Infernet
8.3
Infernet

Émission Web YouTube (2021)

Au moment où je rédige ces lignes nous sommes en mai 2023, et le dernier épisode d’ Infernet vient d’être diffusé.
Non, cet arrêt n’est pas la conséquence d’un burnout de l’auteur, d’une campagne de cancelling ou d’un désir de voir si l’herbe était plus verte sur une autre plateforme. Si Infernet s’est arrêté, c’était parce que c’était voulu.
Douze épisodes et pas un de plus. Un format bouclé dès sa conception. S’arrêter sitôt tout serait dit. Et tout cela sur YouTube. Et en 2023 donc…
C’est dire à quel point cette émission s’est révélée être à total contre-courant de la tendance de son époque et de sa plateforme d’hébergement. Rien que ça, ça fait du bien.
Rien que ça, ça dit à quel point cette émission est déjà en soi bien singulière.


En même temps, Infernet n’est pas le produit classique de n’importe quelle chaîne YouTube. Il ne s’agit pas d’une émission lancée par n’importe quel quidam en quête de reconnaissance sociale, d’attention factice et d’argent monnayé avec les grandes régies publicitaires en échange d’une conquête du « temps de cerveau disponible » des gens. C’est même tout le contraire.
Infernet est un programme initié par le journal en ligne Blast ; organe de presse à financement participatif fondé en 2021 par Denis Robert sur le même modèle que Le Média et dont Robert fut le directeur de rédaction avant d’en être dégagé suite à un (énième) conflit interne.
De là, Infernet en tire un format qui n’a effectivement plus vraiment cours sur la plateforme. A mi-chemin entre le divertissement YouTube, l’émission d’investigation journalistique et la chaîne d’influence militante, ce programme est au fond à l’image de celui qui l’a pensé, animé et écrit : Pacôme Thiellement.


Pacôme Thiellement, c’est autant un éditeur et essayiste publiant sur les œuvres de culture alternative qu’un chercheur excavant les mystères des profondeurs de Paris. Pacôme Thiellement c’est autant un spécialiste de cinéma expérimental qu’une expérience visuelle et sonore à lui tout seul.
Or, voir un épisode d’ Infernet c’est justement un peu tout ça à la fois : c’est une exploration d’une culture alternative ; celle d’Internet (et plus exactement celle des réseaux sociaux). C’est aussi une sorte d’excavation des vieux mythes profonds de cet univers numérique. Et, à bien des égards, c’en serait aussi presque une forme de cinéma expérimental


Car, concrètement parlant, que nous donnent à voir ces douze épisodes d’ Infernet ?
D’un point de vue purement prosaïque, on pourrait en dire qu’il s’agit simplement là de douze récits – douze histoires insolites – dont le docte Pacôme, avec son ton monocorde et sa barbe de patriarche, entend tirer une vérité de ce que sont Internet ainsi que les comportements qu’il rend possibles : entre chantages affectifs, escroqueries, spectacles morbides, usurpation d’identité, incitation au suicide, voire même carrément dérive sectaire, la liste est longue et peu ragoutante.
La durée d’un épisode navigue entre 22 et 50 minutes, le temps de poser tous les éléments, de définir tous les outils et objets culturels propres à la culture du réseau, et d’énumérer chaque étape de la sordide affaire que l’auteur a choisi d’exposer.


Certains pourraient en dire qu’en cela Infernet ne fait que reprendre à son compte les principes posés par l’émission Faîtes entrer l’accusé produite sur France 2 depuis 2000 ; émission durant laquelle un Christophe Hondelatte, se la jouant détective en blouson de cuir, exposait lui aussi d’un ton grave une affaire sordide censée révéler une face obscure de la nature humaine ; émission à laquelle on pourrait d’ailleurs reprocher le fait qu’elle se contente au fond de simplement surfer sur la fascination morbide du grand public en se mâtinant d’accent classieux de vieux polars à l’ancienne.
De là, il serait effectivement possible de réduire son approche d’ Infernet qu’à ce seul aspect-là, et pour sûr que c’est certainement ce qu’un certain nombre de spectateurs ont fait. Néanmoins, il me parait évident qu’il serait pleinement réducteur de s’arrêter à cette approche car, à mes yeux, il me semble évident qu’elle aille bien au-delà que ça.


Déjà, au niveau de l’état d’esprit, si on devait comparer Infernet à une autre émission télé, ce serait bien moins un Faîtes entrer l’accusé qu’il faudrait mobiliser que Les contes de la crypte.
L’idée étant avant tout de présenter l’enfer d’Internet, Pacôme Thiellement s’amuse dès lors à adopter le ton des récits horrifiques racontés lors des soirées entre amis, une lampe-torche fichée sous le menton. Chaque récit est narré sur un ton glaçant, s’ouvrant à chaque fois sur une convention du réseau qu’on présente telle une créature mythologique.
C’est l’influence qu’on présente comme de la magie dans l’épisode 2 ou bien encore les figures de l’avatar et du fantôme qu’on invoque respectivement dans les épisodes 3 et 5. Le New-age présenté comme « une notion issue des milieux aucultistes » dans l’épisode 9 ou bien encore le « meme » qu’on ramène à sa racine grecque « mimesis » comme s’il s’agissait de lui donner-là une existence plurimillénaire.
D’ailleurs on sent bien l’envie de toujours connecter le phénomène numérique évoqué à des phénomènes plus anciens. Ainsi les préoccupations de l’instagrameuse Gabby Petito sont-elles rapprochées de celles des Trois femmes de Robert Altman (épisode 2). C’est Kafka qu’on mobilise pour discuter de la relation numérique mortifère entretenue par les amants de Facebook lors de l’épisode 5. C’est aussi le vieux goût des gens pour le polar qu’on évoque pour retracer l’enquête numérique menée autour de la disparition d’Elisa Lam (épisode 7), ou bien encore la figure intemporelle de la chasse au trésor sitôt est-il question d’aborder le mystère de l’énigme CICADA 3301 (épisode 8.)


