univers préféré, tout médias confondus.

Cassure, dans le sens où la série délaisse le format "Caméra Café" propice aux situations interchangeables et aux courts instants d'humour pour se plonger dans une tradition plus américaine du truc, avec une dizaine d'épisodes d'une heure pour chacune des deux saisons.
C'est donc l'histoire qui prend le dessus. Et pour cause: l'humour, sans pour autant disparaitre, n'est plus aussi présent, et les thèmes évoqués auparavant se prenne carrément au sérieux. Comme le disait Alexandre Astier, l'éminence grise, dans une interview "en France la comédie est un genre. Pour moi, c'est un vernis." Pari réussi. Kaamelott 5 et 6, c'est le décollage de la légende du Roi Arthur selon Alexandre Astier, avec de nouveaux thèmes qui lui sont propres, le tout un peu agrémenté d'humour, surtout pour les intermèdes délirants de Perceval et Karadoc, ou encore Yvain et Gauvain, et tous ces personnages qui tentent de prendre leur indépendance, et "d'être pris en tant que tel", comme disait l'autre.

Dans cette saison 5, donc, Arthur est confronté à toutes les conséquences du final de la saison 4: le putsch organisé par le Roi Loth a échoué et celui-ci doit maintenant se soumettre à son jugement, Lancelot, après l'attaque de son campement, a complètement disparu, Guenièvre est de retour mais rongée par la culpabilité, les caisses sont vides, l'hiver est froid, les loups sont affamés et le peuple est mécontent. Si mécontent qu'il devient évident qu'il faut lui prouver qu'Arthur n'a pas perdu de sa superbe. Comme il refuse d'exécuter Loth (qu'il renvoie dans ses terres sans autorisation d'en sortir) et que l'idée de faire un héritier à sa femme le révulse toujours autant, il se soumet à l'idée de sa mère Ygerne, qui consiste à replanter Excalibur dans le rocher pendant quelques semaines, puis d'aller la reprendre histoire de montrer au peuple breton qu'il est toujours l'Élu, qu'il n'y a que lui qui peut retirer l'épée et donc que c'est lui que les Dieux ont choisi pour diriger les bretons.
On se demande un peu si Arthur fait ça pour rassurer son peuple ou pour se rassurer lui-même: il a maintes fois défié les Dieux, en laissant Guenièvre partir et en se mariant à une autre, en négligeant totalement la Quête du Graal qui n'avançait pas, ce qui avait conduit au bannissement de la Dame du Lac, devenue simple mortelle, et à une prophétie prédisant la venue d'un homme en noir pour manifester le courroux des Dieux, une sombre entité nommé "la Réponse".
Les premiers épisodes sont donc accès sur tout le foutoir que cause cette décision dans le royaume: tout le monde essaie de retirer l'épée sauf quelques irréductibles, dont Perceval et le maître d'armes, et le roi Loth sort même de sa contrée pour tenter sa chance. Et surtout tout le monde s'inquiète, des fois qu'un glandu sortirait l'épée et détrônerait Arthur. Perceval et Karadoc quittent la Table Ronde pour fonder leur propre clan, Yvain et Gauvain décide de renoncer à la chevalerie, et l'un d'eux finit même par se marier. Au-delà de ça, on voit le désir de vengeance grandissant de Mevanwi, qui n'a pas supporté d'être écartée du pouvoir par le retour de Guenièvre, et on assiste à quelques apparitions fugaces de Lancelot, qui vit dans une caverne accompagné d'un mystérieux homme en noir qui lui pose des énigmes et des épreuves, dans un but connu de lui seul.
Bref... A la fin, tout le monde rentre bredouille chez soi et Arthur part pour récupérer son bien.

Et il ne retire pas l'épée.

C'est cette charnière scénaristique qui va véritablement transformer la série.
Arthur décide de ne PAS reprendre l'épée et de faire croire à tous que les Dieux l'ont renié. Une régence s'installe (qui va beaucoup changer de main au fur et à mesure, on verra même Karadoc devenir roi...) et, après avoir glandé un moment, c'est la révélation: Arthur doit partir à la recherche de sa descendance.
Avec toutes les maîtresses qu'il a eu, il doit forcément y avoir un fils ou une fille quelque part dans le royaume, il est même dit dans un vieil épisode "le roi? Oh il doit pas avoir plus de dix ou douze bâtards, ma reine!" Commence donc un voyage à travers la Bretagne, durant lequel Arthur, accompagné de Guenièvre, qui décide de le suivre de son propre chef, va remonter toutes les pistes une à une, et ne jamais aboutir sur rien d'autre que du vent. C'est le moment de quelques scènes mémorables: la première rencontre avec Anouk Grimbert, alias Anna, la demi-soeur haineuse d'Arthur, Lionel le frère de Bohort, la relation entre Lancelot et la Réponse, les machinations de Mevanwi pour mettre Karadoc au pouvoir et son apprentissage de la magie auprès d'Elias, le départ de Merlin, etc...
C'est l'occasion de constater la surprenante évolution au niveau de la réalisation: plus de plans fixes uniquement nourris par les dialogues, mais des plans plus dynamiques, des décors variés et une direction artistiques qui met l'accent sur l'authenticité, sans superficiel.

