Quand un créateur, aussi talentueux soit-il, vous parle de faire une saison supplémentaire à sa série phare, il faut souvent être suspicieux. On peut parler de Josh Whedon ayant tenté de conclure sa série Firefly avec de multiples films qui étaient tout plus médiocres les uns que les autres. Les Nouvelles Aventures de Batman, suite de la série animée de 1992, que certains fans américains appellent également "La Saison 4", trahissant les fondements de la série originale par son aspect calamiteux et son rythme vomitif, nous vient également en tête. Code Lyoko Evolution doit être cité, bien que le concept même d’une saison 5 à Code Lyoko empêche toute ambition de faire une série correcte.
En réalité, c’est un exercice assez complexe de faire une suite à une série, j’emprunte l’idée qu’il y a deux types des séries : (1) les feuilletons ou serials, avec un début, un milieu et une fin, qu’on suit principalement pour l’intrigue nous tenant en haleine (2) les séries comiques (non pas nécessairement comiques, mais plutôt "à ambiance"), qu’on suit principalement pour un état d’esprit général et des personnages. Il est quasiment impossible de faire des suites aux séries de type (1), par contre aux séries de type (2), cela est tout à fait envisageable (personne ne se plaint du fait qu’on continue Les Simpson à moins que cela ne devienne pas drôle).
Mais Bref est en dehors de ce schéma, elle est à la fois une série comique et un feuilleton avec une continuité importante pour comprendre la fin de la série (continuité partagée avec Bloqués et Serge Le Mytho, d’ailleurs !). Le format 2 minutes est également un frein à tout esprit de feuilleton, car un maximum d’informations doit être contenu dans un seul épisode (on peut penser à l’épisode 69, résumant la crise que traverse le couple avec un jeu de montage bien trouvé).
Donc, casse la tienne, on fait un format série classique 40 minutes, profitant du streaming s’étant démocratisé entre la fin de la première série et le début de la seconde, on assume sans problèmes le côté feuilleton avec des twists à chaque épisode, et chaque détail, même le plus comique, a une influence sur le scénario. La forme originale de Bref est toujours présente, mais n’est pas un simple clin d’oeil, elle est là pour apporter un propos (par exemple, à l’épisode 1, «Je» décrit son incapacité à faire des choix en moins de 2 minutes pour conclure par une leçon de vie sur la différence entre lui et les autres, entrecoupée par un caméo ingénieux de la part des Casseurs Flowteurs, nous rappelant qu’on est dans le même univers).
Chaque personnage a son petit moment de gloire, les relations entre eux (particulièrement entre les deux frères Khojandi jouant leur rôle de frangins) sont vraiment retranscrites à la perfection, l’évolution et l’arc personnel de chacun sont cohérents (et me rappellent beaucoup des sitcoms style Friends), les chansons utilisées sont terriblement bien choisies, les métaphores (la voiture des couples, la piscine, l’école des tontons, etc.) fonctionnent. Mes seuls bémols demeurent les problèmes de continuité et certains personnages que j’estime un peu salis par cette suite.
On peut mentionner «Cette fille», appelée Sarah dans la saison 2 (ce que je considère être une erreur majeure : le concept de «Je» est qu’il invente des noms, délires et métaphores pour chaque situation, le fait qu’il appelle Sarah «cette fille» est un signe du problème sous-jacent de leur relation, explosant à l’episode 74, à savoir qu’il ne voit pas en cette femme ce qu’elle elle vraiment, mais le fantasme lui lâchant un regard suggestif à l’épisode 1 , je dois noter qu’il y a assez peu de personnes dans la tête du héros, cette fois, Kheiron n’existe plus, Jamais est réduit à une seule apparition, même le gars qui compte ses mensonges n’est plus, alors qu’il serait intéressant de voir notre chauve préfère faire un dernier «au revoir» à ces gens, sous une forme ou une autre) devenue réalisatrice de films, dont le plus grand succès est le film Mortelle Banalité donnant sa version de la rupture avec «Je»… Je trouve ça trop gros, et manquant de la subtilité caractéristique de Kyan et Navo. Le fait qu’elle soit encore accrochée à ce gringalet au point de faire un film (élu au César, qui plus est!) sur lui est complètement délirant. Je comprends que l’objectif est de trouver un moyen de montrer l’impact négatif qu’a eu le comportement de «Je» sur son entourage, et de le faire remettre en question mais il y avait des moyens beaucoup moins «m’as-tu-vu». Ils auraient pu faire de Sarah une youtubeuse à succès parlant de son ancienne relation avec «Je» dans un vlog, un live ou une interview, ça aurait été bien meilleur, plus subtil (surtout quand le «mec du film» ne parle absolument pas de la même manière que «Je», ils ont été obligés de lui donner une catchphrase qu’il n’a jamais dite à aucun moment dans la saison 1, "Ah, parce que toi t’es parfaite !" pour appuyer la similarité entre les deux, car ils se sont rendus compte que ça ne marchait pas dans leur univers dépeint, si vous n’aviez aucune scène de la saison 1 à refaire, à quoi bon essayer cette histoire de film au lieu de faire livrer un témoignage oral poignant convaincant «Je» de changer son comportement?).
Ben, meilleur ami d’enfance du personnage principal, est également Flanderisé à un niveau jamais atteint par une série française. Il est réduit à sa première apparition dans l’épisode 19 de 2012, comme si il n’avait eu aucune évolution entre la série 1 et la série 2. Encore une fois, c’est cohérent, il est le «nega-ninja» de «Je», ce qu’il serait devenu si il avait refusé de se remettre en question, mais ça me dérange que Jean-Baptiste, personnage tertiaire ayant un total de 3 scènes, soit beaucoup plus caractérisé que son meilleur ami, et ait un vrai arc. Je trouve également la coloc, malgré sa présence et son soutien pour le protagoniste, assez peu mise en avant. Je pense qu’il aurait fallu un épisode de 40 minutes spécifiquement sur leur relation pour justifier le fait qu’elle soit la bonne.
En gros, une suite très forte d’un pont de vue émotionnel, avec des moments comiques bien joués, et une belle leçon de vie. Mais ne soyez pas chipoteurs sur la continuité, comme moi.