Et au fond, ce n’est pas seulement pour la mystique que Pacôme Thiellement se plait tant à ancrer chaque phénomène étudié dans une forme de temps long. Parce que la démarche d’ Infernet n’est justement pas de présenter Internet comme un enfer, mais plutôt de révéler en quoi Internet ne fait que mettre à jour un enfer déjà présent ; un enfer profondément humain. De là, il convient aussi de percevoir le verbe froid du narrateur comme allant au-delà du simple effet d’esbroufe pour spectacle sensationnaliste. Cette froideur, c’est aussi celle de l’analyste. C’est celle de l’anthropologue qui observe une tranche de l’Histoire humaine et qui entend l’exposer de la manière la plus dépassionnée qui soit.


Et de cela Infernet en tire trois choses.
Il en tire d’abord un certain humour absurde. Comment ne pas tirer un sourire quand est décrite assez précisément la musique de fond utilisée par la YouTubeuse Marina Joyce comme s’il s’agissait là d’une donnée importante et conscientisée alors qu’il est évident que la pauvre starlette éphémère a certainement pris la première musique libre de droit qui lui passait sous la main pour faire de l’habillage random. Même chose quand il s’agit de décrire factuellement le contenu des vidéos de Nicocado Avocado qui – au regard de son caractère outrancier – ne peut que souligner le ridicule consternant de ce genre de programme.
La deuxième chose qu’ Infernet tire de ce ton plat et monocorde, c’est aussi de la mise en distance. A parler comme un anthropologue décrivant tout ce monde factuellement comme s’il était nécessaire d’expliquer même le plus évident et le plus implicite, Pacôme Thiellement nous invite à adopter cette posture du sage. Il nous invite à regarder ce que nous avions fini par considérer comme commun pour mieux le reconsidérer comme quelque-chose d’irrationnel, de difficilement explicable, voire même – et une fois de plus – de totalement absurde.
Mais surtout, ce qu’ Infernet tire de plus pertinent et de plus percutant de sa forme, c’est sa capacité à transpirer régulièrement la mélancolie.


Car Infernet n’est pas de ces œuvres cyniques qui regardent le monde mourir sans s’en émouvoir. Elle ne se réfugie pas dans ce réflexe conservateur et confortable qui consiste à réduire la déliquescence de toute une humanité à une simple fatalité dont il serait au fond bien vain de s’en affecter ; sombrant même parfois dans une étrange jouissance à considérer cette chute comme un phénomène à la grande force esthétique qu’on pourrait presque souhaiter.
Infernet est mélancolique justement parce qu’il se désole de cette déliquescence. Une déliquescence qui – bien qu’il la présente comme fort ancienne – n’en demeure pas pour autant le seul horizon de l’humanité possible ; pas plus qu’il est le seul horizon d’Internet.
L’humain sait aussi être autre chose que ce qu’il est dans cet enfer dépeint. La déshumanisation n’est pas une fatalité mais le produit d’une structure ; une structure qu’il faut justement apprendre à voir pour mieux s’en écœurer et – enfin – s’en libérer.


Car Infernet c’est aussi et avant tout ça : une œuvre militante. Et pour cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une œuvre militante au mauvais sens du terme… Et c’est ce qui expliquerait d’ailleurs sûrement toute l’estime que je porte à cette émission.
Plus d’une fois sur ce site, on m’a demandé quelles étaient les chaines d’influenceurs politiques que je recommandais, et à chaque fois ma réponse a toujours été la même : je n’ai jamais recommandé personne. Et si je n’ai jamais recommandé personne c’est tout simplement parce que je considère que le seul moyen dont on dispose pour faire convenablement du militantisme politique sur Internet – comme ailleurs – c’est d’éduquer ; c’est de donner à voir, à sentir et à penser.
Si on est convaincu de défendre une posture sensée et logique, alors on a tout à gagner à éveiller les esprits par la culture, qu’elle soit scientifique, artistique ou politique. Parce que ce n’est pas en disant aux gens quoi penser qu’on les convainc le mieux. On ne convainc ainsi que les plus influençables ou les déjà convaincus. Dit autrement on ne fait avancer aucune ligne. On ne remporte aucune victoire véritablement décisive. Car ce n’est qu’en laissant cheminer les gens par eux-mêmes qu’on peut espérer les émanciper vraiment. Il faut juste offrir l’environnement adéquat pour ça. Donner à voir, à sentir et à penser. Or c’est justement ce que fait selon moi cet Infernet, du moins pour ce qui est donné à voir et à sentir. (Pour la pensée, on en reparlera un peu plus tard... ;-) )


