Show Me a Hero
7.7
Show Me a Hero

Série HBO (2015)

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Le sujet est très original et accrocheur mais il est terriblement mal exploité, désolé pour celles et ceux qui adorent (j’aurais préféré aimer). (Je vais un peu spoiler mais rester vague sur les péripéties.)


Le point de départ : En 1987, la ville de Yonkers, New-York, a été mise en demeure par la justice d’appliquer sa décision de faire construire 200 logements sociaux destinés aux personnes à faibles revenus dans le quartier de East Yonkers où vivent des habitants de classes moyenne ou supérieure. Si les logements ne sont pas construits, la ville s’expose à des amendes de plus en plus lourdes, au risque de la faillite et de peines de prison… Plusieurs maires successifs, des conseillers municipaux, des pauvres, des riches y sont favorables ou défavorables et la série montre tous ces conflits sociaux et politiques.


Pas de doute sur l’originalité. On ne serait pas surpris de voir de riches habitants blancs et de riches hommes politiques blancs s’opposer à la déségrégation en Alabama dans les années 1960 mais on est bien plus tard et dans un état démocrate sans tradition ségrégationniste. Le spectateur va pouvoir contempler le racisme anti-Noirs et anti-pauvres d’une grande partie de la classe politique de la ville et de ses habitants. Un sujet éternel (la lutte des classes).


Mais c’est David Simon le créateur, le journaliste qui écrit des scénarios sans jamais avoir appris. Ce sujet va donc être soigneusement et systématiquement miné, détourné et affaibli par le scénario, aidé avec un enthousiasme suicidaire par la mise en scène de Paul Haggis, qui réalise tous les épisodes.


Le héros et les conseillers : Plusieurs conseillers municipaux sont farouchement contre les logements sociaux et font courir à leur ville le risque d’une faillite. Dans les trois premiers épisodes, aucune scène n’oppose vraiment ces Contre aux Pour. Les Contre avaient des arguments (pas nécessairement valables) qui sont exposés (criminalité) mais là c’est trop tard. La ville doit appliquer la décision de justice sinon elle paye. Quel homme ou femme politique se rendra coupable d’un tel échec ? Dans l’épisode 4, une telle discussion a lieu mais elle est faible ; un maire Contre sera élu mais son mandat passe beaucoup trop vite (même pas l’épisode entier, il me semble). Il aura dû finalement se conformer au jugement mais on n’en verra que le résultat concret : la construction de logements. Ce maire, clairement désigné par la série comme un sale type (il est obèse, parle avec une allumette au coin des lèvres et met les pieds sur la table), n’aura jamais la chance de s’exprimer plus de trois minutes. Pendant la moitié de la série, ce ne sont que des regards noirs et méprisants qui l’opposent au héros, un Pour. Les autres Contre ne sont pas montrés et on ne sait pas qui est qui. Tous ces politiques Contre sont donc suicidaires ou jouent les idiots, et on ne les entend pas : comme opposants au héros, ils sont nuls et donc leurs conflits avec lui aussi.


Le héros et les riches : Une femme Contre s’engage assez rapidement dans la lutte. Elle a seulement peur de la criminalité qu’elle suppose toujours liée à la pauvreté mais elle n’est pas raciste, comme une scène le fait comprendre. Son affrontement avec le héros commence par une insulte, une éviction et elle tombe sur lui au téléphone par hasard en appelant la mairie. On attend l’affrontement, les explications. On n’aura qu’une rapide conversation, polie et gênée de part et d’autre : aucun des deux ne va essayer de convaincre l’autre. Le héros promet de ne plus la faire sortir, mais elle ne promet pas de ne plus l’insulter, c’est un sacré chèque en blanc… La scène est une des plus vides de toute la série.


Problème encore plus important dans ces affrontements : la mise en scène. Elle est ordinaire pour une série télévisée, c’est-à-dire très faible car se contentant d’enregistrer ce qu’il se passe à l’écran sans apporter de sens ou d’émotion. Quand les personnages parlent, les plans sont presque toujours les mêmes : il est tout seul dans le plan et cadré au bas de la poitrine ou en gros plan. Comme de très nombreuses scènes dialoguées sont filmées ainsi, il en résulte l’habituelle monotonie visuelle de la série télé. (Une fois sur le tournage, le metteur en scène a eu une idée : quand un personnage sympathique plonge dans la drogue, la caméra s’écarte de lui en faisant apparaître un pan de mur flou au premier plan qui écrase un peu le personnage, tandis qu’une musique angoissante s’élève. C’est un peu lourd.) Les affrontements en perdent considérablement de la force et deviennent singulièrement anodins.
Le héros et sa femme : Vu les regards bien appuyés qu’ils se lancent dès les premiers plans de l’épisode 1, on a bien compris qu’ils finiraient ensemble, ce qui arrive très vite. Ils sont souvent filmés dans le même plan, ce qui change de la manière habituelle du réalisateur. Le héros est le seul personnage que l’on connaisse de manière un peu approfondie. Il faut dire qu’il nous assomme tout le temps de ses désirs, regrets, haines. Il parle à son père sur sa tombe mais comme il parlerait à un vieux chien malade : comme un prétexte pour verbaliser ses sentiments. Evidemment, ce n’est jamais touchant, seulement utilitaire (mais on peut se consoler en repensant aux scènes déchirantes de La Charge héroïque où John Wayne parle à sa femme sur sa tombe ou aux moments similaires de La Dernière Fanfare où Spencer Tracy s’arrête devant le portrait de la sienne). Le héros parle aussi beaucoup à sa femme, sans trop l’écouter non plus, d’ailleurs. Ca tombe bien, elle n’a rien à dire : elle ne semble être là que pour le soutenir moralement, n’a aucune existence propre et chaque fois qu’elle est présente à l’écran, c’est derrière lui dans son ombre, une brave petite potiche. Il le faut, tant le héros va se montrer égoïste et obsédé par sa seule réussite.


