Broadchurch
7.6
Broadchurch

Série ITV (2013)

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Broardchurch, Saison 2 : la fin de l'innocence

La saison 2 de Broadchurch fait des déçus, et c’est compréhensible. Le succès de la première saison et la fascination qu’elle exerce venait de ce que la série créait, à partir des images calmes en apparence d’une petite ville de bord de mer, et avec des personnages à priori normaux, une atmosphère à la fois pesante et en apesanteur. Tout cela était du à la force de l’écriture, qui associait les comportements visiblement normaux et banals des personnages autour d’un crime violent et mystérieux. La deuxième force était que cette écriture était couplée avec une mise en scène immersive qui pimentait chaque plan d’apparence normal en le filmant comme si chaque fenêtre, chaque haie, chaque mur dissimulait une somme de secrets aussi dangereuse qu’enfouie.

La première saison de Broadchurch était en fait une parfaite aventure policière, qui tout comme True Detective associait les codes du polar avec un style parfaitement maîtrisé. Ce qu’on attendait tous, c’était de nous replonger dans cette atmosphère de psychose autour d’un bol de thé, avec une nouvelle chasse à l' »assassin caché parmi nous ». C’eût été savoureux, mais pas forcément gagnant. Après le choc de l’affaire Danny, comment croire que les personnages, qui ont été poussés jusqu’au bout de leurs réactions normales et humaine dans la première saison, pourraient reprendre leur naïveté à zéro devant un nouveau meurtre ?

Une petite digression : prenez la princesse des glaces de Camilla Läckberg. Le roman était construit sur l’exposition d’un petit village de Suède tranquille où a été commis un meurtre, et où progressivement, on découvre que pas un, mais trois membres de la communauté cachaient un secret inavouable de leur passé. Cela passait plutôt bien, l’héroine au foyer était sympathique à suivre, et l’enchainement des scènes honnêtes; Les 8 livres qui suivent prennent sans cesse la même recette, et s’engourdissent à vouloir peindre des personnages normalement méchant et potentiellement criminels au milieu d’un village sans histoire. La banalité de l’héroine devient tout sauf intéressante, les méchants n’ont plus aucune saveur, et la découverte de l’assassin devient inintéressante.

Cela déconcerte donc que Broadchurch choisisse de prendre un chemin de traverse en apparence connu plutôt que d’avancer sur le boulevard où tout le monde l’attendait. Au lieu de proposer un nouveau meurtre, la série n’en finit pas d’enterrer le jeune Danny, et fait virer la série policière à 50% vers un drame de tribunal. Dans le même temps, alors que l’on n’arrive pas à enfouir l’affaire Latimer, Hardy déterre un cas classé de son ancienne carrière qui ne cesse d’errer d’impasse en impasse.

Alors que le spectateur pensait partir sur une nouvelle route, le procès Latimer n’en finit pas de se relancer de façon exsangue, et l’affaire Sandbrook n’en finit pas de finir en queue de poisson. Dis comme cela, ça semble tout ce qu’il y a de plus ennuyant. Et pourtant, la deuxième saison est une réussite.

La raison est que la réalisation a changé le focus de la série : on est passé du cheminement de deux enquêteurs au milieu d’une communauté tranquille et dissimulatrice, à une intrigue où plusieurs personnages essaient de mettre en ordre leur vie après un drame. Broadchurch saison 2 tient donc plus de la thérapie post choc traumatique que d’une nouvelle enquête. Le cas Sandbrook aurait pu très bien resté fermé, d’autant que le suspect numéro 1 n’est en fait pas si dangereux que ça. Mais Hardy et Miller, tous les deux mis en échec dans leur vie (tant humainement que dans leur carrière), trompent la déception en essayant de résoudre une affaire qui leur donnerait l’impression de racheter leurs échecs. Dans le même temps, le procès Latimer révèle que même si tous les secrets sont tombés, le deuil est loin d’être fini. L’exposition des tords des uns et des autres ont rasé tout équilibre dans la communauté. Et alors que les personnages de la 1ere saison essaient de retrouver un certain ordre qui pourrait leur ramener la normalité, les nouveaux personnages, qu’il s’agisse des avocats du tribunal ou des suspects de Sandbrook n’en finissent pas de prouver que les mesquineries humaines peuvent empoisonner le cours normal des choses, empoisonnant le processus de deuil des gens de Broadchurch.