Ce qu’ Infernet donne d’abord à voir et à sentir c’est à quel point le mal est profond.
Les réseaux sociaux n’agissent pas sur nous qu’en surface, et ils ne nous malmènent pas que sur les aspects les plus superficiels de nos personnes et de nos formes de sociabilisation. Ils pervertissent notre rapport à nous-mêmes en stimulant notre narcissisme (épisode 1) ou bien en faisant de nous les spectateurs pervers de la déchéance des autres (épisode 4). Ils malmènent notre santé mentale (épisode 8) comme notre santé physique (épisode 4, encore). Ils nous enferment dans un conformisme asphyxiant (épisode 2) et corrompent toute tentative de produire de l’intelligence (épisode 6). Pire que tout, ils dévoient les éléments les plus fondamentaux susceptibles d’unir les humains : l’amour (épisodes 3, 5 et 11) et même l’amitié (épisode 12).


Cet épisode 12 – le dernier – est d’ailleurs celui qui se pose comme la synthèse de toute la série. Consacré à Mark Zuckerberg et Facebook, le verbe de Pacôme Thiellement ne transige alors sur rien. Chaque mot est acéré pour révéler la réalité du démon. C’est le cas au début quand il dit que « lire et publier chez eux ne sont pas des activités neutres. […] Quand nous allons sur Facebook, nous allons dans le monde de Mark Zuckerberg. Nous lisons dans le visage des autres avec les mêmes yeux que lui. Et nous cherchons des amis dans le monde d’un homme qui n’a pas d’ami. Pire, qui n’a peut-être jamais eu l’ambition ou le désir d’en avoir. » Il dit encore : « Mark Zuckerberg est la forme nouvelle, technologique, prise par la figure américaine par excellence. Celle qui domine absolument toute l’histoire du capitalisme, au point d’en devenir une règle de la réussite économique et sociale. Zuckerberg s’enrichit en arnaquant les Wincklevoss, Narendra, Saverin et au bout du compte en arnaquant la moitié de la planète en leur offrant Facebook… Parce que soyons honnête : on peut légitimement considérer Facebook comme la plus grande arnaque en ligne jamais réalisée. Mark Zuckerberg était notoirement mécontent de son image montrée de David Fincher. Il se doutait évidemment de ce qu’il suivrait. Après The Social Network, les gens ont commencé à se méfier de lui, et ses apparitions ont fait l’objet de plus en plus de critiques. Précédemment, on avait de lui l’image d’un nerd, et même d’un type plutôt timide et mal dans sa peau. Après le film à l’instar de la jeune femme imaginaire qui apparait dans la première séquence, on le perçut surtout comme un connard. »


C’est le cas aussi quand Thiellement cite les créateurs de réseaux sociaux eux-mêmes. Shaun Parker, fondateur de Napster d’abord : « Nous exploitons une vulnérabilité dans la psychologie humaine. Les inventeurs, les créateurs – c’est-à-dire moi, Mark Zuckerberg, Kevin Systrom, toutes ces personnes – nous avons compris ça de manière consciente. Et nous l’avons fait quand même. » Chamath Palihapitiya, ancien ingénieur chez Facebook, ensuite : « Nous avons créé des instruments qui détruisent la société. Sur Facebook, nous sommes récompensés de nos efforts dans un temps très court. Et ce que nous obtenons, c’est une popularité massive mais fausse. C’est une récompense à court terme qui laisse l’utilisateur encore plus vide qu’il ne l’était précédemment. »


Mais au fond, de toutes les formules incisives qui seront prononcées, c’est finalement le bilan dressé par l’épisode sur le réseau social créé par Zuckerberg qui se révèle le plus percutant.