Les personnages évoluent vraiment, on c'est la saison la plus sombre de la série qui s'offre à nous: le royaume est en péril, Lancelot, après une longue agonie et l'abandon de son protecteur, décide de prendre le pouvoir par la force pour prouver aux Dieux qu'il en est capable, Arthur va jusqu'au bout de sa quête de descendance, accompagné par la Réponse décidément très énigmatique... Et arrive au bout.
La révélation tombe. Arthur est infécond.
La réponse lui annonce que c'est là sa punition pour avoir défié les Dieux. Il n'aura pas d'héritier, jamais. Il rentre à Kaamelott, détruit par cette révélation, et dit à Karadoc devenu roi, qui le critiquait: "J'ai tout raté. Mais je ne veux pas qu'on dise que j'ai rien foutu."
La saison 5 se termine quand Lancelot entre dans la salle de bain du roi, l'épée à la main, et tombe sur une scène de suicide. Le roi se meurt, il s'est ôté la vie. Le dernier plan est celui de la main de Lancelot, gorgée de magie blanche, qui se referme sur celle, mutilée, d'Arthur.

J'ai eu un déclic après ça. Je ne parle même pas de l'ultime saison 6 qui clôt la série dans le même ton.
Cette série vaut toutes les autres. Elle a, comme toutes les séries à consonance fantastique, toute une mythologie, tout un univers. C'est le parcours d'un personnage, Arthur, qui décide, malgré toutes les contraintes, de faire avec ce qu'il a. Lancelot veut aller jusqu'au bout en s'entourant de l'élite. Arthur, lui, est entouré de faibles, d'imbéciles, de souffreteux. Il fera avec, même s'il doit en mourir, même s'il doit rater, il continue à écouter ce que lui avait dit César dans la saison 6, une préquelle:
"Le chef de guerre légendaire, c'est celui qui protège la dignité des faibles."
C'est ça, Kaamelott, et c'est ça qui est génial.
On a un héros qui a tout pour réussir et qui échoue sur toutes la ligne parce qu'il refuse de se détacher de toutes ses tâches qu'il ne supporte pas, parce qu'à quoi bon trouver le Graal, apporter la lumière sur tous les peuples, si c'est pour renier les faibles?
J'en reviens à Perceval, et son rôle majeur. Lancelot, je pense, n'atteindra pas le Graal. Lancelot le cherche en guerroyant, en détruisant. Perceval ne fait jamais, dans aucun épisode, montre d'aucune forme de violence. Perceval est idiot, mais loyal. Perceval se moque du Graal, mais il fera tout pour le trouver, si ça peut faire sourire ce roi qui l'a toujours protégé. Perceval est le seul, dans la série, qui propose une approche philosophique des choses: "y a pas d'hameçon au bout de ma canne à pêche, mais c'est pas grave. Je me pose là, et y la canne, l'eau, le ciel. Je me demande si tout ça a vraiment un sens." Pas si bête l'animal.
Perceval trouvera la Graal car il EST le Graal. Le Graal, c'est la paix, l'amour, la lumière.
Peut-être qu'Arthur avait un fils, finalement. Un fils spirituel, affectif.

"Toutes les baignoires sont le Graal. Tous les suicidés sont le Christ."

C'est ce que j'appelle l'Âme de Kaamelott.
C'est pas une série drôle. C'est une série glauque, voire même carrément déprimante. La scène du rêve d'Arthur, dans l'épisode final, m'a littéralement fait pleurer. Kaamelott, c'est pas juste des saynètes drôles avec Arthur qui se dispute avec sa donzelle, c'est l'histoire du modèle de tous les enfants qui meure peu à peu, qui comprend qu'il n'a jamais rien accompli, et qui abandonne, finalement. C'est tous ces personnages, Merlin, qui va renoncer à guider son protégé, Lancelot, qui ne peut jamais échapper à son destin, Bohort, qui aimerait oublier ses peurs, Guenièvre, qui est prête pour son amour à devenir la mère d'enfants qu'elle ne connaît pas, Perceval, qui ira jusqu'au bout.

Kaamelott, c'est le Saint Graal de la télévision.



A tous ceux qui ne seraient pas convaincus par l'exceptionnelle profondeur de cette série: http://www.youtube.com/watch?v=7Hgv4BjqvE4
Kikidmakak
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le 13 juin 2012

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