Maroni
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Maroni

Série Arte (2018)

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Comme ça fait plaisir, une mini série française de ce calibre ! Bon, il faut dire que question séries, j'étais et demeure le roi des âmes innocentes, je n'y connais pas grand chose et découvre presque tout en retard - ne me donnez plus de conseils, l'agenda est rempli sur trois générations. Côté France, c'est encore pire, j'ai toujours pas jeté un oeil à Braquo, Engrenages et autres Le Bureau des légendes. Donc faut pas m'en vouloir si je m'enthousiasme un peu vite mais bon sang, j'y ai trouvé mon compte dans ces Fantômes du fleuve !


Certes, je passe pas mal de temps avec Arte la vénérable donc je partais (un peu) confiant, reste que la série m'a quand même bluffé par sa tenue visuelle et son ambiance. Que de pièges évités par l'honnêteté de l'approche, par la préparation (j'imagine) archi rigoureuse de la mise en scène. C'est qu'il en faut, de la ténacité, pour mettre par terre l'image cliché des DOM-TOM que véhiculent, avec ou sans mauvaise volonté, les innombrables séries et téléfilms France Ô. Maroni va plutôt chercher ses modèles du côté de Jacques Tourneur et Mathieu Kassovitz, et ce en toute humilité.


Une éternelle affaire de crime mystérieux et de gosse disparu ? Voilà bientôt vingt ans qu'on se mange des cop show à toutes les sauces, est-ce bien raisonnable ? Il faut croire que oui. Maroni, c'est là son grand atout, ne se la joue pas à l'américaine. Certes, l'influence de True Detective se fait sentir mais elle a été digérée. Ici, c'est le folklore guyanais qui est mis à contribution au sein de l'intrigue, pendant que l'écriture dessine un duo de personnages pile à mi-chemin entre réalisme quotidien et charisme musclé. Fatalement, ça fait un bien fou de voir qu'un personnage féminin francophone peut être à la fois sexy, crédible et émouvant sans qu'aucune facette n'annule l'autre.


Une force qui doit beaucoup à l'excellente comédienne Stéphane Caillard, bien aidée par son collègue taciturne interprété par Adame Niane, que la caméra transforme en authentique Dirty Harry guyanais le temps d'un ou deux passages à tabac bien sentis ! On pourrait en rire, or je me suis surpris à sourire, de jubilation. Celle de me retrouver en territoire inconnu, d'appréhender une culture dont je suis étranger sans me souvenir quand je l'avais vu représentée pour la dernière fois dans le cadre d'un polar, tout en retrouvant des archétypes jouissifs du genre. On est loin, bien loin du rigolo La Loi de la Jungle, comédie de 2016 elle aussi tournée en Guyane.


Son sérieux, son envie de mystère et de suspense, Maroni les assume. Même son climax (avouons-le, un peu long), à la lisière du fantastique, parvient à jouer sur la perception du spectateur. Et les idées de mise en scène, durant tout ce qui précède, d'être frappées au coin du bon sens. Pour être honnête, on pardonne à Maroni ses petites invraisemblances vu que même celles-ci débouchent sur un résultat formidable - voir ce magnétophone dont on doute qu'il ait pu survivre au poids des ans, mais dont les paroles qui en émanent (et ce bien avant sa présence à l'image) occasionnent une errance sublime dans une bâtisse à l'abandon, figée dans une époque révolue.


Autre truc appréciable, les héros de l'histoire sont une femme et un Black. Et ? Et rien, justement. Pas de discours militant forcé, pas de dialogue féministe fabriqué ou de pique anti-colonialiste pour se la jouer concerné. Le héros est une héroïne, son acolyte est noir de peau, point barre, c'est amené le plus naturellement du monde, à tel point qu'on y songe pas pendant le show, plutôt après. Maroni ne cherche pas à se justifier, la série pense personnages, enjeux dramatiques et rythme au lieu de discours, message et bonne conscience.


Ce recul est d'autant plus remarquable que le réalisateur, Olivier Abbou, avait fait parler de lui en 2011 avec Territoires, étrange film d'angoisse qui traitait du sort des soldats revenus d'Irak et laissés à leur traumatisme. Extrapolant sur cette base, Abbou tissait une ambiance à la Lynch assez captivante. Rien de tout ça ici, si ce n'est un fond d'esclavagisme au sein duquel la série évite de trop s'aventurer. De fait, la thématique prend place toute seule, en toile de fond, tandis que l'avant plan du récit revient au duo de flics, tous deux meurtris à leur manière, et dont les fêlures se révèlent de façon très différentes, entre confession douloureuse et face à face contraint.


Lors d'un moment de pause à son bureau, l'héroïne fixe la lumière du plafond pendant que la caméra, le temps d'un long raccord-regard, zoome progressivement sur les lampes, avant de revenir sur le visage de la comédienne. Aucune idée si l'emprunt est conscient ou pas, mais le plan semble tout droit sorti du dernier acte de Martyrs de Pascal Laugier, dans une version plus soft ! Trouver une telle résonance esthétique dans la mise en scène de Maroni en dit long sur le souci d'efficacité de ses auteurs et producteurs. Et lorsqu'arrive le générique final, je réalise que le plaisir pris durant ces deux heures quarante fut à la mesure de leur professionnalisme, c'est à dire constant.


Bref, peu importe ses petits défauts, derrière cet apparent sous-True Detective se cache une série qui a méchamment de la gueule, au point de nettement mieux gérer son final mystique que ne l'a fait le show d'HBO en saison 1, et surtout de caser elle aussi un superbe plan-séquence à mi-parcours, bien moins spectaculaire mais tout aussi maîtrisé. Entre ça et Burn Out au cinoche, 2018 commence très bien pour la production française.

Fritz_the_Cat
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le 17 janv. 2018

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Fritz_the_Cat

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