Quand on va sur Facebook on ne s’intéresse pas seulement à ce que les autres publient. On s’intéresse à ce que les autres pensent de ce que nous publions. Publier un texte sur Facebook ce n’est pas simplement publier un texte. Publier un texte sur Facebook, c’est le soumettre à des likes et des partages. L’existence même de ces likes et de ces partages rend impossible d’ignorer la question de la popularité de nos publications sur la plateforme. Elle nous transforme de facto en personnalité publique. Facebook nous transforme en personne intéressée. Facebook nous transforme en star narcissique. Facebook a compensé la décrépitude des organes de presse traditionnels en faisant de nous les collaborateurs du plus grand média du monde, mais en contrepartie il nous a mis en concurrence et nous a divisé. On s’est mis à regarder le nombre de likes que recevaient nos amis. On a commencé à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour en obtenir autant. Une petite chanson. Une remarque humoristique. Une photo mignonne. Quand on publie sur Facebook, on est toujours constamment en train de faire de sa propre publicité. Et on finit par y faire ce qu’y font toutes les personnes sensibles à la question de la popularité : du fan service. La présence du like et le souci d’en avoir ont fait de nous le porte-parole de notre propre cause.
Ce n’est pas tout. Loin de là. Sur Facebook, nous pouvons suivre au quotidien la vie des personnes que l’on aime ou de personnes que l’on déteste. Nous pouvons savoir qui cette personne apprécie ou non. Nous pouvons voir ce que cette personne pense au quotidien sur n’importe quel sujet à n’importe quel moment. Nous n’en avons pas besoin, mais nous en avons envie. Toujours la même distinction. Et celle-ci est essentielle à rappeler, parce qu’il est essentiel de rappeler que la condition même d’une bonne relation avec autrui tient dans le souci de notre liberté mutuelle. Si on se sent observé 24h/24, nous ne pouvons avoir de vraies relations d’amitié. Et voilà aussi ce que Facebook a changé dans nos vies. Nous sommes observés dans la plupart de nos actes et nous observons en retour. Nous vivons dans un incessant panoptique informationnel. Facebook ne nous transforme pas seulement en star. Facebook nous transforme en espion.
Facebook ne nous transforme pas seulement en espion. Nous sommes en mesure d’intervenir sur les murs de nos interlocuteurs, publiquement, même pour leur dire des choses désagréables ou qui ne les intéressent pas. Nous pouvons poster des publicités pour notre propre travail sur leur page. Nous pouvons les taguer sur nos publications pour qu’ils soient informés de ce que nous faisons. Nous pouvons ensuite nous exciter ou nous énerver sur leur lenteur à prendre en compte ce que nous avons posté ou de nous rendre jaloux de certaines interactions et amers de notre manque de popularité. Facebook a intégralement modifié notre rapport à la parole. Facebook nous a habitués à fonctionner comme des débateurs de télévision, argumentant sur n’importe quel sujet, argotant, pinaillant. Et dès que nous sommes pris en flagrant délit d’ignorance sur un sujet, nous allons chercher toutes les méthodes disponibles pour décrédibiliser notre débatteur. Parce que ce n’est pas le sujet qui compte, c’est notre personne. Et nous pouvons le poursuivre de notre colère des semaines, des mois, des années durant. Facebook nous a transformés en politicien.
En outre, quand un ami parle sans avoir réfléchi, nous pouvons retenir ses paroles contre lui. En quinze ans, nous nous sommes habitués à regarder ce que postent nos connaissances de façon bien plus suspicieuse et intolérante que les décennies précédentes. Nous les traitons désormais avec beaucoup de gravité, comme des personnalités publiques dont l’avis compte, Même s’ils effacent une bêtise vite publiée, nous ressortons la trace de ce qu’ils ont posté pour leur faire honte. Pour que tout le monde sache. Pour que tout le monde voie. Cela semble invraisemblable et pourtant cela fait désormais tellement partie de notre quotidien que nous ne ne voyons plus à quel point c’est une situation inédite dans l’histoire de l’humanité. Facebook nous a transformés en un peuple de dénonciateurs. De délateurs. De corbeaux.
Nous demandons à nos amis des comptes pour les gens avec qui ils communiquent. Nous les rendons coupables de leur association avec des personnes qui ont pu partager un contenu douteux quand bien même il faisait ça par ignorance, par conformisme, sans trop savoir pourquoi. Nous leur faisons des procès. Nous allons jusqu’à les identifier sur des posts qui les mettent en cause, dans l’espoir que les personnages qu’ils aiment et qui les aiment puissent savoir tout le mal que nous pensons d’eux. Nous les croyons coupables dès qu’ils sont accusés par un tiers et nous les insultons à longueur de commentaires quand bien même nous ne savons pas si ce que nous savons à leur sujet est vrai ou faux. Facebook nous a transformés en juges.
Et puis nous pouvons leur écrire des messages rageurs quand nous sommes ivres. Nous pouvons les harceler, les pourrir, les poursuivre de notre rage. Nous avons entre nos mains la possibilité de leur mener une vie d’enfer. Et je ne parle pas des messages que nous pouvons envoyer pendant la nuit et recevoir au réveil, qui vont de la photo d’organes sexuels non sollicités à la menace de mort. Tout ceci est devenu notre quotidien. Facebook nous a transformés en brutes.
Regardons les choses en face : en dix ans, Facebook ne nous a pas transformés en nerds. Facebook nous a transformés en connards.
Les réseaux sociaux ne sont pas simplement des outils. Les réseaux sociaux sont des mondes et leur fonctionnement est dès lors à l’image de la vision du monde de leur concepteur. Lire et publier chez eux ne sont pas des activités neutres. Elles ne l’ont jamais été. Lire et publier sur Facebook, c’est accepter de se transformer, lentement mais sûrement, en Mark Zuckerberg. […] Voila pourquoi le monde n’est pas ressorti plus clair de l’expérience des réseaux sociaux, mais plus confus. […] Voilà pourquoi l’expérience des réseaux sociaux depuis quinze ans s’est faite au détriment de la majorité et au bénéfice quasi-exclusif des arnaqueurs. […] Et voilà pourquoi, malgré notre volonté de faire de ce monde un monde meilleur, nous n’avons cessé de nous diviser et de nous faire la guerre au profit des entreprises et des politiciens les plus cyniques.



