Le Prisonnier
7.9
Le Prisonnier

Série ITV (1967)

Faut que je partage un peu ma compréhension de l'univers de cette excellente série dont j'ai savouré le revisionnage. La majorité des épisodes sont excellents, avec une petite baisse de régime sur la fin (expliquée par le fait que la série ne devait initialement être composée que de 7 épisodes), avant de se conclure en beauté. Le N° 6 est vraiment un personnage mythologique, splendidement incarné par Patrick McGoohan qui lui apporte son physique hors-norme (et reconnaissons à Jacques Thébault de lui prêter une voix française mémorable). Le seul reproche (qui n'en a pas vraiment un) pourrait être que la série a fait le choix de l'indépendance complète de ses épisodes, ce qui empêche la progression d'une trame de fond.


McGoohan développe de manière évidente les rapports entre la société et l'individu, un rapport de force au détriment de ce dernier qui est sommé, dans une injonction paradoxale, d'accepter de sa pleine volonté l'abandon de son individualité. Pour faciliter cette intégration au corps social, les nouvelles technologies ont la part belle : vidéo-surveillance, télécommunication, corps exécutif (le Rôdeur), fichage... mais ce sont principalement les apports des connaissances en psychologie qui servent de ressort aux manipulations des N° 2. Et bien entendu, c'est ce qui m'a le plus intéressé. Tout y passe : conditionnement comportementaliste, association libre psychanalytique, travail sur les rêves (que l'on pourrait qualifier de rêves lucides), hypnose, psychopharmacopée variée, psychochirurgie (la lobotomie au laser, une technique d'avenir) et même utilisation des connaissances en psychologie sociale. Dans une interview du coffret DVD, McGoohan tient d'ailleurs des propos très négatifs sur le progrès qu'il perçoit comme conduisant l'humanité trop rapidement à sa perte.


On peut donner de nombreux niveaux de lecture à cette série. Mais pour rester dans le monde du psychisme, voilà un modèle de compréhension que je trouve intéressant [avec des spoilers dedans, donc gaffe !].


Le Village est une métaphore de la paranoïa du N° 6. Voilà un homme psychorigide, méfiant, secret (on ne connaitra jamais son nom), avec un moi qui parait indestructible, en proie à la suspicion permanente. Ses propos sont confus, répondant aux questions par d'autres questions, donnant le sentiment de dire des choses sans vraiment y mettre de contenu informatif. Il se retrouve soudain confronté à un ennemi suprême qui tente de percer ses défenses. Là où tous les autres ont fini par céder, le N° 6 s'élève et se prête sans difficulté, voire avec complaisance, à cet affrontement mental où chaque partie doit cacher ses informations et découvrir celles de l'autre. Dans le Village, tout a un sens qui alimente le complot dirigé contre le N° 6. Et très rapidement, ce complot s'étend au-delà du Village et englobe le monde entier (tout du moins la Grande-Bretagne où le N° 6 ne semble plus avoir aucun allié lors de ses fugues). Le N° 6 est seul contre tous.


L'épisode 7 marque vraiment un tournant dans cette logique. Alors qu'il pourrait s'enfuir définitivement et se faire oublier, le N° 6 veut être le plus fort et se met dans la situation d'être de nouveau captif du Village. Il n'est prisonnier que de sa propre structuration mentale qui le pousse à concevoir le monde de manière persécutive et à réagir par une défense basée sur l'attaque et l'opposition. Ce, jusqu'à une conclusion univoque où après une lutte psychique à mort contre le N° 2, il lui est offert le choix de diriger la conspiration. Choix qu'il refuse pour s'apercevoir qu'il la dirigeait déjà en étant lui-même le N° 1, dans une version authentiquement folle qui se moque de lui (sans compter la première impression d'être un singe), et qu'il remplace alors pour se donner le sentiment de pouvoir s'enfuir du Village (avec une violence physique inhabituelle).


Mais le prisonnier ne peut s'échapper de lui-même, de sa propre prison. Il change de lieu mais fonctionne toujours pareil ; il conserve le majordome, symbole s'il en est du Village (c'est le seul personnage avec le N°6 qui est toujours présent), et McGoohan conclue avec cynisme sa série en nous montrant la porte de l'appartement de son héros qui s'ouvre de manière automatique.


Ça me surprend donc quand on voit dans les bonus les intervenants se plaindre de l'absence de fin ou de son caractère incompréhensible (seule une des monteurs perçoit les choses sous le même angle que moi). Il aurait été plutôt décevant d'avoir un N°1 diabolique et manipulateur (à la James Bond comme dit McGoohan) car cela n'aurait rien expliqué pour autant. C'est finalement une vision parano de la vie que d'attendre un N°1 exogène qui soit le maitre de la conspiration, et quelque part, c'est penser comme le Prisonnier. En mettant en scène ce fonctionnement, la série est méta-parano.

Pascoul_Relléguic
10

Créée

le 31 déc. 2016

Critique lue 909 fois

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