Utopia
7.9
Utopia

Série Channel 4, Arte (2013)

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• SAISON 1 (8/10)



[Critique du 23 septembre 2013]


Les Britanniques n’ont pas leurs pareils pour créer des séries originales et extrêmement soignées. On a pu le constater au travers des quatre saisons de Misfits, par exemple ; toute la mise en scène y est somptueuse, ainsi que l’atmosphère fantastique. Et c’est sur ce credo qu’Utopia prend place, en bien plus délirant encore. Je pense sincèrement que personne ne se doutait à quel point la série serait déjantée, et surtout les proportions titanesques que prendrait son intrigue.


À la lecture du synopsis, on s’attendait plutôt à tomber sur un show assez léger, plein d’un humour typiquement anglais, avec son lot de situations exubérantes, et de clins d’œil geek comme Misfits le faisait. En tout cas, c’est ce que cela m’inspirait en lisant que l’intrigue tournait autour d’un graphic novel prémonitoire, d’une organisation secrète cherchant à tout prix à le récupérer, et que l’antagoniste se prénommait Mr. Rabbit. Au final, tous ces éléments sont bien là, mais le ton avec lequel ils sont traités apparaît sacrément étrange, limite glauque. Dès le premier épisode, la première scène même, Utopia affiche la couleur avec deux hommes de main en expédition meurtrière dans la ville pour accomplir leur mission, sans laisser de témoin. Les protagonistes se retrouvent alors impliqués, bien malgré eux, dans une spirale de violence inouïe et de complots insensés autour du sort de l’humanité.


D’un scénario qui pourrait, de prime abord, paraître complètement déluré, le créateur Denis Kelly en extrait une intrigue exceptionnellement dense, bourrée de détails, et à l’écriture complexe. Sur les premiers épisodes, on a d’ailleurs un peu de mal à suivre les nombreuses ramifications du scénario qui nous traîne un peu dans tous les sens et nous perd parfois entre ses nombreuses explications. Même les personnages ont du mal à s’y retrouver et se questionnent sans cesse sur leur situation. Il y a une vraie grosse réflexion derrière l’histoire et la façon dont celle-ci est agencée, si bien qu’au final on en viendrait presque à prendre le parti des antagonistes, ce qui est assez fort. La tension est présente constamment, jusqu’aux dernières minutes, et les twists ne sont pas de simples mécanismes d’accroche pour titiller le spectateur entre deux épisodes ou saisons, mais ils se révèlent extrêmement cohérents avec l’ensemble du show tel qu’il a été pensé dès le début. Par ailleurs, Utopia sait boucler son arc scénaristique correctement, présentant une saison pouvant se suffire à elle-même – tous les points d’orgues du scénario ayant été résolus – tout en activant les engrenages pour une deuxième saison.


Pour magnifier cette écriture riche, les réalisateurs – chacun en charge de trois épisodes – Marc Munden et le duo Alex Garcia Lopez & Wayne Che Yip, imposent une mise en scène des plus stylisées. On pense, là encore, à Misfits pour la forme, avec des plans joliment travaillés, inventifs même, et des cadrages significatifs sur les acteurs. Le montage oscille entre des séquences franchement esthétiques et contemplatives, et d’autres bien plus dynamiques et superbement construites. La photographie est d’ailleurs merveilleuse, chaleureuse de ses couleurs vives pétillantes, ce qui crée un contraste assez saisissant avec l’esprit malsain qui se dégage de la série. On reconnaît immédiatement le style britannique. À noter que la bande-son n’est clairement pas étrangère à cette atmosphère saugrenue. Cristobal Tapia De Veer apporte effectivement des textures musicales bizarroïdes construites de bruitages et expérimentations des instruments conventionnels. Ses partitions, construites de manière dérangeante, reflètent parfaitement moments de tension et situations bizarroïdes, tout en instaurant un thème obsédant.