Ce portrait fait de Facebook, cet épisode 12 d’ Infernet décide bien évidemment de l’illustrer avec des images qui vont au-delà de Facebook. Ce sont Jean-Michel Aphatie et Raphaël Enthoven qu’on affiche quand il est question d’évoquer les débats sophistiques. C’est l’affaire mensongère de la femme de ménage sans papier d’Alexis Corbière et Rachel Garrido qu’on associe à l’idée d’accusations sans fondement qu’on relaie sans réfléchir, ou bien c’est même carrément des films comme La vie des autres portant sur les activités de la Stasi en Allemagne de l’Est ou le monstrueux Cthulhu – la bête de Lovecraft à laquelle Facebook est associée dans cet épisode – qu’on invoque, comme pour rappeler en permanence que tout ce qui est dit là dépasse Facebook. Infernet donne à voir la structure de Facebook pour qu’elle donne ensuite à voir la structure de la société.
Tel un jeu de poupées-gigognes, l’émission fonctionne par strates pour que, petit-à-petit, chacun puisse voir la matrice qui régit le monde des réseaux sociaux et – au-delà de celle-ci – cette autre matrice qui rend tout ce malheur possible : la matrice du capitalisme.


C’était un enjeu manifeste de cet Infernet : montrer le terrible monstre enfoui et qui dévastera le monde. Montrer le Cthulhu.
Par rapport à cela, cette démarche consistant à invoquer les mythes et les menaces ancestrales selon le bon vieux ton des Contes de la crypte ne prend qu’encore plus de sens. Le capitalisme n’est pour beaucoup qu’un mot-valise ; une chimère invoquée par les milieux gauchistes comme d’autres cultes invoqueraient magie, fantômes ou divinités. Par ses douze épisodes d’ Infernet, Pacôme Thiellement s’est efforcé de donner vie à ces mythes par l’entremise des récits du net. Il s’est efforcé de montrer que la chimère existait bien et que les réseaux sociaux étaient l’endroit où on était le plus sûr de la voir.
Bien évidemment, chaque épisode évoque plus ou moins ouvertement – et avec plus ou moins de réussite – cette bête monstrueuse qu’est le capitalisme, et s’il y a un épisode qui, à mes yeux, réussit le mieux à donner à voir le monstre, c’est le quatrième intitulé : Mukbang, ces youtubers qui vendent leur vie pour des vues.


Dans cet épisode, Pacôme Thiellement entend retracer le parcours du YouTubeur étatsunien Nicocado Avocado, devenu une star morbide du mukbang.
Le mukbang, c’est cette pratique déconcertante qui consiste à simplement poster une vidéo de soi en train de prendre un repas. Originaire de Corée du Sud – et présenté comme un phénomène très minoritaire et peu connu à ses débuts – le mukbang semble s’être initialement développé grâce au nombre de plus en plus important de Coréens vivant seuls et isolés. Dans un tel contexte, le repas devient un moment de déprime, tant celui-ci est censé être un moment de convivialité. A partir de là, le mukbanger devenait ce convive qui manquait. Une pratique insolite certes, triste par bien des aspects, mais relativement innocente dans sa forme originelle…
Seulement voilà, une fois ce phénomène est-il arrivé sur l’Internet américain que sitôt la machine s’est lancée. Comme le dit Pacôme Thiellement lui-même : « Puisqu’il y a une demande, alors il y aura une offre » et « la logique concurrentielle du médium lui fera prendre assez vite une tournure beaucoup moins inoffensive ».


Nicocado Avocado, c’est justement l’illustration parfaite de l’individu qui se fait avaler par la mécanique YouTube. Il est l’ « attention whore » prêt à tout pour attirer les regards sur lui. Au départ influenceur vegan, il dérive vite vers des contenus de plus en plus sensationnalistes. Il n’est plus question de cuisiner mais de consommer. Il n’est plus question d’être un convive mais d’être une attraction. Et pour être une attraction, il n’est plus question d’afficher son plaisir à manger sainement, mais plutôt celui de s’exposer aux risques de repas sans cesse plus caloriques et nocifs pour la santé... Car – ô surprise – sur Youtube, plus on sombre, et plus on gagne en abonnés ; plus le système récompense…
…Alors Nicocado Avocado a en permanence renchéri. Il a augmenté les doses. Il a considérablement pris du poids, au point de se mettre en danger. Son organisme est en train de le lâcher, il est désormais contraint de dormir avec un respirateur pour ne pas s’étouffer dans son propre sommeil, mais Nicocado Avocado continue dans sa voie morbide parce que ça le rend riche, parce que ça le rend visible, et parce qu’il peut ensuite moquer le monde resté pauvre… Avant de littéralement pleurer de solitude.


