Godless
7.4
Godless

Série Netflix (2017)

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Attention, ça spoile


Je suis un grand amateur de westerns, le genre représentant à ce jour l'air de rien plus d'un huitième des films que j'ai vus et étant également pourvoyeur de plusieurs séries de bande dessinée que j’adore. C'est donc tout naturellement que je me suis tourné vers Godless, qui restera comme ma première série télévisée - enfin... "télévisée" n'est sans doute pas le terme adéquat - western, et son très joli 7,5 de moyenne.


Je me suis dit après l'avoir finie trois jours plus tard qu'elle méritait bien une critique et après réflexion j'ai décidé de m'y atteler, je ne suis pas certain d'écrire un texte entièrement satisfaisant mais cela vaudra toujours mieux que de regretter ensuite de ne pas l'avoir fait.


Ce qui frappe d'entrée c'est cette ambiance : sombre, sèche, crépusculaire, impitoyable. Ici pas question d'idéaliser le Far West, on comprend rapidement que l'on est plus proche de Clint Eastwood que de John Ford, de Blueberry que de Lucky Luke. Les paysages, comme souvent dans les westerns, sont superbes, très arides. La musique est elle aussi bonne, elle accompagne bien les moments importants. Enfin, le postulat de base de la série est assez original avec ces femmes livrées à elles-mêmes suite à la mort deux ans plus tôt de tous les hommes ou presque dans l'effondrement de la mine... mais j'y reviendrai.


Oui j'y reviendrai, ne laissez pas mon "Enfin" vous induire en erreur (ou vous enduire d'erreur comme avait dit René Girard) : cette critique n'est pas près d'être terminée et j'ai même envie de dire qu'elle ne fait que commencer. C'est en effet l'excellente galerie de personnages, presque digne (pas Lucas) de celle du chef-d'œuvre qu'est le tome de Blueberry Ballade pour un cercueil, qui m'a donné envie de l'écrire et c'est donc surtout sur eux que je vais m'attarder, un peu comme je l'avais fait dans ma critique de Vikings.


Commençons par celui que l'on peut je pense considérer comme le héros de l'histoire : Roy Goode, joué par Jack O'Connell, que j'avais vu récemment dans le très bon HHhH. Il est un peu l'archétype du héros de western, tireur hors pair, prêt à défendre la veuve et l'orphelin. Il a cependant un passé assez sombre puisqu'il était un bandit et rappelle en cela le personnage de James Stewart dans Les Affameurs (et sans doute plein d'autres que je n'ai pas forcément en tête) mais la comparaison s'arrête là parce que je n'ai pas l'impression que sa volonté de rédemption soit réellement évoquée, je ne suis même pas sûr qu'on l'entende émettre des regrets. La série se concentre bien davantage sur sa relation avec son père adoptif, le grand méchant Frank Griffin. Ce dernier est un excellent antagoniste, glacial, presque un peu fou (le fait qu'il garde sa main amputée, sa volonté de "sauver" ses victimes, son éternel "this ain't my death" qui s'avérera d'ailleurs erroné, j'ai trouvé cela étrange) et flanqué d'une horde d'outlaws qui n'est pas sans rappeler les quarante voleurs d'Ali Baba... ou les quarante tueurs du film éponyme pour rester dans le western. Sa relation avec Roy est donc le fil conducteur de l'histoire, il se sent trahi par celui qui était comme son fils et va semer mort et destruction sur son passage pour le retrouver, ce qui va mener à tous les événements que l'on connaît. Cette relation père-fils qui vire à l'affrontement est un classique du genre, je pense notamment à La Rivière rouge et Coup de fouet en retour, qui insistent cependant me semble-t-il moins sur le sentiment de trahison éprouvé par le père, adoptif ou non. L'importance de la filiation dans la série est clairement montrée par la relation qu'a parallèlement Roy avec Truckee : il le prend sous son aile comme Frank l'avait pris sous son aile et lui transmet ce que Frank lui avait enseigné. On le voit ainsi apprendre au jeune métis comment s'occuper des chevaux ou encore lui répéter la phrase que Frank lui avait apprise, "Ain’t nothing scarier than a man with a gun and ain’t nothing more helpless than a man without one" ("Il n'y a rien de plus effrayant qu'un homme qui a une arme et il n'y a rien de plus inutile qu'un homme qui n'en a pas"). Les scènes au ranch, notamment avec les chevaux mais aussi celles où Roy apprend à lire, permettent d'ailleurs d'instaurer une sorte de trêve bienvenue au milieu de ce drame.


Bill McNue, incarné par Scoot McNairy que j'avais déjà beaucoup aimé dans Narcos : Mexico, est aussi un très bon personnage, shérif droit, juste et excellent tireur, méprisé de tous pour sa prétendue lâcheté alors qu'il perd en réalité la vue, rappelant en cela le jeune cow-boy d'Impitoyable. Son adjoint est lui un personnage type du genre, le jeune pistolero flambeur, dont les principaux exemples qui me viennent en tête sont le Colorado de Rio Bravo et le Chico des Sept Mercenaires. Il nous présente une dualité intéressante (même s'il est fort possible que je surinterprète) : il assume entièrement ses responsabilités lorsque McNue part traquer Griffin et ses hommes et prend le rôle de shérif malgré son apparent jeune âge mais, à côté de ça, il est amoureux et sa romance avec Louise fait presque enfantine. Il est le seul personnage important à mourir et je trouve cela un peu dommage, le ton de la série exigeait je pense un final un peu plus sombre. À noter qu'il est interprété par Thomas Brodie-Sangster, acteur que je découvre depuis quelques semaines avec Le Jeu de la dame, ma précédente série (qui a d'ailleurs le même showrunner que Godless, coïncidence amusante), mais surtout la trilogie Le Labyrinthe, et qui m'est très sympathique.


