A mi-chemin entre l'oeuvre d'art contemporain et l'animé de robot géant.

J'ai revu Evangelion ainsi que le film The End of Evangelion et j'ai eu plaisir à voir ma compagne découvrir la série (et faire systématiquement des pronostics qui s'avéraient mauvais.) Mais surtout revoir cet animé avec quelqu'un qui ne connaissait pas m'a fait prendre conscience du nombre assez faramineux de trucs auquel j'étais passé à côté lors de mon premier visionnage.

Car Evangelion n'est pas culte pour rien. Si pour vous, le problème de ce manga, c'est que Shinji pleurniche pour un oui ou pour un non (comme me l'avait balancé une nana lors d'un covoiturage) je pense que vous êtes vraiment passé à côté de l'oeuvre. La série est extrêmement trollesque avec son personnage principal et c'est en ce la qu'elle est bien écrite.

Bon, j'entre dans la zone spoiler/analyse et si vous voulez un avis sur Evangelion, c'est que je vous conseille de voir cette série, même si vous allez détester : Evangelion marque une rupture dans l'animation japonaise et dans le storytelling. C'est un animé qui est à la fois psychologique, cruel, beau dans ses scènes de batailles, ésotérique, mystique tout en étant parfois très cliché et en restant un exemple à ne pas suivre. (D'ailleurs beaucoup ont essayés de le suivre et s'y sont cassés les dents.) Et avec parfois, du comique, sorti d'on ne sait où.

Surtout, Evangelion est une oeuvre qu' il est quasiment impossible de comprendre du premier coup. Et.... c'est pas grave. Faites vous une raison. (Ou lisez l'interminable article wikipédia qui explique tout noir sur blanc.) Après tout ça n'est ni la première ni la dernière oeuvre imperméable que vous rencontrerez.

Shinji est une conséquence logique.

Les gens n'aiment pas Shinji parce qu'il est dépressif. Franchement, vu tout ce que ce personnage s'est pris avant le début de la série puis au cours des 24 épisodes... on le serait à moins. En réalité, il est entouré de tellement de gens à la personnalité disfonctionnelle (Rei, Misato) ou toxique (Asuka, Gendo) qu'il est impossible pour lui d'évoluer mentalement.

Le dessin-animé semble nous dire : "hé, vous trouvez ça cool de voir des ados qui sauvent le monde à bord de robots géants dans les autres animés ? Arrêtez, c'est une idée de merde. On ne fout pas l'avenir de l'humanité dans les mains de gosses qui sont dans leur pire période d'instabilité." Et il va jusqu'au bout de cette logique.

Evangelion prend les archétype des personnages de manga adolescent et pousse le curseur jusqu'au bout : la fille timide et réservée l'est parce qu'elle vraiment vide, la Tsundere déteste le monde entier parce qu'elle est brisée psychologiquement par un traumatisme d'enfance, et le garçon ténébreux tombé de nulle part.... n'est pas humain. Quant à Shinji, c'est l'archétype du héros effacé, en proie au doute... mais doué pour faire ce en quoi il déteste. Ceci dit, passé la moitié de l'animé, il doit ses réussites bien plus à des éléments externes (notamment l'Eva qui passe en mode berserk) qu'à lui même. Le pauvre est malmené durant tous le dessin-animé (j'ai rarement vu un personnage se prendre autant de violence psychologique en peu de temps) et possède le PIRE père jamais fait dans un animé. Dire que Gendo Ikari relève du pervers narcissique est limite une insulte envers les pervers narcissique tant il compte réellement de changer le monde afin que celui-ci serve ses intérêts divins.

A vrai dire, la sauvegarde de l'humanité à la fin de The End of Evangelion repose sur un coup de pot formidable, vu que Shinji aurait dû être bien plus brisé que ça psychologiquement et aurait peut-être dit qu'il serait mieux pour tout le monde qu'on reste à l'état de mer de LCL. (Et encore, la fin n'est pas très claire à cause de la dernière scène qui donne l'impression qu'il ne reste plus que Shinji et Asuka)

Shinji est un leurre

J'étais très étonné en revoyant l'animé de voir que certains points du scénarios étaient abordés, évoqués ou mis en scène beaucoup plus tôt que dans mes souvenirs. Et j'ai compris pourquoi : j'étais sans doute bien plus en train de suivre la trame de Shinji et de son rapport aux autres pour voir ce qui se tramait en arrière plans. Et en cela l'animé est très malin en nous faisant passer des trucs dingues derrière ce que l'on imagine être une intrigue sentimentale lycéenne.

Ainsi, j'ai poussé un cri en revoyant l'une des scènes du début où Gendo Ikari sauve Rei sous les yeux de Shinji. Ma copine était à fond dans le "mais c'est dégueulasse, il est bien plus humain avec cette fille qu'avec son propre fils" tandis que moi j'étais en train de penser "putain, mais il ouvre une porte chaude avec ses mains... Adam n'est pas là."

Mais après tout comme bien des éléments sont abordés de manière franchement cryptique, au détour de dialogues, il est normal que ça ne nous dise rien. Alors, toute l'intrigue des premiers épisodes permet au spectateur de se focaliser sur un chiffon rouge et une histoire assez facile à comprendre, surtout, que l'animé joue avec nos propres perception. On a vu assez d'animé de Kaiju, d'invasion extra-terrestre et de robot géant pour supposer que les Anges viennent sur Terre pour détruire les humains. Ce qui n'est jamais dit explicitement : on suppose qu'ils viennent là pour se fritter avec nous et que les humains sont le dernier rempart avant l'annihilation. D'ailleurs, la série ne dit jamais qu'ils viennent de l'espace (on voit même l'un d'entre eux se former dans un volcan terrien) seul le spectateur le pense.

S'imaginer qu'en réalité, la race qui se fait annihiler c'est les Anges (mais que le sort prévu pour les humains n'est guère réjouissant) va demander un effort au spectateur qui assimile les épisodes sans même se demander pourquoi un Ange attaque en mer alors que depuis le début ceux-ci se concentraient contre la base principale. Et tout en matant cela, au fond, le plan de complémentarité de l'homme, avec ses histoires complexes à base d'Ange, d'extra-terrestres, de berceau de l'humanité... se met en place. Et lorsque celui-ci éclate, c'est après la moitié des épisodes : on est déjà happé par l'histoire et on accepte de continuer même si on aurait dû ne rien y comprendre.

A la revoir, la série abuse quand même pas mal du "je vais mélanger des trucs vrais dans des trucs dont on pense que c'est du verbiage" ce qui rend le truc parfois indigeste, notamment passé la deuxième moitié de la série (je pense qu'il y avait abus de verbiage.) Et puis, les deux "faux" derniers épisodes sont quand même un GRAND niveau de troll, tant ce qui se dit est loin d'être intéressant. Ça fait un peu "monologue métaphysique creux sur fond d'art contemporain" par moment.

Mais ça m'a pas déplu de revoir tout ça. Bon, je pense que je me ferais le remake sous la forme de 4 films (j'avais vu les deux premiers au cinéma, ils vont droit au but, sont moins verbeux et sacrément beau) quand le dernier déniera sortir.