Trepalium
5.9
Trepalium

Série Arte (2016)

Un concept intéressant qui stagne en surface

https://leschlamedias.wordpress.com/2016/06/08/trepalium-un-concept-interessant-qui-stagne-en-surface/


Arte a toujours eu le don de présenter des séries intéressantes, novatrices, différentes de celles proposées sur les canaux généralistes grand-public. Ainsi soient-ils, Breaking Bad, The Hour, The Killing, Borgen, Occupied, la chaîne n’a cessé de nous surprendre par ses diffusions audacieuses. Un nouveau projet français pour le moins intriguant nous est présenté fin janvier : Trepalium.


Dans une société futuriste, sensiblement proche, la population d’une ville est séparée par un mur. D’un côté, les actifs, environ 20% de la populations, salariés vivant dans un luxe certain. De l’autre, les zonards, qui rassemblent pas moins de 80% de la population, sans emplois et vivant dans une misère apocalyptique. Un beau jour, la première ministre, Nadia Passeron (Ronit Elkabetz), lance un grand programme d' »emplois solidaires » consistant en l’emploi de zonards au service d’actifs pour les aider dans leurs tâches du quotidien. À ce titre, Izia Katel (Léonie Simaga) va travailler pour Ruben Garcia (Pierre Deladonchamps) et sa femme, Thaïs (Léonie Simaga à nouveau). Cependant, cette dernière disparaissant, Izia, qui lui ressemble comme deux goûtes d’eau, va prendre sa place dans la famille. En marge de ces événements, une révolte anti-système semble se profiler.


Dès les premières minutes, déjà, le verdict est écrasant : tout est horriblement mal joué. Les acteurs ne sont pas réactifs, lancent les répliques de manières mécaniques, manquent cruellement de dynamisme, plongeant l’atmosphère dans une mollesse perpétuelle. D’une insipidité sans bornes, on a la mauvaise impression de se trouver face a une bande d’amateurs. Pourtant, il n’en est rien ! Léonie Simaga, bien que novice à l’écran, a fait ses preuves pendant près de 9 ans à la Comédie-Française, Pierre Deladonchamps, une petite carrière, avec tout de même un César du meilleur espoir masculin en 2014, espoir bien vite envolé, Ronit Elkabetz, 25 ans de carrière en Israël et en France. Pourtant rien n’y fait, on est incapable de croire en la moindre parole. Le tout surplombé par des textes mal écrits, qui différencient difficilement le vocabulaire familier et soutenu, et par un montage désastreux avec des faux-raccords à tout va. Seuls les décors réussissent à tirer leur épingle du jeu dans la mesure où ils allient futurisme et rétro des années 70.


L’interprétation ne représente cependant que la partie visible de l’iceberg. On a tout de même une idée de base extrêmement intéressante. Face au problème croissant de l’emploi en France et aux mesures politiques drastiques face à ce dernier, les créateurs décident de largement extrapoler la question pour pousser le vice à son paroxysme : le point de non-retour où la dichotomie entre travailleur et salarié devient absolue par la séparation matérielle et visible d’un mur. On se place donc dans l’anticipation, le genre de la série se revendique lui-même comme tel. Tous les codes de la dystopie sont repris, la population est passive, uniforme, oppressée par un mal invisible représenté par le gouvernement. L’anticipation est d’ailleurs relativement étrangère au format télévisuel. Excepté la merveilleuse Black Mirror, on a plus souvent l’habitude de s’y confronter dans des romans et au cinéma, rarement sur un format de plusieurs épisodes. L’expérience se trouve être ici raté, au même titre que ce que l’on avait pu reprocher à 11.22.63, la série reste en surface, peine à avancer et demeure pauvre en réflexions.


Le premier obstacle est celui de la contextualisation. On manque gravement d’éléments historiques. L’anticipation suppose un lien, aussi léger soit-il, entre notre société et celle dystopique présentée. Ou même une histoire, un événement marquant, le passage d’une ère à une autre. Ici, rien. On ignore tout du pourquoi, du comment, le chômage élevé est un simple fait établi, on ne sait pas s’il touche simplement l’agglomération ou le pays tout entier, l’univers est limité à la simple bulle de cette ville empêchant l’histoire d’être rendue crédible. La situation relève-t-elle d’un complot oligarchique ou s’agit-il d’une réelle nécessité ? La hiérarchie du système reste elle-même très floue. Un gouvernement semble être en place mais on n’en comprend pas son fonctionnement, s’il y a des élections, s’il s’agit d’une dictature, très peu d’informations à ce sujet également. Bien que cela se revendique comme de l’anticipation, le rendu final en rend la conception plus difficile.