Le journaliste, métier somme toute rarement représenté dans le western alors qu'il revêtait déjà à l'époque une importance capitale, nous fait penser une nouvelle fois à Impitoyable mais le personnage est ici bien moins estimable puisqu'il symbolise le côté sombre des médias, prêts à tout pour faire vendre, y compris à attirer une bande de tueurs chez des innocents et être ainsi vraisemblablement l'instrument de leur extermination. Je trouve d'ailleurs que l’on a ici une petite facilité scénaristique puisque tout le monde se retrouve à La Belle pour le grand final grâce à son article mais ce n'est évidemment rien de grave.


J'ai apprécié la présence des vétérans noirs de Blackdom. Les Noirs ont longtemps été les grands oubliés du western, ces dernières années les ont logiquement un peu réhabilités mais les régiments noirs ne sont pas souvent évoqués à l'écran, le seul film auquel je pense est Major Dundee. Ils sont qui plus est plutôt charismatiques, aidés en cela par le côté légendaire de leur corps militaire, les Buffalo Soldiers (S/O Bob Marley), qui avait dix ans auparavant traqué inlassablement Griffin et ses hommes.


Un autre aspect peu présent dans le western est l'immigration européenne, pourtant bien réelle et ici représentée par la famille norvégienne et l'Allemande. On a notamment des Français dans La Captive aux yeux clairs (ils y sont au passage très drôles), Au-delà du Missouri et Je suis un aventurier ainsi qu'une Suédoise dans La Colline des potences, sans oublier l'Allemand Prosit Luckner dans le mythique diptyque de Blueberry sur l'or de la sierra, mais tout cela reste plutôt secondaire et peu mis en avant, comme c’est le cas dans Godless à vrai dire.


Parmi les autres personnages secondaires qui contribuent à enrichir l'histoire, on peut citer les sinistres hommes de main de la compagnie Quicksilver, le détective de l'agence Pinkerton, le marshall Cook qui apparaît comme un vrai homme de loi avant de se faire exploser la cervelle par Frank Griffin assez tôt dans la série et le fameux pasteur qui arrive enfin dans les derniers instants. Je vais d'ailleurs m'attarder sur ce dernier. Son absence tout du long, alors que ses futurs paroissiens l'attendent avec impatience et finissent par douter de sa venue, renvoie bien évidemment au titre de la série : "godless", littéralement "sans dieu". Dieu semble avoir abandonné cette petite bourgade qui voit les malheurs s'enchaîner... mais arrive finalement. Trop tard, comme le dit Marie-Agnès, puisque de nombreux innocents ont péri, ou pas, comme l'espère le pasteur ? Sa présence peut en effet permettre à la ville de faire son deuil (en témoigne l'oraison funèbre de Whitey, prononcée par le pasteur dès son arrivée), de se redresser après ces épreuves et de se tourner vers l'avenir.


J'ai gardé pour la fin la principale particularité de cette série : les rôles féminins. On a en effet ici un féminisme très marqué sans être bête et méchant. L'explication de l'absence d'hommes à La Belle est crédible et les personnages sont travaillés. Deux crèvent bien sûr l'écran : Marie-Agnès et Alice Fletcher. La première est une vraie femme forte, presque garçon manqué, qui n'a pas froid aux yeux et sait manier les armes tout en prenant soin des enfants de son shérif de frère. On peut simplement regretter qu'une femme badass doive forcément être lesbienne mais dans une ville sans hommes cela peut se comprendre, en tout cas je suis prêt à reconnaître que ce n'est pas juste une soumission au politiquement correct ambiant. Alice Fletcher, incarnée par la très belle Michelle Dockery que j'avais vue l'an dernier dans l'excellent The Gentlemen (dans lequel la pauvre se faisait déjà violer), correspond également à cette description - à part pour le côté garçon manqué, comme le constate à ses dépens Roy au début du premier épisode. C'est une femme marquée par plusieurs drames personnels et rejetée par les habitants de La Belle mais qui doit bien élever son fils. Il va cependant sans dire qu'elle ne vaut pas Steven Fletcher (j'aime faire des références que personne ne comprendra sauf ceux que mes critiques intéressent tellement qu'ils iront chercher qui il est sur Google).


Les flashbacks permettent de développer certains de ces personnages ; je les apprécie particulièrement pour leur joli noir et blanc agrémenté de touches de couleur qui permet en plus au spectateur de ne pas être perdu dans les timelines et donc pour leur importance dans l'histoire, notamment concernant le passé de Roy.


J'ajoute à tout cela les meurtres au pistolet inhérents au genre mais surtout le final avec le combat à Blackdom, la grande bataille de La Belle et bien sûr le duel tant attendu entre Roy et Frank : toutes les cases sont cochées, c'est du grand western.

Donatien92600
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le 24 avr. 2021

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