Fleabag
8.1
Fleabag

Série BBC Three (2016)

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L'anti-conformisme, la culpabilité et le pathos

Voilà une série qui démarrait bien : une réalisation classieuse, un scénario millimétré, un perso principal borderline plein de saveur, des comédiens tous très intenses et très justes, des dialogues qui claquent, des situations crues et parfois inédites, une liberté de ton rafraîchissante, un personnage féminin pimentée dans la lignée des Ab Fab et autres rebelles qui démystifient le mythe de la femme douce et potiche...


Et pour toutes ces raisons c'est une série qu'il ne faut surtout pas hésiter à découvrir malgré ce qui suit.


Et voilà ce qui suit : malheureusement, à partir de l'épisodes 3 ou 4, on a le sentiment de tourner en rond et de se regarder le nombril (enfin pas le vôtre, celui de Fleabag). La jeune "Sac à Puces" (traduction de Fleabag) n'est pas libre, effrontée et provocatrice parce qu'elle est dotée d'une personnalité affirmée et rebelle. Non. Ce serait insupportable qu'elle fut aussi "décalée" juste parce qu'elle est née comme ça ou parce qu'elle perçoit la vie par un prisme anti-conformiste.


Non Fleabag est "conne" parce qu'elle souffre : Fleabag somatise, Fleabag culpabilise. Visiblement, pour l'auteur, la culpabilité c'est plus classe que l'anti-conformisme.


Et soudain les affreux flachbacks déboulent pour jeter le voile blanc de la rédemption sur la pauvre brebis égarée. Car lorsqu'une femme couche avec qui elle veut, qu'elle balance leurs quatre vérités à ses interlocuteurs ou s'amuse à faire souffrir un gentil jeune homme fou d'amour pour elle : c'est pas exprès, non ! C'est parce qu'elle a elle-même morflée. C'est parce qu'elle est, elle aussi, une victime à sa façon !


Voici ce que le scénario va distiller, par bribes, en utilisant le stratagème de la rétention d'information rétroactif : Bien avant que la série ne démarre, Fleabag a couché avec le mec de sa meilleure amie. L'amie en question a appris l'infidélité de son Roméo sans savoir que Fleabag, co-gérante du café qu'elles viennent d'ouvrir ensemble, est la chaudasse qui a détourné son homme du coït conjugal. L'amie, folle de jalousie, échafaude un plan pas piqué des hannetons : mettre en scène un pseudo suicide (en se jetant sous les roues d'un véhicule à l'heure de pointe) pour que l'infidèle revienne se traîner à ses pieds lorsqu'elle se sera écorchée le bout du petit doigt (espère-t-elle). Sauf que le simulacre de suicide va dépasser ses espérances : elle sera percutée par un vélo, puis par une voiture et enfin elle sera achevée par les roues d'un autobus... (Elles sont pas un peu bétasses ces filles ? Fleabag parce qu'elle ne sait pas garder sa culotte 5mn sur ses fesses et son amie parce qu'elle n'a rien compris au 3 lois de la dynamique de Newton : Inertie, dynamique et actions réciproques.)


Mais Fleabag semble avoir enterré cet événement au fin fond de sa mémoire et ça arrange bien le scénariste (qui est aussi l'actrice principale). Et ce n'est qu'au fur et à mesure des derniers épisodes lénifiants, qu'elle et le spectateur découvriront, rassurés, qu'au fond, si Fleabag est si "spéciale" c'est parce qu'elle est la pauvre victime d'un sentiment de culpabilité destructeur et d'une famille dysfonctionnelle (oui, car c'est toujours très pratique dans un scénario la famille dysfonctionnelle - si les psychologues l'affirment depuis presque un siècle, c'est donc que c'est vrai) .


Cette fin qui arrive avec ses gros sabots dès la seconde partie de la saison1 fait sombrer cette jolie pépite dans un pathos indigeste. Fleabag aurait mérité, vu la qualité des 1ers épisodes et de sa mise en place coup de poing, une suite et surtout une fin moins larmoyante.


Voici un autre axe qu'aurait pu prendre la série : Partant du postulat que ce jeune personnage (électrique, légèrement associal, vivant à fond son corps et l'instant présent, bousculant volontairement les codes sociaux, entière et impulsive, pleine d'appétit et de franchise) est un être qui s'assume totalement, le personnage en se confrontant à diverses situations et personnages aurait pu évoluer, saison après saison (avec son humour noir et mordant que j'adore) pour découvrir petit à petit que son caractère de chien est en fait un "super-pouvoir" de "super-héroïne". Ainsi libérée des explications familiales et psychologiques, Fleabag aurait pu devenir un animal mythologique rarement mis en scène au cinéma ou à la télévision : une sorte de licorne plus communément appelé icône anti-conformiste au féminin.


Et au lieu d'être réduite au statue de "victime des circonstances" et de devoir s'adapter elle au monde médiocre qui l'entoure, elle aurait pu, épisodes après épisodes, faire tomber les masques de ceux qui l'approchent pour les bousculer, les rendre plus libre et, pourquoi pas aussi, un peu plus heureux... ou presque !

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le 6 oct. 2018

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