Tokyo Trial
6.9
Tokyo Trial

Série NHK (2016)

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La mini-série historique est un exercice de style qui peut être aussi stimulant que périlleux. S’attaquer au « procès de Tokyo », c’était prendre le risque de livrer un récit qui fût trop lisse et consensuel avec les conclusions finales du Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient.


Pour mémoire, cette juridiction exceptionnelle, composée de 11 juges de nationalités différentes choisis parmi les pays Alliés, a été mise en place pour juger 28 Japonais, anciens membres du gouvernement impérial ou de l’État-major des armées et accusés de crimes de guerre. Ces derniers ont été définis préalablement par une charte, promulguée en janvier 1946 par le Commandement suprême des forces alliées, dirigée par le général américain Douglas MacArthur. Cette charte fixait trois types de crimes de guerre, pour partie inspirés du canevas légué par le procès de Nuremberg : les crimes contre la paix (perpétrés par les élites décisionnelles de l’Empire du Japon, ayant sciemment déclaré une guerre d’agression pour étendre leur territoire colonial) ; les crimes de guerre conventionnels (contraires au droit de la guerre international) ; les crimes contre l’humanité (nouveauté introduite par le procès de Nuremberg, pour juger des crimes commis contre les juifs, tziganes et autres populations déportées et exterminées dans les camps de concentration par l’Allemagne nazie, ayant trait donc à l’exécution méthodique de toute ou partie d’une population).


Co-production nippo-néerlandaise, Tokyo Trial ne tombe pas dans le travers susdit d’évoquer de manière linéaire et trop peu critique ce procès qui eut une ampleur similaire à celui de Nuremberg pour les populations asiatiques. La série se garde en effet d’adopter un biais unanimement pro-Allié, mettant par exemple en évidence la relative autonomie des juges durant le procès par rapport aux États-Unis, voire rappelant à plusieurs reprises que l’attitude américaine durant les dernières semaines de la guerre du Pacifique ne fut pas exempte de tout reproche : l’un des protagonistes évoque les 100 000 victimes en grande partie civiles qui résultèrent du bombardement de Tokyo au napalm par les avions américains en mai 1945 ; un autre, au gré d’une promenade avec un général américain dans un parc de cette même ville, ironise sur le fait qu’il ait été laissé intact par les raids aériens destructeurs.


La défense astucieuse des nippons, qui a ébranlé le début du procès, n’est pas non plus passée sous silence, comme par exemple la réfutation du chef d’accusation de crime contre la paix, jugé inexact car non-existant en 1941 dans le droit international, ou encore le sulfureux discours du major Blakeney qui, pour réfuter l’accusation de meurtre pour un pays et ses dirigeants, dressa un parallèle entre l’attaque de Pearl Harbor et les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, arguant que dans un cas comme dans l’autre, les responsables pourraient alors être tenus pour des criminels de guerre suivant cette logique.


Bref, tout ça pour dire que d’emblée, le ton est donné d’une fiction qui ne se voudra pas apologie du tribunal de Tokyo, mais bien plutôt une œuvre critique, volontiers philosophique et prompte à poser plusieurs fois des questions sur la nature et le bien-fondé du droit international, sur les responsabilités des élites politiques dans une guerre et plus largement sur les conditions de l’interprétation de la loi dans un contexte historique perçu comme exceptionnel. À plusieurs reprises, le parallèle peut être dressé avec un autre huis-clos judiciaire, 12 hommes en colère, particulièrement lorsqu’il s’agit de montrer à quel point les vues peuvent initialement se heurter les unes aux autres pour finalement converger au gré des débats, pour a minima faire consensus.


On suit donc le juge envoyé par les Pays-Bas, Bert Röling, qui va cristalliser sur sa personne (et sa conscience) la majeure partie de l’intrigue. C’est parmi les 11 juges présents celui qui a l’esprit le plus malléable, dans le sens qu’il se conçoit en priorité comme juge impartial, faisant passer sa propre conviction avant la politique de son pays. Ce désir d’objectivité le fait ainsi changer d’avis, sous la houlette du juge indien Pal (joué par le regretté Irfan Khan), qui pointe la question de la légitimité même du tribunal selon que l’on considère le pacte Briand-Kellogg de 1928 comme intrinsèquement porteur d’une forme de légalité internationale ou non. Toute la tension de la série se construit autour de cette tension qui a historiquement existé, et qui fut in fine rejetée par le tribunal.


