Texhnolyze
7.6
Texhnolyze

Anime (mangas) Fuji TV (2003)

La théologie enseignait volontiers que si tout commença dans un jardin, tout finirait dans une ville. On pense bien entendu à Jérusalem, édifice du génial Créateur, cité céleste et lieu de rédemption d'une humanité aux nobles espoirs ; mais la ville peut encore être le centre du vice, là où les hommes bâtirent l'horrible tour de Babel.


Bien opposée à Jérusalem est la ville de Lux, édifice d'une créature honteuse, cité souterraine et lieu de déchéance d'une humanité en proie au désespoir. Les hommes de Texhnolyze ne s'élèvent plus, ils creusent, se cachent, se complaisent dans l'obscurité. Vivre sous terre n'est guère une mince affaire, et les habitants de Lux opposent au mythe doré de la surface la sinistre réalité du souterrain. Nostalgie de la lumière naturelle. Car ici-bas, tout est artifice, la nature est factice, et les habitants vivent au bord d'un précipice. Un précipice adoré puisqu'il offre la précieuse Raffia, qui permet à ceux-là de donner corps à la technique des techniques, la texhnolyze.


Dans cette ville de l'ombre, quatre personnages absolument fascinants ne cessent de se rencontrer et de se séparer. Le stoïque Ichise ne commence à vivre qu'une fois bercé par la mort. La divine Ran prévient, mais n'ose intervenir. La caïd de la ville Ohnishi pense être un heureux élu. Enfin, le surhomme nietzschéen Yoshi, arrivé récemment à Lux, cherche apparemment des hommes. Ran suit Ichise, mutilé par Onishi. Ichise s'éprend d'elle et devient fidèle à Onishi, lequel est frappé de plein fouet par les divertissements de Yoshi. Vous l'aurez compris, ce n'est pas tant ces personnages isolés qui importent, mais leur relation, tout à fait étrange.


Si l'humanité est coupée en deux entre la surface et le souterrain, une échelle plus fine voit l'environnement de Lux déchiré entre la pléthore d’habitants défavorisés et les membres de The Class. Les membres de The Class sont le mystère de l'oeuvre, poupées de porcelaines obsédantes et hypnotisantes, entre l'homme et la texhnolyze. Parmi eux Kanno, aux jambes de synthèse sublimes, est à mon avis le personnage le plus excitant de la série. Élégant comme un cygne, maître insondable des événements, frappé dolentement par l'ennui, tous ses artifices éclairent à l’abri de toute lumière le désespoir de l'humanité. Kanno est l'homme désespéré par excellence, qui dans son indifférence, trouve des ressources aussi décalées qu'insoupçonnées. Le maître dis-je.


Galerie riche de personnages complexes, Texhnolyze est aussi et avant tout un récit miraculeux et ténébreux de la fin d'un monde. Jamais oeuvre (tout support confondu) n'aura, selon moi, réussi à représenter de manière si crédible et poignante les derniers souffles de l'humanité. Les thèmes brassés sont nombreux (la technique, la nature, le solipsisme...), et on est surtout marqués par la confrontation inédite d'Ichise avec le destin (on est bien loin des tragédies grecques), la présence mystique de The Class qui complète paradoxalement le désenchantement d'un univers régi par la technologie. Assurément un anime que l'on pourrait qualifier de philosophique.


Techniquement, on notera le travail stupéfiant de Yoshitoshi Abe ( les yeux magnifiques de Ran!), la beauté et la diversité des plans, en particulier ceux exposant les lieux envoûtants de The Class. La musique est pour ainsi dire parfaite, certains morceaux magnifient le silence de séquences particulièrement élégantes, quoique terriblement désarçonnantes.


Texhnolyze n'est pas une oeuvre expérimentale, c'est un monument de l'animation japonaise, impressionnant de maîtrise et de beauté, et qui peut largement prétendre au titre d'oeuvre d'art à part entière. Plongée violente et dolente dans un univers brutal, Texhnolyze n'exige presque rien de son spectateur, si ce n'est qu'il ait le courage de goûter modérément à son désespoir ambiant. Car il semblerait que Texhnolyze n’ait peut-être que cela à lui offrir : une vision claire et sans ambiguïté de l'apocalypse. N'est-ce pas déjà exceptionnel ?


https://www.youtube.com/watch?v=LgoMU8WQguU

Tapiel
10
Écrit par

Créée

le 4 juil. 2015

Critique lue 1.4K fois

7 j'aime

Tapiel

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7

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