Pour Pacôme Thiellement, Nicocado Avocado est du pain béni. Il n’est pas simplement une victime. Il est l’incarnation même de la bête. Il est celui qui donne à voir la matrice au-delà de YouTube.
« Nicocado Avocado n’est pas une anomalie, nous dit Thiellement. Il est seulement l’incarnation la plus littérale de la règle. Il ne se situe pas à la périphérie de notre époque. Il se situe au centre. Il ne bénéficie pas d’une faille de la loi. Il est carrément l’essence de celle-ci. Nicocado Avocado est l’incarnation extrême d’un phénomène extrême. Et ce phénomène extrême ce n’est pas le mukbang. Le mukbang n’est que sa manifestation matérielle. Le mukbang n’est que son allégorie. Ce phénomène extrême : c’est Youtube. […] On voit le chemin parcouru depuis que Nicocado Avocado a troqué le militantisme vegan contre un activisme carniste basé sur l’idée que le monde sera toujours injuste et que vivre c’est toujours prendre la vie de quelqu’un. Désormais la seule obsession de Nicocado Avocado semble de vouloir convaincre le reste du monde qu’il a réussi, parce qu’il est plus riche que la majorité des gens qu’il peut apercevoir depuis sa fenêtre. […] Que ce soit du déni ou de la mise en scène ; que ce soit de l’auto-aveuglement ou de l’humour, que ce soit de la télé-réalité ou du théâtre, Nicocado Avocado a réussi à incarner la réalité ultime du capitalisme. Nicocado Avocado c’est le ça du capitalisme ; un ça dont Bolloré, Arnault, Pinault seraient les moi, les sur-moi. Nicocado Avocado est leur horizon, leur destinée manifeste. Parce que la logique intrinsèque du capitalisme ne peut aboutir qu’à ça : un jeune social justice warrior transformé en cinq ans en un homme prêt à se tuer pour rester riche et célèbre. La seule conclusion qu’on peut tirer de son histoire, c’est que l’argent et l’attention sont devenus pour Nicocado Avocado préférable à tout. Préférable à l’estime de soi, à la décence, à la santé et même simplement au fait d’être encore en vie. La phrase « l’important c’est la santé » n’a pas de sens pour un mukbanguer. A la question menaçante – la bourse ou la vie – Nicocado Avocado choisit la bourse. »
Pour moi, cet épisode 4, c’est de loin le plus dérangeant, mais aussi le plus efficace. Le meilleur de toute l’émission…


Alors après, certains pourraient trouver ces démonstrations un brin forcées et ils n’auraient pas totalement tort… C’est d’ailleurs ma principale réserve à l’encontre de cet Infernet.
Je disais plus haut que la meilleure façon de faire du militantisme – sur Internet comme ailleurs – ça restait encore d’éduquer. Mais qu’est-ce qu’éduquer ?
A l’origine, éduquer vient du latin educere qui veut littéralement dire « faire sortir », « élever » ; à comprendre faire sortir l’individu de sa situation par le haut ; le tirer de l’ignorance et de la misère par l’instruction.
Le CNRTL, le Centre national de ressources textuelles et lexicales, définit l’éducation comme « l’art de former une personne, […] en développant ses capacités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d’affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment épanouie. »
Or, par rapport à cela, Infernet joue son rôle d’éducateur dans la mesure où – comme je le précisais plus haut – il aide à forger le regard ; à voir cette matrice qui se tapit dans l’ombre et dès lors à s’en défaire ; à « en sortir » par le haut.
Seulement, pour ma part, je considère qu’on commence à faillir à sa mission d’éducateur sitôt se met-on à sélectionner les outils d’émancipation qu’on destine à ses disciples ou bien sitôt commence-t-on à vouloir maintenir des angles morts dans l’utilisation de ces outils. Or je trouve qu’il y a un peu de ça dans Infernet : des angles morts.


Alors oui – bien sûr – enseigner c’est aussi devoir choisir. Choisir un sujet. Choisir un angle. Choisir un niveau de profondeur dans son étude et cela en fonction du public qu’on entend toucher… En cela, on sélectionne forcément. On ne peut pas tout dire. On appauvrit nécessairement le réel dont on parle dans ce qu’on enseigne. C’est inévitable…

Malgré tout, sélection n’est pas nécessairement dénaturation. Tout dépend de notre capacité à élaguer avec parcimonie et harmonie, sans tomber dans ce travers consistant à effacer certains points au profit de certains autres ; travers qui ne pourrait que trahir cette démarche première qui serait d’épanouir les gens en les sortant par le haut.
Or oui, je trouve que parfois Infernet force un peu trop le trait au point qu’il en fragilise sa démonstration, au point même que cela ouvre la voie à un questionnement sur la pertinence de sa démarche.


« Quand on a dit qu’un youtubeur ne va pas bien on n’a rien dit » aime par exemple à répéter Pacôme Thiellement… Et il semble nous dire ça comme si YouTube ne se réduisait qu’aux seuls influenceurs affichant régulièrement leur personne et leur ego…
Soit, pourquoi pas. Mais que faire dans ce cas-là des Hygiène mentale, Cinéma de Marty et autres Questions d’Histoire dont les auteurs ne se sont jamais affichés ? Que faire des Fred Molas et autre David Louapre qui se sont tous deux toujours bien gardés d’afficher quoi que ce soit de leur vie privée et de ne s’en tenir qu’à leur format ? Doit-on les considérer au même niveau d’aliénation narcissique que les Norman, McFly et autre Lena Situation ? Doit-on considérer leur contenu comme ne constituant également qu’un énième chantage affectif en échange de clics et de temps de cerveau disponible ? Moi je considère que non et de là je pose une question : pourquoi ne pas questionner ce YouTube qui perdure malgré les tendances actuelles de la plateforme et qui parvient sur une durée insolente à entretenir l’expression d’une véritable contre-culture ? Pourquoi ce regard si monolithique, à la limite de la caricature ?