Les riches et les conseillers : dans chacun des 4 premiers épisodes, une séance du conseil municipal est tendue : vont-ils accepter la décision du juge ou pas ? Et elle est toujours chahutée par un groupe d’habitants Contre en colère. (Sympa que ce soit possible, j’irai bien faire ça au conseil municipal de Toulouse.) Dans trois épisodes, la réponse à la question est la même, donc grosso modo la scène aussi. En 4 heures, on a donc droit à peu près à 4 fois la même scène. Inutile de dire que bien sûr, du coup, le scénario n’avance pas d’un pouce pendant presque tout ce temps de ce côté-là. Ce n’est pas un accident mais un véritable principe d’écriture, déjà à l’œuvre dans Sur écoute (il fallait bien tenir 10 heures par saison sur quelques idées).


Les habitants pauvres : l’écriture de leurs scènes suit ce principe de tirage à la ligne. Ces scènes ne sont pas inintéressantes : une infirmière noire malade dont l’Etat ne s’occupe pas bien, une jeune femme noire seule avec un petit enfant, qui fait ce qu’elle peut, etc. Ce n’est pas rien de montrer des gens défavorisés dans une série américaine. Le problème, c’est l’écriture : les scènes sont elles aussi très répétitives et trop courtes pour faire creuser l’histoire des personnages. Ainsi, une mère de famille hispanique séparée de son mari pourrait lui confier ses enfants par manque d’argent. Elle l’a en face ou au téléphone plusieurs fois, c’est toujours pareil. Le père en prend un, elle finira par le récupérer et les autres aussi. Les histoires avancent (un nouveau petit ami, une naissance, une séparation, une peine de prison, etc.) mais comme les scènes sont courtes, ni les faits, ni les sentiments ne peuvent être creusés. Les auteurs veulent bien filmer des pauvres mais pas les fréquenter de trop près, on ne sait jamais. Le spectateur ne risque pas d’être accablé par les conditions de vie ou de s’émouvoir grâce à eux comme chez Ken Loach ou Mike Leigh. Plusieurs familles sont ainsi traitées et leurs histoires entrelacées avec les conflits sociopolitiques, mais les scènes ont une portée émotionnelle tellement faible… et un sens limité aussi, donc. Dans l’épisode 5, ils sont convoqués à une réunion faite pour leur donner confiance dans les nouveaux logements et les encourager à postuler. Le président de la réunion, un vieux Noir ridé et sage double de Morgan Freeman, commence par une métaphore : « Je vais vous raconter une histoire. Il y a un lac dans la forêt, les gnous, les girafes et tous les animaux vont y boire… » et Coupez ! On n’a même pas la fin de l’histoire !! C’est hallucinant mais de toute façon les scénaristes ne la connaissent pas non plus (ou bien ils n’ont pas osé tellement elle est évidente). Une autre scène ailleurs est commencée et on revient à la réunion qui, surprise ! vient tout juste de se terminer ; le président et un autre homme se félicitent et affirment la nécessité des métaphores, comparaisons, paraboles et allégories (je jure qu’ils utilisent ces quatre mots). C’est se moquer du monde : donner à voir le début et la fin d’une scène mais pas le milieu ! On croit rêver… qu’espèrent les scénaristes sinon gagner du temps en cachant qu’ils n’ont rien à dire ?


Les habitants pauvres mettront du temps à s’engager pour la reconnaissance de leurs droits. Pendant plus de la moitié de la série, ils se tiennent à l’écart des conflits pour ou contre les logements sociaux. A quoi servent-ils alors comme personnages puisqu’ils ne sont pas acteurs des conflits (pendant longtemps) ? Ca fait un peu mal mais je ne vois qu’une réponse : à montrer qu’il existe des pauvres dignes d’être effectivement relogés dans de meilleurs conditions ! Bref, une évidence d’une trivialité honteuse, qui ne nécessite aucunement tout ce temps, sauf à prendre son public pour des abrutis réactionnaires ou à vouloir le convaincre parce qu’il en a besoin, ce qui est possible, après tout…


Les riches et les pauvres : Dans l’épisode 5, ils se rencontrent enfin : des Blancs riches rendent visite à des Noirs pauvres. C’est l’occasion pour la série de faire se croiser des personnages qu’on suit depuis le début, une femme blanche Contre et une jeune Noire qui élève seule son enfant. Ca devrait être un moment important dramatiquement, que son issue soit positive ou négative. On a une brève scène couverte par un déluge de musique, donc pas de dialogue et pas de vraie rencontre. Encore une idée mal exploitée qui donne lieu à une scène superficielle.


Bref, David, encore merci pour ta contribution à la mort du récit dramatique grâce à tes séries fades propres sur elles et bidon.

Totof
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le 10 août 2016

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