Marseille
4.2
Marseille

Série Netflix (2016)

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J'étais donc en train d'allègrement entamer une critique dévastatrice de la saison 1, à grands renforts de métaphore filée avec les chips saveur barbecue (cherchez pas), quand le magma de jubilation malsaine réveillé par cette démarche incendiaire m'incita à cliquer sur la vignette de la saison 2. Quelle ne fut donc pas ma surprise en constatant que la grandiloquence grotesque, les clichés suintant d'une vulgarité indignante de facilité, les dialogues dignes d'un Ionesco sous acide s'étaient subitement faits petits, à l'image d'un chien qui se sait coupable sous le regard sévère de son propriétaire. Ne vous méprenez pas : je suis bien loin de faire l'éloge d'une seconde saison qui reste à n'en pas douter plus que passable. Simplement, à l'aune de la débâcle de la saison 1, elle apparaît soudain miraculeuse, comme peut l'être un simple plat de pâtes après une semaine à survivre de sandwichs triangles (je ne me remettrai jamais de mes traumatismes étudiants).


Mes études, parlons-en donc. Alors que j'étais en terminale, une enseignante d'anglais un peu trop portée sur l'expérimentation pédagogique avait entrepris de nous présenter deux fois le même examen, pour nous attribuer ensuite une note finale représentative non pas de notre score absolu, mais de notre progression relative. Ayant obtenu les notes de 15 et 17, je me voyais ainsi par le secret de l'algorithme professoral dépassée avec mon 14 par mon voisin de table qui, étant passé de 4 à 15, s'était quant à lui vu attribuer la note remarquable de... 22 sur 20. Voilà peu ou prou le phénomène qui se reproduit avec Marseille, et qui donnerait presque le sentiment que la série est défendable simplement parce que l'on a progressé de cataclysmique à médiocre.


Les feux de l'enfer


C'est dire que l'on part de loin, et de tellement loin ! Si (je vous demande pardon par avance pour cette expression) tout est bon dans le cochon (désolée), rien n'est bon dans Marseille saison 1. A part peut-être le générique de début interprété par Orange Blossom, mais admettez que ça fait un peu maigre. Au-delà... par où commencer ? Il faut du moins admirer la maestria d'une telle cohérence qualitative, qui permet à tous les aspects de se répondre dans un concert de fausses notes. De la réalisation au jeu d'acteur en passant par le montage et les intrigues, le feu lèche le bâtiment par tous les murs. Procédons donc point par point, de sorte à ne point laisser le chaos nous submerger.


La réalisation donc, atteint un pinacle dans le mauvais goût pompeux. Très vite, le ton est posé, à grands renforts de voix-off faussement profondes sur des slow-motions à la pertinence plus que douteuse. Comme si l'énonciation de mauvais dialogues ne suffisait pas, ils sont ainsi sublimés par des flash-backs sonores répétitifs et inutiles, dont l'on ne sait pas très bien s'ils sont censés représenter les pensées invasives et angoisses ressassées des personnages ou inciter le spectateur au suicide. Face à un tel excès qui se donne si bien les moyens de braquer le spectateur, il devient ainsi rapidement difficile d'apprécier le moindre effort formel de la série. Ainsi, bien que la composition des plans atteigne parfois une élégance notable, leur inscription dans une mise en scène où superficialité et ubris sont les maîtres-mots les rendent à leur tour irritants, rappels d'un ego sans objet.


