SAISONS 1 ET 2
Objet filmique
Seul exemple de série télé de ce genre (et la saison 3 va encore plus loin), cette série est absolument inclassable. Lynch a, à la fois, posé les bases de plusieurs séries qui suivront, et explosé les canons jusque-là en place.
Lorsque TWIN PEAKS débarque, voir un réalisateur de ce calibre passer à un medium aussi méprisable (à l’époque) que la télé fut un coup de tonnerre. D’autant que Lynch a son univers.
Mélange harmonieux et phénoménal de polar noir, de thriller avec tueur en série, de film d’horreur, de comédie teenagers, de moments de vrai burlesque, de soap opera, de fantastique lovecraftien, de cinéma d’art et d’essais, de cinéma main stream, de mélo, de procedural (la marque Mark Frost), cette série à l’érotisme troublant ne peut pas laisser indifférent.
Sur une trame classique de recherche d’un tueur (Mais qui a tué Laura Palmer ? Est tout de même le leitmotiv de cette histoire), les manières de nous y conduire sont étonnantes. Tout d’abord par la personnalité singulière de l’agent Dale Cooper (Kyle MacLachlan), capable de résoudre une énigme à coup de cailloux jetés sur des bouteilles, de se laisser aller à la méditation, de faire ses tractions en caleçon, de tomber amoureux comme une midinette, c’est un agent pugnace et qui va bien évidemment être le fil conducteur de cette série.
Mais on suit en même temps les mésaventures d’un propriétaire d’hôtel sur le point de se faire racheter, l’équipe de police locale (strict minimum d’effectifs) qui enquête sur un trafic de drogue et de filles entre le Canada et les USA, les amourettes entre ados rebelles et filles à papa, la vie de famille une fois la porte fermée, la tentative de reconstruction après le deuil, les violences intra familiales.
Comme on est chez Lynch, on a une galerie de personnages improbables : la femme à la bûche (celle-ci révèle à sa propriétaire des infos de premier ordre), l’agent du FBI transexuel (David Duchovny, impeccable), le chef des agents sourd comme un pot (Lynch himself, très drôle et plein d’autodérision), l’agent de police autiste…
L’intensité baisse après la découverte de l’identité du tueur de Laura. Et on se retrouve à se gratter la tête devant ces histoires de Black Lodge. Mais vraiment, malgré tout, baisser d’intensité quand on est monté aussi haut, c’était légitime.
Bien évidemment, il est normal que certains restent hermétique à tout ça. Perso, j’ai adoré.
SAISON 3
Lynch compilation
« Nous sommes comme le rêveur, qui rêve et se retrouve ensuite à vivre à l’intérieur du rêve. Mais qui est le rêveur ? » On pourrait résumer cette très bonne suite 25 ans plus tard avec cette remarque. Elle apparaît dans un épisode où Gordon Cole (Lynch en personne) raconte à ses coéquipiers un rêve où il a une discussion avec Monica Bellucci (elle-même).
Bien sûr, on retrouve plusieurs éléments qui ont fait le sel des deux premières saisons, notamment ce patchwork policier/SF très dickienne/fantastique lovecraftien/horreur pure/comédie/mélo/soap.
À travers toutes ces histoires dont on se demande quel lien entre elles peuvent-elles avoir, il s’autocite et nous donne à réfléchir à ses thématiques favorites, notamment la recherche de la personnalité (poussée à son paroxysme dans LOST HIGHWAY et MULHOLLAND DRIVE). On a aussi ces moments que seul Lynch peut se permettre, comme ces longs plans fixes sur des acteurs qui vaquent à des occupations anodines et ne parlent pas. Avec ce sens du cadrage légèrement décalé, il rend des situations banales très bizarres. De même, il fait souvent jaillir la violence là où on ne l’attend pas, et de manière très crue. Et celle-ci est très dérangeante. Tout comme l’humour qui joue souvent sur le ressort de l’absurde et du décalage avec le reste.
Pour les hermétiques à Lynch, cette saison est plus difficile que les deux autres. Avec en particulier cet épisode quasiment sans parole où il nous explique l’origine de ce mal, né des essais de la bombe atomique dans le désert du Nouveau Mexique en 1945. On est très proche de l’esprit d’ERASEARHEAD. On ressort malgré tout de cet épisode avec un vague sentiment de malaise.
Après, bien évidemment, on peut s’interroger sur ce que l’on a vu et ce que l’on a compris.
Chacun peut avoir une piste de réflexion. Mais si on se fie à la phrase du début, on peut ainsi se demander si tout ce que l’on voit depuis trois saisons n’est pas issu de l’imagination de Dale Cooper, dont on sait qu’il a été blessé grièvement sur une intervention. Mais Lynch est plus tordu que ça, et cette explication est un peu trop simpliste.
D’ailleurs une scène peut amener une autre piste. Quand Audrey Horne à la fin d’un épisode, après avoir demandé à son mari de la sortir d’où elle se trouve (une road house, où l’orchestre a joué pour elle sa danse, le public s’étant écarté de manière irrationnelle), elle se retrouve dans une pièce toute blanche, habillée tout en blanc, face à un miroir. Ce qui ressemble à une chambre d’hôpital psy. Et si c’était elle la rêveuse. On sait par les interviews de Mark Frost (le coauteur de cet opéra poétique et macabre) qu’elle a été violée par le mauvais Cooper qui est issu de la lodge. Et pourquoi cet acte ne l’aurait pas envoyé en hôpital psy. Ou alors, a-t-elle survécu à l’explosion de la banque à la fin de la saison 2 et est-elle devenue folle ?
Une supposition comme une autre. Mais que viennent faire ces deux derniers épisodes, à la fin desquels on s’interroge : quand sommes-nous, et Laura Palmer a-t-elle survécu dans une réalité alternative ?
Car dans une certaine réalité, Cooper est recréé dans la lodge et peut rejoindre la femme qu’il a aimée à Las Vegas.
Beaucoup de questions restent en suspens, et n’auront sûrement jamais de réponses : qui a commandé la surveillance de la boîte en verre à New-York ? Carrie Page est-elle une réincarnation de Laura Palmer, ou alors celle-ci a-t-elle survécu et fait basculer la réalité ? Sarah Palmer porte-t-elle en elle les germes du mal ? Où est la réalité, où est le présent ? Et j’en oublie.
Lynch ouvre des portes et ne cherchent pas forcément à ce que nous les fermions.
Cette saison vaut évidemment pour la prestation (double, voire triple ou quadruple avec l’épisode final) de Kyle McLachlan. Il est inquiétant en doppelgänger de Dale Cooper, épatant en Dougie (un Dale Cooper revenu sur terre à l’état d’enfant qui découvre tout), en Dale Cooper tel que nous le connaissions et époustouflant dans cette dernière partie où il est un mix du bon et du mauvais Cooper.
À l’arrivée, un spectacle macabre, poétique, bruyant, drôle, triste (comment ne pas avoir la larme à l’oeil quand Big Ed finit par déclarer sa flamme à Norma), et effrayant. Du grand Lynch, pour amateur passionné, qui risque de perdre les autres en route.