Le procès Latimer se transforme donc en affrontement d’égo où la vérité de l’affaire ne compte pas vraiment, mais où c’est la connaissance de ce qu’il y a dans la tête des deux avocates qui permettra de résoudre l’affaire. Pendant ce temps, Hardy et Miller essaient tant bien que mal de résoudre une enquête qui se trouve impossible à mener normalement, gangrenée par les non dits des uns et des autres.

Oh, bien sûr, on arrivera bien à trouver le coupable, et à condamner Joe Miller, mais cela ne compte pas vraiment en fait. Ce que propose cette saison, ce sont tous les cheminements des personnages qui se démènent pour se remettre des chocs de la saison 1 en attendant que les cas Latimer et Sandbrook se dénouent enfin.

C’est pour cela que cette saison arrête d’errer dans les rues de Broadchurch et se contente de filmer les falaises où se promènent les personnages. Broadchurch n’est plus le sujet, mais juste un cadre magnifique où errent les protagonistes. Au lieu de s’observer les uns les autres, ils passent la plupart du temps écrasés sous le grand ciel vide de Broadchurch, à l’image de leur vie à tous : détruite, et face à un immense vide qu’ils sont seuls à affronter.


En termes de mise en scène, cela devient plus calme puisque les plans se concentrent sur des scènes d’exposition plutôt que d’articulation des décors et des situations. La réalisation est aussi plus « arty », avec des cadrages inhabituels et plus proches des personnages que de l’intrigue. De même, les personnages ayant la priorité, ils sont plus haut en couleur, et agissent de façon moins rationnelle et « normale ». Cela permet de faire avancer l’intrigue, même si cela se fait au prix de négligences sur la façon de filmer leur métier, ou leur vie de tous les jours.

Exemple tiré de l’épisode 5 : Ellie décide de repartir à Sandbrook enquêter sur un détail. Au moment de partir, elle apprend que son fils veut témoigner au procès. Plusieurs heures de route et kilomètres plus tard (qui défilent en 15 secondes), Ellie et Alec entrent par effraction dans un entrepôt abandonné et voila que tout d’un coup, Alec demande « Vous allez parler à votre fils avant qu’il n’aille à la barre ? ». Rien ne justifie une pareille question à ce moment. Rien à part la mise en scène. Parce que si il est illogique de poser cette question alors qu’on vient de faire 100 km pour enquêter sur un entrepôt vide, la réalisation veut nous rappeler pourquoi ils le font : parce que nos héros veulent fuir leurs problèmes, et que s’atteler à régler ceux des autres est plus satisfaisant pour eux, même si cela détruit les vies et secrets d’autres personnes.

Pour résumer : Broadchurch n’est plus une série-polar, mais un drame axé sur des personnages. Cela change l’écriture, le rythme, la façon de filmer. C’est déstabilisant, mais plus intéressant qu’une banale suite non ?

Pour aller plus loin, un article du Guardian : Don’t give up on Broadchurch: dodgy second series aren’t always the end

Autre petite réflexion musicale : on pourrait retrouver cette différence d’approche dans la chanson thème de chaque saison. La première, « So Close », s’ouvre sur des percussions techno et des violons qui s’étirent, donnant une impression de malaise, mais qui cède la place à une voix plus calme et triste : on ressent le malaise qui s’est établi et l’impression d’étrangeté du spectateur face à l’apparence trompeuse des falaises tranquilles de Broadchurch. Les paroles commentent aussi cette anxiété d’être « se battre pour décrypter quelque chose qui est si proche ». La chanson de la deuxième saison, « So Far » s’ouvre pendant de longues minutes sur une musique triste et tranquille. Les paroles parlent de l’impression d’être rendu seul, « So far from seeing home », et des gens qu’on aime. Mais au fur et à mesure, la musique s’emballe, devient plus lyriques, les choses se mettent en place et avancent.
Ytterbium
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le 5 févr. 2015

Critique lue 812 fois

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