Attention : le texte qui suit révèle certains éléments de l'intrigue. Cependant, dans Twin Peaks ce n'est pas tant l'information qui est importante mais la façon dont elle est mise en scène. Lire ce texte ne devrait donc pas nuire au visionnage.


C'est une chose difficile à comprendre pour moi qu'une série aussi maladroite et bancale, qui ne savait pas où elle allait quand elle a commencé et qui a continué de se chercher pour ne jamais se trouver/finir (1), puisse à ce point faire consensus auprès de ses spectateurs.


La raison devrait pousser n'importe quel critique sérieux à relativiser la qualité réelle d'une œuvre dont l'un des personnages les plus importants (Bob, incarné par Frank Silva) est né d'une erreur de tournage (spoiler), une œuvre dont certains des acteurs principaux ont regretté avec amertume la désertion des créateurs Frost et Lynch au cours de la saison 2, une œuvre enfin dont David Lynch lui-même a reconnu les errements en ces termes :



The murder of Laura Palmer was the center of the story, the thing around which all the show's other elements revolved – like a sun in a little solar system. It was not supposed to get solved. The idea was for it to recede a bit into the background, and the foreground would be that week's show. But the mystery of the death of Laura Palmer would stay alive. And it's true: As soon as that was over, it was basically the end. There were a couple of moments later when a wind of that mystery – a wind from that other world – would come blowing back in, but it just wasn't the same, and it couldn't be the same. I loved Twin Peaks, but after that, it kind of drifted for me.



Pour les anglophobes, résumé grossièrement cela donne : « Le meurtre de Laura Palmer n'était pas censé être résolu. J'adorais Twin Peaks, mais après cela, c'est un peu parti à la dérive à mes yeux. »


Qu'il aurait mieux valu ne pas résoudre le meurtre de Laura Palmer, c'est ce dont je ne suis pas sûr. À mon avis, les vilains studios ont eut raison d'imposer cette résolution ; seulement, il aurait fallu arrêter la série dans la foulée, et non pas s'attarder sur des histoires secondaires sans intérêt pendant une dizaine d'épisodes.


Mais l'idée première de Mark Frost et David Lynch était de faire de l'enquête sur le meurtre de Laura Palmer un prétexte, le véritable sujet de la série étant la ville de Twin Peaks, ses habitants et leurs secrets. Il aurait alors été possible de ne pas résoudre le meurtre – après tout, ce sont des choses qui arrivent et de toute façon l'intérêt aurait été ailleurs. Mais si la série s'était focalisée sur ce projet somme toute terre-à-terre, le résultat eut été un fiasco.


Car tout ce qui est terre-à-terre dans Twin Peaks est kitch au possible quand ce n'est pas soporifique. Un peu comme l'envolée mélodique du thème principal, dont je n'arrive pas à comprendre le succès autrement que par le fait qu'il soit indissociable de l'œuvre culte, soit dit en passant. À titre d'exemple, on apprend dès l'épisode pilote que pas moins de sept protagonistes ont une liaison (je parle bien de sept couples) – on prétend que c'est pour parodier les soap-opera, mais je ne vois guère où se situe la parodie. Beaucoup de personnages sont niaiseux au possible (la secrétaire Lucy et l'adjoint du shériff maladroit et fleur bleue Andy, les adolescents Donna, James et Maddy, le garagiste Ed, l'asiatique Josie et même le pauvre Shériff incarné par Michael Ontkean, qui a l'air de constamment se demander ce qu'il fait là...). Reste l'enthousiaste agent du FBI Dale Cooper (Kyle MacLachlan), seul personnage parvenant à éveiller l'attention du spectateur.


Ce qui sauve la série, c'est l'irruption de plus en plus franche et assumée du fantastique, et notamment la scène du rêve de l'épisode 3. Jusque-là le spectateur ingénu qui pensait regarder une série policière un peu nulle était déjà un peu décontenancé en voyant l'agent du FBI se mettre à chercher des suspects en jetant des cailloux sur une bouteille après avoir prononcé les noms de toutes les fréquentations de Laura Palmer dont le prénom commence par la lettre J (si la bouteille tombe et se casse, c'est qu'il faut creuser cette piste !), mais c'est ce rêve qui donne un tournant décisif à la série : il suffit de la voir pour comprendre pourquoi.


Alors tout change, le spectateur comprend qu'il ne sera plus uniquement question de mettre au jour les histoires sentimentales et les vices cachés des habitants de Twin Peaks mais de traquer une créature maléfique issue d'un monde étrange et qui pénètre nos rêves. Or cela implique de résoudre le meurtre de Laura Palmer, car qui imaginerait que les scénaristes laissent de côté ladite créature sous prétexte que ce qui importe, ce sont les problèmes insignifiants des autochtones ?


C'est là que le bât blesse, car alors que la saison 1 de sept épisodes s'achevait honorablement, il a été décidé de tripler la longueur de la saison 2, et alors vous allez en bouffer des problèmes insignifiants des autochtones. En effet, lorsque les enquêteurs auront pleinement élucidé les circonstances de la mort de Laura Palmer et quand il ne leur restera plus qu'à pourchasser la créature, le spectateur n'en sera qu'au tiers de la saison 2. Or pratiquement tout le reste jusqu'au dernier épisode n'est que du remplissage, et ce dernier laisse inachevé une multitude d'intrigues (certes plus ou moins intéressantes, mais ça fait tout de même tache).


Chacun a pris conscience de tous ces défauts, pourtant la série culmine dans les classements et bénéficie d'un statut culte. C'est qu'il faut lui reconnaître ses fulgurances, le charme un peu désuet de ses tentatives d'humour et surtout le parfum d'onirisme qui plane bien souvent sur la ville, particulièrement bien mis en valeur par certains des morceaux de sa bande-son (je pense par exemple à Audrey's dance).


Il faut couper la poire en deux : Twin Peaks est une série moyenne, pénible à suivre jusqu'au bout, mais néanmoins recommandable pour les quelques trésors qu'elle renferme. Ne pas glorifier, mais ne pas négliger non plus, en somme.


(1) Cela sera-t-il corrigé dans la saison 3 ?

Maître_Grenouille
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le 10 juil. 2017

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