N’étant ni spécialement fan ni connaisseur de la série originelle, j’en connaissais au moins la formule qui en avait fait son succès à l’époque : un montage cut énervé très “punchline editing” et un cynisme du monsieur tout le monde auquel n’importe qui pouvait s’identifier. Ça touchait à la réalité du quotidien dans ce qu’il a à la fois de plus banal et d’existentiel.
On retrouve donc dès l’entrée en matière cette recette, mais cette fois-ci sur un format étendu. Les moyens sont là, le cynisme aussi, mais là où prospérait la vision d’un trentenaire désabusé, ici on passe tout de suite à une nouvelle dizaine. Le protagoniste n’a pas avancé d’un chouia en dix ans, et c’est sur cette base-là – là où avait été laissé Bref premier du nom – que va donc se déployer cette nouvelle saison avec, on va le voir, une réelle volonté d’aller plus loin, ou en tout cas une volonté d’évolution.
Ça partait pourtant bien : le ton désabusé d’un quarantenaire paumé, immature, sensible, et surtout, à l’instar de la première saison, spectateur d’un quotidien qu’on serait sans doute tous d’accord pour déplorer. La durée plus longue des épisodes permet non seulement certaines respirations que ne pouvait s’autoriser l’ancien format, mais aussi de traiter des sujets profondément humains, graves, importants. Ça ne touche pas toujours juste, mais c’est toujours créatif et, quelque part, sincère.
Avant de passer à ce qui m’a déplu (que j’ai détesté en fait), j’ajouterais que c’est visuellement élégant, avec une utilisation du numérique souvent subtile et de bon goût. Certaines métaphores visuelles et conceptuelles sont bien trouvées – la relation amoureuse représentée par la voiture, dont il faut prendre soin pour pouvoir faire du chemin à deux, par exemple.
Le problème fondamental de cette série, selon moi, c’est son virage idéologique, sa finalité. Il était évident que ç’aurait été vain de reprendre la formule d’il y a dix ans, en y mettant les moyens et en étendant le format. Il fallait donc un projet derrière tout cela, il fallait boucler la boucle.
On peut dire que la série se divise en deux grands axes. Le premier, c’est l’anti-héros tel qu’on l’avait laissé il y a dix ans : loser dans un monde froid et méchant, avec ses péripéties amoureuses, professionnelles et familiales ratées. De très beaux sujets y sont abordés – la mort et le deuil, les dynamiques familiales toxiques, la solitude – mais, et malgré le fait que j’ai pu lire çà et là que justement ce format long avait tendance à s’étendre en longueurs, je trouve que ces sujets sont finalement survolés, voire même mal traités. Je n’ai pu m’empêcher tout au long de la série de faire des parallèles avec une autre série que j’affectionne profondément, Louie. Là où Louie savait traiter avec génie de très lourds sujets en parfois une seule séquence, Bref, en esthétisant parfois trop ses sujets, passe à côté de l’essentiel et, in fine, touche à côté. Ce n’est donc pas tant un problème de format qu’un problème de traitement.
Mais surtout, et on en vient au cœur du problème, le travail effectué au cours de ce premier axe est totalement balayé et contredit par le twist censé faire évoluer cette série. Là où les dynamiques familiales toxiques avaient quelque peu touché juste, on se rend compte que finalement, c’était une vision biaisée du héros, qui au fond est trop égoïste.
Bascule : il se remet en question.
La deuxième partie de la série déroule un conte méritocratique propret où, finalement, le message est le suivant : “si TOUT va mal dans ta vie, c’est UNIQUEMENT ta faute”. Tout se replace sous le signe du mindset et du motivational speech à l’américaine. La série contredit presque toute son analyse des éléments exogènes et des cartes distribuées au préalable (famille, tempérament, angles morts sociaux), puisque tout est ramené à la responsabilité individuelle.
Soit, l’idée de se reprendre en main, de se regarder en face, n’est pas en soi mauvaise ; le problème, c’est que TOUT va mieux à partir de ce moment-là. Il trouve l’amour, monte sa boîte, devient papa ; c’est magique, c’est confortable, c’est faux. C’est finalement surtout culpabilisant. Et pourtant, c’est là l’objet même de ce reboot, c’est le message profond, ce qui rend difficile de l’apprécier dans son ensemble. En somme, le récit se satisfait d’un glissement vers un récit coaching-friendly : “deviens acteur de ta vie” ; “si tu veux, tu peux”. Était-il pertinent d’appuyer autant le trait ?
Forcément, ce retournement brutal a des effets collatéraux notables sur la cohérence de certains personnages, notamment le frère.
C’est dommage, le regard froid quasi chirurgical sur le monde qui faisait l’ADN de Bref avait pourtant le potentiel de nuancer cette évolution optimiste, de la rendre plus subtile (car oui, je ne suis pas contre la mobilisation du personnage à aller de l’avant), mais le retournement est radical, abrupt, maladroit.
J’adore les fictions qui touchent à l’humain dans tout ce qu’il a de plus simple et de plus complexe, du beau dans le peu, et parfois le grand. Une vision à hauteur d’homme, où l’on est parfois héros d’une aventure insignifiante, parfois pathétique. Alors je ne saurais que – même s’il y a bien entendu des différences majeures – conseiller Louie, qui parvient à raconter le parcours d’un loser magnifique avec une justesse désarmante. Sans morale prémâchée, sans gommer les aspérités, la série embrasse toute l’imperfection du réel. Elle ose laisser un goût amer, et c’est précisément ce qui la rend profondément humaine.