Utopia
7.9
Utopia

Série Channel 4, Arte (2013)

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Rarement les britanniques n'ont eu un teint aussi rose

Une bande de geeks en possession d’un comics suscitant d’énormes convoitises, deux tueurs assoiffés de sang et sans pitié à leurs trousses, un fonctionnaire de l’administration mouillé dans une affaire d’adultère et victime de chantages, la commande de millions de vaccins pour lutter contre une grippe à priori anodine (qui a dit Roselyne ?), une obscure agence « le network » qui manigance des complots à gogo, et Jessica Hyde personnage mystérieux et central de cette histoire délirante que tout le monde va tenter de retrouver pour x ou y raisons … Bienvenue dans l’univers d’Utopia…

L’épisode pilote à lui seul est un chef d’œuvre, explosion de couleurs pétantes ultra contrastées (rarement les britanniques ont eu un teint aussi rose), composition des cadres magistrale, des milliers d’idées de mise en scène (ahh… Cette première scène de tchat sur internet), une bande originale extraordinaire signée d’un certain Cristobal Tapia de Veer (cf son soundcloud pour apprécier la musique hallucinante de la série, où il parvient à trouver une harmonie entre rots de crapauds et gémissements asthmatiques, dans un mix rappelant furieusement les meilleurs compositions de Gorillaz et d’Amon Tobin), mais il faut s’accrocher !
Le scénario ne dévoile ses cartes que très progressivement, et chaque élément pouvant sembler anodin dans un premier temps, voire inutile, trouvera une raison d’être dans les épisodes suivants.
Bienvenue donc dans Utopia, un univers éminemment paranoïaque, où nos héros après avoir brièvement appris à se connaître, vont devoir lutter bon gré mal gré, pour leur survie afin que personne ne mette la main sur le fameux comics « Utopia, volume 2 » qu’ils ont déniché tout à fait par hasard, et qui serait la clé, le déchiffrage de mystères jusqu’alors insondables… mais rapidement, l’ampleur et la tournure des événements va totalement les dépasser pour les engloutir définitivement dans un déluge de violence soudaine et percutante façon « No country for old men ».
Retenez les noms de Ian, modeste informaticien qui vit encore chez sa mère, Becky étudiante un peu niaise qui trouve que son père est mort de façon suspecte, Wilson Wilson, un grand malade, hacker à ses heures perdues, vivant reclus chez lui et qui ne jure que par les complots, et Grant un gamin turbulent de 11 ans qui vole des bagnoles tout en séchant les cours.
Autant de profils différents chez nos héros pour une personnalisation poussée à l’extrême, c’est bien simple, ils sont tous dans leurs genres différents extrêmement attachants, et surtout les comédiens pourtant inconnus du grand public sont formidables, nulle doute qu’on les reverra à l’avenir.


Attention car ici, le scénariste d’Utopia, Dennis Kelly, n’est pas un rigolo, non seulement Utopia possède un ton très décalé et so british avec tout ce que ça implique d’humour ironique et de légèreté, mais surtout la série révèle à contrario des passages incroyablement violents et passablement choquants qu’on n’a pas l’habitude de voir à la télé ou même au cinéma, quitte parfois à verser légèrement dans la surenchère un peu gratuite du morbide.

La série révèle un comédien ultra impressionnant, l’un des deux tueurs « Arby » interprété par l’acteur Neil Maskell n’a rien du physique de l’emploi, et pourtant il transforme sa bonhommie naturelle en monstruosité autistique qui glace le sang. Il impressionne avec ses yeux exorbités et son mantra répété inlassablement à chacune de ses victimes avant de les exécuter, « Where is Jessica Hyde ? », il finit par terrifier le spectateur définitivement dans une scène absolument hallucinante de tension au cours de l’épisode 3, qui m’a même un peu rappelé la scène de massacre familial de « Léon » par Gary Oldman.

Mais la vraie révélation, c’est incontestablement le personnage central de Jessica Hyde, une sorte de Nikita femme fatale revisitée, interprété par la méconnue Fiona O’Shaughnessy dont la filmographie éclectique lui a permis jusqu’à présent de passer du génial Peter Greenaway avec « La ronde de nuit » à un film de Van Damme « Until death » la même année.
Gageons que sa prestation hypnotique, ses poses classieuses, et son style lui ouvriront la voie du succès et de la reconnaissance, car cette nana-là en plus d’être particulièrement impressionnante avec ses yeux gigantesques, son visage émacié découpé à la serpe, est une actrice de grand talent qui a tout d'une nouvelle Sigourney Weaver.





Je passe brièvement sur la pléthore de seconds rôles tous plus réussis les uns que les autres, du fonctionnaire Michael Dugdale (interprété par Paul Higgins) désabusé et malmené de bout en bout, au mythique James Fox œuvrant telle une éminence grise pour le « Network ».
Tout n’est cependant pas parfait, les promesses des trois premiers épisodes sont trop belles pour être totalement transformées en réussite absolue à l’issue de la saison. Six épisodes pour raconter les histoires d’une dizaine de personnages, rouages essentiels d’une intrigue éminemment complexe c’est très court, du coup, on sent qu’il y a pas mal de raccourcis, quelques incohérences ici et là (même si le postulat de la série est volontairement délirant), des sous-intrigues un peu anecdotiques, et une mécanique qui devient un peu trop systématique avec une volonté excessive d’enchaîner des retournements de situations toutes les 5 minutes (surtout dans l’épisode final), et une légère perte d’ inventivité à partir des épisodes 4 et 5.

Enfin l'axe thématique semble un peu léger et le propos sur la manipulation gouvernementale, la surveillance permanente des individus, n'est pas hyper pertinent.

Mais ce qui me dérange le plus dans le fond, c'est que tout le mystère et toute l'ambiance des premiers épisodes sont désamorcés trop rapidement par des révélations assez basiques, un personnage face caméra qui explique toute l'histoire de A à Z (qui en plus ne tient pas bien debout puisque c'est un ersatz de l'armée des 12 singes) c'est quand même un procédé narratif très moyen et très décevant étant donné le potentiel créatif de la série.
Mais l’expérience reste néanmoins passionnante, ludique, prenante, rafraichissante, hautement créative et originale, et donc à ne manquer sous aucun prétexte !
KingRabbit
7
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le 10 mars 2013

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KingRabbit

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