Idem pour ce qui est des réseaux sociaux d’ailleurs. Dans l’épisode 12, Pacôme Thiellement exprime son souhait de les voir mourir au prétexte que s’exprimer en leur sein, c’est forcément se plier au mode de pensée de son créateur… Pour ma part je trouve que c’est quand même bien rapidement jeter le bébé avec l’eau du bain. Je citais les champs d’expression nouveaux ouverts par YouTube un peu plus haut, mais que dire de la manière dont les artistes plasticiens ont investi Instagram pour faire connaître leur œuvre et ainsi dynamiter les carcans traditionnels de leur expression ?
Que dire aussi de ce site sur lequel je publie ce billet – SensCritique – qui malgré ses multiples refontes douteuses n’empêche pas l’expression d’analyses et d’avis alternatifs que je trouve pour ma part bien plus enrichissants que ce que je pouvais trouver au sein des canaux traditionnels ?
…Et puis que dire enfin du fait que – quand bien même passe-t-il son temps à conspuer YouTube et les réseaux sociaux – Pacôme Thiellement, par l’entremise de son Infernet, s’exprime au final lui aussi sur YouTube ?
…Allons même plus loin encore : puisque Pacôme Thiellement affirme qu’à force de publier sur Facebook on finit par penser et voir le monde comme Mark Zuckerberg, ne risque-t-il pas, à force de publier sur Blast, de se mettre à voir et penser comme Denis Robert ?


Parce que oui finalement, concluons par ce par quoi nous avons commencé : parlons du fait que cette émission n’est pas le produit de n’importe quel youtubeur narcissique en quête d’influence mais au contraire le fruit d’un média participatif : Blast.
Pour reprendre les mots de Pacôme Thiellement lui-même dans son ultime épisode d’ Infernet : lire et publier chez Denis Robert ne sont pas des activités neutres. Comme je le disais plus haut, Blast est certes une chaîne productrice d’émission d’investigation journalistique, mais elle est aussi et surtout une chaîne d’influence militante. Or le militantisme de Denis Robert, ce n’est clairement pas un militantisme qui éduque…
Blast c’est l’éviction de Serge Faubert pour avoir voulu traiter du cas Taha Bouhafs selon un angle susceptible de nuire à la France Insoumise.
Blast, ce sont les portraits totalement biaisés et tronqués d’Usul et Ostpolitik sur tous ces gens qui ne sont pas de la bonne gauche. Ainsi, sur Blast, Georges Marchais devient raciste quand Chevènement devient facho, tandis qu’a contrario des copains et copines telles que Françoise d’Eaubonne ont droit aux louanges, quand bien même ses travaux mériteraient qu’on les aborde avec une très grande distance critique.

Blast enfin, ça a été les attaques ouvertes et assumées contre tous ces candidats de gauche qui ont décidé de se maintenir au premier tour de la présidentielle de 2022 face à Jean-Luc Mélenchon, les rendant ainsi mécaniquement responsables de l’élimination de la gauche pour le second tour. Que Jean-Luc Mélenchon ait systématiquement refusé toute proposition de primaire de gauche lors des élections précédentes, de cela bien évidemment il n’aura jamais été jugé nécessaire d’en parler. Que Mélenchon ait sabordé toutes les tentatives précédentes d’union qui n’étaient pas constituées derrière lui, de cela non plus il ne sera jamais question. Idem, que Mélenchon ait été le seul à gauche à s’être autodésigné candidat par plébiscite au sein de son parti plutôt que d’être désigné par un processus électif, de ça non plus on ne fera pas grand-cas…
…Et alors que le PCF était présenté comme celui qui avait volé les voix au bon Jean-Luc en se maintenant au premier tour, personne à Blast n’a alors jugé nécessaire de se poser la question de pourquoi un parti qui avait pourtant accepté une candidature commune derrière Mélenchon pendant deux élections successives avait finalement décidé de la refuser pour une troisième...


Vous allez me dire ; quel rapport avec Infernet tout ça ?
Eh bien justement, peut-être beaucoup plus qu’on ne pourrait le penser de prime abord. Car au final je me rends compte que le principal reproche que j’ai envie de faire à l’émission – pourtant très bonne – de Pacôme Thiellement reste finalement le même que celui que je peux faire au sujet de Blast et à de la matrice mélenchonienne dont ce média est le produit : ça binarise beaucoup, ça condamne sans réserve, mais ça laisse un sentiment de stérilité intellectuelle assez tenace.
OK, les réseaux sociaux sont le démon et ils descendent directement de ce Mal premier qu’est le capitalisme. Soit. Mais après ?… Au-delà de ça qu’est-ce que cette émission donne à penser ? Jusqu’où Infernet nous élève ? Pas très haut.


