Dix pour cent
7.4
Dix pour cent

Série France 2 (2015)

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Dix orfèvres pour des centaines de pièces

Que répondriez-vous à la phrase : "l'art audiovisuel -cinématographique et sériel- est fortement dénigré selon des critères intellectuel et n'est plus mesuré (ou sans doute ne l'a jamais vraiment été) selon des critères de sincérité et d'honorabilité"?


Sans doute la plupart d'entre nous répondront, dans une optique à la fois désintellectualisante de soi et à objectif consensuel, que chaque film possède sa part d'intérêt et de beauté et que, malgré le fait que "mes goûts divergent un peu des productions sérielles hors Game Of Thrones, House of Cards ou d'autres avec une vraie réflexion et un vrai spectacle à offrir, je respecte le bien qu'elles peuvent faire aux petites gens."


D'autres s'y opposeront avec véhémence : Joséphine Ange Gardien et autres sous-produits de la contre-culture française abrutissante "devraient être bannis".


Pour mon humble part, je choisis de briser dans les étroites cases de ma maigre cervelle d'humain périssable passager sur cette planète "cultivée" quelques cloisons snobinardes, masochistes et puritaines. Comme le dit si bien et si simplement le personnage d'Arlette Azemar à la toute fin du dernier épisode de la saison 1 : "eh ben tu vois ! quand ça va pas, y'aura toujours le cinéma". C'est pour moi l'essence première d'un art que l'on intellectualise énormément; et ceci n'est pas un mal, bien au contraire. Cependant, l'on oublie bien souvent qu'avant nos aptitudes réfléchissantes existent les tripes, et que ,dans ces tripes, réside ce que l'on appelle plus joliment le coeur. Ce sont avant tout ses battements et le flux sanguin et émotif au départ de ce dernier, parcourant nos corps et nos vies, qui sont les outils "hypnotiques" et "fascinants" de l'art cinématographique et sériel. Ainsi, cette critique revendicatrice n'est en aucun cas une déculpabilisation d'un pédant petit étudiant en L1 de cinéma qui voudrait faire mine à soi même de s'ouvrir pleinement au paysage hétéroclite de l'art qu'il apprend, mais plutôt un message d'amour à un format qui, d'une façon certes humble et parfois maladroite dans la série "Dix Pour Cent", a réussi la périlleuse expérience de concilier et de relaxer le monde des séries.


Série méta-artistique (mais se penchant surtout sur les rouages de ce qui est avant tout une industrie, où l'on comprend que le métier d'agent relève lui aussi de l'art) diffusée sur la chaîne boudée qu'est France 2, française qui plus est et accueillant en guests des stars souvent peu acclamées par l' "élite", je m'y penchais moi-même avec une certaine appréhension, comme l'on s'approcherait d'un gâteau décoratif de vitrine avec admiration pour sa parure, mais une certaine peur pour son contenu et son goût.


Et pourtant, quand la réalisation se fait de plus en plus poussée et qualitative -atteignant pratiquement la perfection des œuvres cinématographiques-, c'est dans le travail scénaristique, d'échos égotiques des acteurs et de mise en scène que brille cette série certes discrète, mais qui ne cherche pas à hurler. Un compromis assumé entre Gala et Télérama, dont Dominique Besnehard se fout au final éperdument.


On suit donc, d'une façon étonnamment différente de celle des séries "soap" actuelles et passées, la vie, le travail, les déboires de quatre agents de l'entreprise "Ask", ainsi que de leurs irrésistibles assistants, qui sont mis en lumière par l'ancien du métier qu'est Dominique Besnehard pour que des 10% du revenu des acteurs que ces orfèvres de talents touchent, leur reviennent 50% de la légitimité accordée aux acteurs. Ici, pas de plan-séquence, d'effets spéciaux titanesques, de morts à gogo et d'étalages de fesses bien pensé pour aimanter les yeux : du réel, et surtout de la douceur, que le réalisateur, les scénaristes et les acteurs adressent avant tout à ces téléspectateurs du câble que l'on considère trop souvent comme des ménagères avachies qui nécessitent de quoi se mettre sous la dent pendant leur repassage.


Certes, les portraits des acteurs -qui collent plus ou moins à l'image et aux anecdotes véhiculées autour d'eux par leur aura de starlettes- sont très souvent caricaturaux, peut être un poil convenu et répétitif dans les conclusions d'épisodes inspirés de la forme anthologique (où se succèdent des toiles de fond de gestions d'acteurs apportant des problématiques et portraits bien différents, gérés manu militari par la main tremblante d'agents dont la trame scénaristique est continuelle), mais c'est pour mieux faire resurgir la drôlerie cocasse et le paradoxe dans lequel les français fervents amateurs de magasines people sont pris : l'opposition entre le paraître de l'acteur, son jeu, et celui de son être, sa nature réelle.


Et quoi de plus sublimant, là où de plus en plus de films nombrilistes et égocentriques dans les revendications des acteurs-réalisateurs de "se fondre dans la Masse" (prenez le film Rock'n'Roll de Guillaume Canet qui semble prêt à prendre ce chemin, aux vues de sa stratégie de communication légèrement gênante), que de découvrir le jeu d'acteur dépouillé de toute ligne scénaristique (c'est le contrat ludique pour lequel il faut signer pour bien saisir la beauté de la série, les acteurs étant bien entendu dirigés...) ?


Brisant barrières et clichés souvent à coups trop peu subtils (ce qui entache sa qualité), toujours est-il que ce credo artistique remplit le contrat premier des séries dans leur finalité des premières heures : emporter l'adhésion et l'identification des spectateurs pour qu'ils soient prêts à suivre des vies et des péripéties sur un plus ou moins long terme. Ce qui a détruit ce sentiment de vigilance qui nous place dans un état de rétention émotive face à une série à qui l'on va donner une bonne tranche horaire de sa vie, c'est bien ce dépouillement feint du jeu. Même quand les situations, portraits, quiproquo et jeu de réalisation semblent convenus et plats à la manière de certaines autres séries, quand les dialogues semblent par exemple emplis de la fausseté qui souvent leur incombe en France et ailleurs, le glissement de jeu vers le réalisme les rend irrésistibles. Exit le pathos (qui aurait pu s'immiscer dans une sous-intrigue incestueuse assez étonnante), les tambours battants habituels et les grands objectifs : vous y retrouverez Camille Cottin en femme puissante et destructrice se faire courser par des chiens et plonger dans une piscine habillée en Playmate pour y embrasser d'autres femmes, ou encore Julie Gayet s'enticher de JoeyStarr, la Line Renaud catégorisée comme "populaire" se réconcilier avec la Françoise Fabian "spirituelle" de la Nouvelle Vague (dans ce qui est, pour moi, l'un des meilleurs et plus touchants épisodes de la saison), ou encore Audrey Fleurot effectuer un grand écart entre le pole dance et la maternité tout en y craquant gaiement sa culotte. C'est dans la beauté simple de ces alliances alchimiques que tout bouillonne sans grand bruit, que l'art sériel français retrouve ses lettres d'or sans pour autant les réclamer.


C'est dans ce panel ou passe le vent de nos vies somme toutes aussi "banales" pour les acteurs comme pour le stéréotype de la "ménagère nourrie au sein de la télévision tout en repassant" que la dramaturgie tire sa force.


Force qui, à défaut de vouloir tout détruire, nous file bien plus de 10% des vibrations télévisées habituelles, à nous qui agençons nos vies.

Depeyrefitte
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le 8 janv. 2017

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