Dans ce maelström d'outrance, des acteurs se débattent maladroitement, quand ils ne se sont pas complètement noyés. La performance lisse de Depardieu est ainsi sans doute la plus digeste, face au personnage de Magimel trop occupé à insérer ses parties génitales dans tous les individus consentants dans des scènes probablement censées remplir le quota sulfureux. Quant aux rôles secondaires, ils rivalisent d'inventivité pour décrocher la palme de l'agacement. L'arc concernant Julia se révèle ainsi particulièrement excédant. L'image de la fille libérée et à l'aise avec sa sexualité a ainsi été forcée sur elle avec une maladresse exemplaire, en faisant un personnage non seulement totalement incohérent dans ses motivations et attitudes, mais surtout volontiers antipathique. Sa colocataire Barbara ne s'en tire mieux que parce qu'elle hérite de moins de présence à l'écran, mais ses apparitions sont déjà suffisamment incriminantes. On hésite à savoir si sa mère est admirablement mal jouée ou si c'est simplement sa voix qui fait résonner toutes ses paroles avec des accents terriblement faux. Quant à son ami Eric, petit coq haineux au cerveau de la taille d'une noisette, il n'a comme qualité que de n'être pas complètement irréaliste, ce qui est extrêmement douloureux à concéder. Cependant, s'il faut décerner un prix, celui-ci revient sans doute à Vanessa, Eva Mendes discount qui, outre une vulgarité magouilleuse totalement gratuite, a la main haute pour ce qui est des dialogues surréalistes - et dieu sait que la série n'en manque pas !


Il faut dire que les intrigues ne donnent pas franchement l'opportunité de rendre les personnages crédibles. Piégés dans un amoncellement de clichés instrumentalisés façon FN, on nous fera redouter les cités grouillantes de voyous et les mafieux dont les coupes de cheveux sont plus effrayantes que les armes, autant d'opportunités de placer des rôles à faire grincer des dents toute personne normalement constituée. Quant aux incohérences qui nous sont balancées au visage sans ménagement, sans doute le spectateur est-il supposé les accueillir avec le sourire tant elles sont flagrantes. Je transmets donc toute mon admiration à Lucas Barres qui, dans un milieu ou vraisemblablement tout le monde demande des enquêtes sur tout le monde et décortique la vie privée de tout le conseil municipal depuis le lycée, est parvenu à mentir sur ses diplômes sans jamais se faire gauler.


Tentative de rédemption


En comparaison, si la seconde saison est bien loin de développer des qualités propres, elle a du moins le mérite inouï de se délester des défauts majeurs, de sorte que son visionnage ne relève plus de la torture masochiste. Exit, donc, les tics de réalisation déplacés : on ne versera pas de larmes face à la disparition des voix-offs et des slow-motions impromptues. Exit, aussi, les pires intrigues qui feront, ne nous y trompons pas, la place à d'autres à peine meilleures, mais c'est toujours ça de pris. J'ai bien conscience que mes convictions politiques me rendent un peu plus indulgente du fait des petites attaques lancées à l'égard du FN, mais il n'en demeure pas moins que le pitoyable duo complotiste Lucas/Vanessa est plus qu'avantageusement remplacé par la plus complexe dynamique Lucas/Jeanne, cette dernière profitant du monstrueux appel d'air pour peut-être devenir - par défaut - un des rôles les plus intéressants.


En effet, exit, surtout, les personnages les plus irritants. Si certains, du fait de leur importance, ne pouvaient pas tout bonnement disparaître, ils ont vu leur part à l'écran drastiquement réduite : ainsi, Julia et Vanessa, les deux messies du calvaire, ont été écartées pendant plusieurs épisodes et, signe ultime de rédemption, la fin de la saison semble même indiquer une plus franche disparition de leurs personnages à l'orée de la saison 3 (en admettant que celle-ci voie le jour). Barbara et Eric se sont - un peu - calmés dans leur ineptie grâce à leurs arcs respectifs qui, faute d'être brillants, leur donnent du moins un motif d'exister et une opportunité d'être un tant soit peu approfondis. Quant à Lucas, sa libido semble s'être à peu près stabilisée, tant et si bien qu'il arrive maintenant à interagir avec d'autres êtres humains sans avoir préalablement dézippé sa braguette - ou du moins il a le bon goût de faire ça loin des caméras.