Infernet a certes ce mérite d’offrir un regard sur le monde numérique et rien que cela c’est déjà très bien, c’est vrai. Et il ne s’agit pas de renier ça. Seulement voilà, Infernet n’est pas non plus la première émission à vouloir poser un regard critique et distancié sur la grande toile et la culture qu’elle produit, et il se trouve qu’il y a huit ans, Arte avait lancé l’émission BiTS, magazine presque culte. Le format était différent – 182 épisodes d’une dizaine de minutes pendant quatre ans – mais il y avait avec Infernet une ambition commune : éduquer.
BiTS aussi questionnait le vocabulaire et la culture propre au net. Chaque épisode était l’occasion de s’interroger sur les origines, la nature et surtout les conséquences culturelles de ce phénomène numérique naissant. BiTS n’affichait aucune prétention politique et pourtant BiTS était elle aussi une émission puissamment politique. Elle donnait à voir, à conscientiser, mais surtout elle permettait de parfois se projeter.
Regarder BiTS c’était prendre la peine de se questionner sur ce qu’on faisait, sur ce qu’on pouvait faire, et ce sur vers quoi ça pouvait non conduire…
…Avec Infernet on sait qu’on doit quitter les réseaux sociaux. On nous dit qu’on peut faire d’Internet autre chose, mais quoi exactement, ça on ne saura finalement pas…


Alors après, il est certes vrai que ce n’était pas forcément l’objectif d’ Infernet et ça je l’entends bien. Peut-être même tant mieux d'ailleurs, car sitôt l'émission tente de s'ouvrir à un minimum d'analyse politique que le bateau tangue immédiatement.
Nuit debout, les Gilets jaunes et le Printemps arabe sont des mouvements de contestation qui auraient tous échoué parce qu'ils se sont lancés sur Facebook, nous affirme Pacôme Thiellement (épisode 12). Ah oui ? Tu es sûr, Pacôme ? L'absence de structuration politique de ces mouvements – voire le refus de toute structuration politique n'a t-il pas joué sa part aussi ? La confusion idéologique qui animait ces mouvements n'a t-elle pas aussi grandement participé à son incapacité à produire une alternative politique viable au système qu'il conspuait ? Franchement n'y a-t-il pas aussi là-dedans des pistes à creuser ? L'échec ne viendrait-il pas forcément de Mark Zuckerberg mais aussi possiblement des mouvements eux-mêmes et de leurs propres carences ? Est-on prêt au sein de la mélenchonie à soulever le capot de ses propres contradictions pour opérer a minima son auto-critique ? Visiblement, sur Blast comme dans Infernet, on n'en est pas encore là. L'enfer, ça reste avant tout les autres.


Mais bon, comme dit à l'instant, au final Pacôme Thiellement et son Infernet auront préféré ne pas trop s'engager sur cette voie et – encore une fois – au fond tant mieux.
De toute façon il apparaît comme assez manifeste que Pacôme Thiellement est bien plus un homme qui préfère donner à voir plutôt qu'à penser. Il est bien plus esthète que philosophe et ça se ressent finalement dans tout son format.
Se projeter – à savoir ouvrir la voie vers une vision proactive des choses – ça aurait mécaniquement tué toute l’esthétique que l’émission s’est efforcée de constituer depuis le départ ; ça aurait fait s’écrouler toute l’illusion de ces Contes de la crypte dont la fonction première était avant toute chose de donner à voir le Cthulhu.
D'un côté cela entretient certes un véritable esprit de contradiction, puisqu'il y a tout de même quelque-chose de paradoxal à reprocher à une certaine bourgeoisie de voir en la chute de l’humanité une forme d’apothéose esthétique quand, de son côté, on est une émission qui aime à entretenir sa propre esthétique lugubre pour parler d'un sujet comme celui-ci. Mais d'un autre côté, on ne peut nier que le geste esthétique a malgré tout son indéniable efficacité pour donner à voir l'objet qu'on cherche à dénoncer.


Étonnement, la grande force de cet Infernet est aussi sa petite faiblesse. Son jeu d’esthète réfléchi, sa manipulation riche et subtile des symboles culturels de tout âge, ce goût à décortiquer l’incongruité de ce qu’il y a de plus singulier dans le net est à la fois ce qui fait de cette émission un bel objet à parcourir mais en même temps une œuvre qui perd simultanément de sa portée réflexive.
Au fond, par cette émission, Pacôme Thiellement n’a fait qu’être resté fidèle à lui-même : un amoureux de cinéma expérimental avant d’être un vulgarisateur ; un artiste épris de bons mots plutôt qu’un maître à penser.
C’est déjà pas mal me diriez-vous. Je dirais même que c’est très bien au regard de ce qu’a su être cette émission et au regard de ce que Thiellement a été capable de produire derrière – toujours sur Blast – au sujet de ce cinéma expérimental qu’il aime tant. Mais sachons néanmoins prendre cette production pour ce qu’elle est et guère plus. Une démarche esthétique. Un moment expérimental. Mais un acte éducatif et politique qui ne saurait sortir du cadre proposé par Blast
…Car comme le dit si bien Pacôme Thiellement lui-même : lire et publier sur Blast ne sont pas des activités neutres. Quand nous y allons, nous allons d'une certaine manière dans le monde de Jean-Luc Mélenchon.


(Help me. ^^)

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le 15 mai 2023

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