Au delà de ces considérations contextuelles, la série va jusqu’à bafouer le principe de la dystopie : amplifier un vice sociétal jusqu’à l’extrême pour en tirer des conséquences. Aucune réflexion n’est portée, ni sur le travail, ni sur le chômage, préférant se recentrer sur l’idée de révolution. Des œuvres comme 1984, Fahrenheit 451 ou encore Le maître du haut château nous avaient cependant prouvées que le non-aboutissement de la lutte contre le système dystopique permet aussi, voire même plus, d’en comprendre les conséquences néfastes, étant généralement basée sur une injustice. D’ailleurs la révolte ne portera ici même pas sur le principe absurde de la séparation de la population mais plutôt sur le fait que le gouvernement pollue volontairement l’eau consommée par les zonards. Plutôt que de se concentrer sur la notion de travail, les créateurs préfèrent se recentrer sur une éternelle histoire d’amour insensées, des futilités de père disparu, de « je suis ton fils et bam même qu’elle eh ben elle était pas morte en fait ». Finalement, il ne se passe strictement rien au fil des épisodes, ça papillonne dans tous les sens et finit par ne rien traiter du tout.


Le tableau n’est pas totalement noir. Si le casting est majoritairement blanc, notons tout de même qu’une grande place est faite aux femmes, elles occupent des positions importantes, première ministre, cheffe des armées, ministre du travail. Même le président est racisé, ce qui nous change de l’éternel homme blanc sexagénaire au pouvoir. On a également une légère évocation du mariage homosexuel comme un fait établi sans pour autant que cela n’intervienne dans l’intrigue. À défaut de faire preuve d’anticipation, la série réussit à faire preuve d’ouverture d’esprit.


Mis à part ce point positif, qui compte beaucoup dans nos cœurs, le reste est un véritable désastre. Mal écrite, mal jouée, mal montée, sans intérêt et d’un ennui profond, Trepalium qui disposait pourtant d’un potentiel certain s’avère être une réelle déception. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y aura pas de seconde saison. Cependant, la productrice, Katia Raïs, assure qu’il y aura d’autres projets du genre, centrés à chaque fois sur l’un des symptômes du monde et que la prochaine série s’intéresserait au vieillissement de la population. On peut dès lors supposer qu’elle mettra en place une société côtoyant l’immortalité, mais on peut surtout espérer qu’elle sera de meilleure qualité et qu’elle ira un peu plus au fond des choses.

Clepot
3
Écrit par

Créée

le 8 juin 2016

Critique lue 533 fois

1 j'aime

Clément Capot

Écrit par

Critique lue 533 fois

1

D'autres avis sur Trepalium

Trepalium
patatedestenebres
4

ça manque de Tetra-Grammaton.

Bon, Trepalium, le retour de l'anticipation à la française donc. L'idée est toujours bonne, de transposer le présent vers un futur proche, pour faire de la dénonce et - depuis quelques années - de...

le 8 févr. 2016

10 j'aime

Trepalium
No-R
8

Désobéissance civile...

Certes le jeu d'acteur n'est pas au top, certes la réalisation n'est pas extraordinaire et le budget semble-t-il n'a pas été très conséquent. Mais justement, avec peu de moyen, peu de spectacle ou de...

Par

le 19 févr. 2016

9 j'aime

Trepalium
Specliseur
4

Du bon ouvrage finalement gâché.Déception.

Trépalium est une série française qui a misé sur son ambiance "1984" plutôt que sur les effets spéciaux. Elle prouve une fois de plus que la façon de raconter une histoire avec des scènes fortes et...

le 11 févr. 2016

9 j'aime

4

Du même critique

Phoenix
Clepot
8

Claque.

Je suis assis sur mon fauteuil rouge, sans prévenir, le générique surgis. Et là je suis complètement perdu. Une clope, deux clopes, rien n'y fait. Je ne sais plus qui je suis, où je suis ni...

le 7 févr. 2015

13 j'aime

1