N'omettons pas cependant que cette seconde saison s'ouvre sur un certain nombre de maladresses scénaristiques qui rattrapent difficilement les emportements mal calculés sur lesquels s'était achevée la première saison. En effet, afin de réintroduire des enjeux, les personnages se voient projetés dans de nouveaux conflits avec une économie de contexte qui se fait cruellement au détriment de la cohérence du récit. Ainsi, Eric, censé s'être rendu à la police, obtient sa libération de prison comme un don du ciel sans que l'on ne nous donne le moindre élément sur l'état de son dossier (n'était-il pas supposé avoir plaidé coupable ? a-t-il fait appel ?), tandis que le processus de réélection du maire par le conseil municipal suite au malaise de Robert Taro ne fait l'objet d'aucune explication ni même introduction pour le spectateur qui serait en droit de rester perplexe face à ces cironstances peu communes. On sent bien la volonté de bâcler les égarements d'une saison 1 dont le non-sens était devenu évident, mais aussi et surtout le manque total de maîtrise à l'écriture. Cependant, si cela peut permettre de précipiter plus vite la saison précédente dans le passé, montrons-nous indulgents, voire reconnaissants.


Le péché originel


Toutefois, en même temps que je félicite la série d'avoir su ainsi si abruptement redresser la barre, je ne m'en interroge pas moins sur les raisons d'un changement si tardif, trop tardif. Pourquoi avoir attendu l'exécution publique sur la place des fêtes pour essayer de remettre sur rails une série dont la saison 1 n'aura pas manqué de décourager une part généreuse de son public potentiel ?
Bien sûr, livraison à la Netflix oblige, il eut été impossible de réagir au cours de la diffusion de la saison 1 : ce n'est donc pas tant un défaut de réaction (puisque celle-ci intervient, donc, avec cette saison 2), que d'anticipation.


Qu'une production indépendante aux dépenses limitées, ou s'attelant à un sujet inusuel, ou adoptant une démarche auteuriste s'élance et se crashe en beauté n'aurait rien de bien déstabilisant. En revanche, qu'une production de telle envergure, dont l'on sent bien, que ce soit à travers son casting, ses thématiques, ses intrigues, sa mise en scène, son montage... qu'elle cherche à paraphraser avec esbrouffe (et maladresse donc) les sirènes d'HBO ou de Showtime, avec un évident désir de bombage de torse rémunérateur, on se demande volontiers pourquoi le projet n'a pas d'abord été passé au crible des études de marché et projections-tests.


Non que je plébiscite le recours systématique à ces procédés, qui n'aboutissent généralement qu'à un lissage tiède voire à la disqualification complète de projets autrement exploitables, mais la prise de risque ici effectuée me semble juste relever du non-sens. Certes, The Cloverfield Paradox ou Annihilation nous ont bien montré le crédit que Nextflix accorde aux résultats des projections-tests, et c'est en soi une démarche honorable (il en faut bien) ; cependant le rachat au rabais d'une oeuvre prête-à-l'emploi et le développement d'une série sur plusieurs saisons restent des problématiques d'ampleur peu comparable, et ici une meilleure prise en compte des attentes du public aurait sans doute ouvert la porte à un remodelage salvateur.


Je ne fais cependant ici, je me dois de l'exprimer clairement, qu'émettre une hypothèse : peut-être que le projet avait bel et bien fait l'objet de sondages et que l'échantillon-test était simplement frappé de folie. Cependant, tout semble crier que la série a été conçue dans une salle sans fenêtres par un assemblage douteux de créatifs et de financiers lancés dans une émulation frénétique qui aurait pu servir d'étude de cas pour drogues-info-service. J'ai beau nourrir à l'égard de mon ancien corps de métier un ennui mêlé d'un dégoût poli, si j'ai appris quelque chose des études de marché, c'est précisément qu'elles ont tendance à donner à l'innovation des limites trop serrées plutôt que trop lâches. Non, décidément, je ne m'explique pas une telle débâcle.


Au moment d'apporter la conclusion à ce texte, je me vois ainsi renvoyée à ma propre impuissance dubitative. Tout aurait fait sens si la série avait continué à s'entêter dans ses travers principaux, mais puisqu'elle les a manifestement identifiés et partiellement corrigés, c'est qu'il devait bien demeurer quelque part un embryon de conscience concernant la qualité de la copie. Quoi qu'il en soit, Marseille n'est une série à conseiller qu'en guise de plaisir coupable et de contemplation atterrée : une fascination propre à la flamme de la bougie prête à brûler tout ce qu'il reste au public de bon goût et de sens critique.

Shania_Wolf
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Créée

le 4 avr. 2018

Critique lue 353 fois

2 j'aime

Lila Gaius

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