Cet esprit british très particulier, on le doit également aux nombreuses situations décalées, à l’humour très spécial, souvent bien noir et cinglant, avec des répliques bien rentre-dedans, et à cette tendance à insérer des scènes bien trash, à la limite du malaise, ainsi que des rebondissements aussi surprenants que burlesques. La série s’appuie sur une réflexion qui fait mouche et ne s’impose guère de limite, ne lésinant pas sur la violence en n’hésitant ni à tuer des enfants, ni à cacher les scènes de torture. Il y a, en fait, un esprit assez sadique qui finit par se dégager du show, nourri par des révélations toujours plus choquantes, controversée, surtout lorsqu’elle se penche sur l’eugénisme, les expérimentations infantiles, l’Homme qui se prend pour Dieu, ou le développement d’un pathogène à portée mondiale. Le tout sur base d’un complot national, avec des agents infiltrés dans toutes les institutions.


Pour vraiment donner du crédit à cet ensemble assez barge, il faut pouvoir compter sur des acteurs prêts à l’être tout autant. Utopia peut ainsi compter sur un casting pratiquement irréprochable. À vrai dire, antagonistes ou protagonistes, on a vraiment du mal à avoir de l’empathie pour les personnages tellement ils sont tous soit des losers, ou des connards. Mieux encore, la série parvient aussi à retourner la personnalité, les convictions de certains de ses persos en l’espace de six épisodes. Une évolution très appréciable, en plus de la finesse d’écriture de chacun, tous avec un caractère bien particulier et jamais n’empiétant l’un sur l’autre. Aucun n’acteur ne fait de la figuration. Ainsi, on retrouve avec plaisir Nathan Stewart-Jarrett de Misfits, dans le rôle de Ian, un ingénieur informaticien un peu chétif. Alexandra Roach joue une Becky assez mystérieuse, cherchant à décrypter le secret caché dans le comics. Adeel Akhtar interprète Wilson Wilson, un geek très sécuritaire. Oliver Wooldford donne tout son caractère de petit merdeux à Grant, tandis que Paul Higgins rend parfaitement les embrouilles qui s’abattent de jour en jour sur son personnage : Michael Dugdale, participant bien malgré lui au complot. Enfin, Fiona O'Shaughnessy joue Jessica Hyde, pseudo-protagoniste de la série, mais davantage un personnage assez sinistre, prête à tout pour récupérer le manuscrit. Tout comme Arby, joué par un Neil Maskell exceptionnel car, bien que présenté comme un ennemi insensible, qui n’hésite pas à liquider ceux qui se trouvent sur son chemin, il devient très vite le personnage phare de la série.


Du haut de ses seulement six épisodes, cette première saison d’Utopia est clairement amenée à devenir culte et propulser la série au rang des meilleures séries britanniques de ces dernières années. De par une originalité affolante, une mise en scène unique, un ton mature qui ne recule devant rien, et un ensemble d’acteurs marquant, Utopia parvient clairement à se démarquer des séries actuelles, affichant de nouveau le talent anglais dans la composition de leurs shows télévisés. Il ne suffit pas d’enchaîner les épisodes et twists à tout bout de bras, une histoire puissante et provocatrice suffit, surtout lorsque c’est aussi bien foutu.



• SAISON 2 (8/10)



[Critique du 20 août 2019]


Depuis le temps que l'envie me démangeait de regarder la suite de cette sérié britannique bien barrée. L'annonce de l'annulation du show m'avait du coup laissé trainer cette saison 2. Pourtant, c'est toujours aussi beau. La mise en scène et la photographie sont à tomber, et offrent un beau contraste à la noirceur du scénario. On retourne avec plaisir dans ce complot pharmaceutique mondial qui n'hésite pas à être thrash. Petit reproche sur le fait de démarrer la saison sur un épisode flashback. Sans cela, le charme britannique opère à merveille dans ce mélange absurde d'humour noir et de subversif. On regrettera à jamais son arrêt à l'orée d'une saison 3 extrêmement prometteuse.

AntoineRA
8
Écrit par

Créée

le 23 sept. 2013

Critique lue 473 fois

4 j'aime

AntoineRA

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