J’ai apprécié la grande maturité, le sérieux qui se dégageait de chaque scène, de chaque dialogue entre les protagonistes durant les délibérations à huis-clos. Le président du tribunal, Webb, dit au début que c’est l’histoire qui est sur le point d’être écrite, et rien dans cette fiction ne vient le contredire. On assiste avec délectation aux débats entre ces 11 hommes aux nationalités et aux expériences différentes, mais souhaitant tous concourir à rendre la justice de la façon la plus impartiale possible. Les discussions sont reconstituées à partir des jugements séparés que plusieurs d’entre eux émirent à la fin du procès. On ressent chez chacun cette crainte de ne pas voir les erreurs de la Première guerre mondiale et de la paix de Versailles reproduites ; de couper la tête de l’hydre sans pour autant anéantir le Japon et son peuple comme ce fut le cas en 1919 pour l'Allemagne.


Pour cela, la question de la responsabilité de l’empereur dans la déclaration de guerre aux Alliés, encore aujourd’hui ambigüe et très largement discutée par les historiens, est abordée avec subtilité. Un voile pudique est laissé sur l’histoire, laissant courir les suppositions d’une ingérence américaine dès la fin du conflit pour préserver Hirohito et sacrifier plutôt la caste militariste qui l’entourait, menée par Tojo et ses sympathisants.


Les phases qui traitent du procès en lui-même combinent habilement les images d’archives et les séquences fictives, filmées en noir et blanc et au format 4/3. Les langues sont respectées avec réalisme : le général soviétique est traduit en permanence par son interprète, Röling et son agent de liaison parlent en néerlandais entre eux, les allemands en allemand… L’immersion est sublimée par une photographie de grande qualité, discrète et soyeuse, qui retranscrit parfaitement l’ambiance cossue mais pesante de l’hôtel dans lequel se déroula le procès. La bande-originale, également, est de toute beauté, et tombe toujours juste.


Si le jeu d’acteur de certains personnages (comme le juge Bernard, joué par Serge Hazanavicius) laisse par moments à désirer, il n’en va pas de même pour les dialogues, qui sont tout à la fois pédagogiques et profonds, sans devenir abscons. Les problèmes juridiques sont exposés dans une langue neutre, propre à être comprise de tout spectateur, y compris en VO. La loi agit sur les 11 juges comme une sorte de langue universelle, dont l’interprétation serait au demeurant le réel problème babélien. Les convictions, parfois motivées par des meurtrissures émotionnelles fortes (le juge Mei de la Chine de Tchang) se heurtent aux enjeux judiciaires, géopolitiques, et, déjà, de mémoire.


Car la principale question soulevée par Tokyo Trial reste toutefois celle de sa propre postérité. Tout comme Nuremberg est conçu comme un jalon à l’avenir essentiel pour le droit international, le tribunal de Tokyo se doit de composer avec l’interprétation qui sera faite par les générations futures de son verdict. Les dialogues entre Röling et l’écrivain Michio Takeyama au sujet de la responsabilité partagée entre les dirigeants japonais et le peuple lui-même sont à ce titre exemplaires. Comme le dit l’auteur, si le peuple ne peut être tenu responsable pour tous les méfaits de l’armée nipponne, on ne saurait toutefois complètement l’exonérer de tout reproche : son inertie a permis à une caste d’homme très puissants de lui insuffler une idéologie mortifère et destructrice, fondée sur l’esprit de conquête et la conviction de la supériorité du Japon sur les pays asiatiques de sa « sphère de coprospérité ».


Une mini-série formidablement bien écrite, intelligente sans être pompeuse, et qui permettra à ceux qui le souhaiteront d’en apprendre plus sur cet événement plutôt méconnu en Occident comparativement à l’autre gros procès de l’après-guerre, Nuremberg, mais dont l’importance dans l’héritage du droit international contemporain n’est aujourd’hui absolument pas négligeable, comme nous le rappelle à la fin la naissance, 50 ans plus tard, de la Cour internationale de justice à La Haye.

grantofficer
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le 4 nov. 2020

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