« Ben quoi Moktar, t'es pas content ? T'as la démocratie maintenant »

4 épisodes d’une heure environ constituent cette série consacrée à l’Irak de Saddam Hussein, suivant plus ou moins son parcours, se focalisant sur les relations internationales et les guerres.

L’une des forces du documentaire est son pouvoir d’attraction. J’ai regardé trois épisodes à la suite, tant les images choisies ont une puissance attractive et je ne les avais jamais vue ailleurs. Dommage cependant que la source des images ne soient pas toujours indiquée directement à l’écran, en cela le documentaire tombe dans l’écueil classique de tout documentaire historique, chose d’autant plus incompréhensible que la source est indiqué lorsqu’il s’agit des images de propagandes produites par Daesh. C’est d’autant un manque que le contexte de certaines images sont données parfois oralement, comme lorsque Saddam se filme en train de taper gentiment sur la tête d’un enfant, otage américain pendant la guerre du Koweït. On comprend dès lors quel est son message : « je n’hésiterai pas à tuer ce gosse si vous faites trop les dingos ». Hors contexte, ces images ont évidemment un autre sens, d’où l’importance de toujours fournir un minima de contexte de la production des images.


Mais outre cet écueil, le travail historique est passablement bien fait. Il faut louer ici l’audace du discours du documentaire qui n’hésite pas à entrer frontalement en contradiction avec les témoignages les plus infectes ceux qui prônent la guerre et la destruction du peuple irakien et qui justifient l’intervention américaine. Le discours du documentaire peut être résumé ainsi (je résume évidemment en découpant le discours à la hache, pour les subtilités, il faut se référer au docu) : A la base, le régime de Saddam Hussein se voulait une dictature laïque qui s’est rapprochée des pays occidentaux, Saddam reçu en grandes pompes à l’Elysée et négociant un programme de nucléaire civil avec la France. Son rôle au Moyen-Orient, outre fournir du pétrole et protéger les puits, a notamment été de contenir au mieux la révolte iranienne en déclarant la guerre à l’Iran. L’usage d’armes chimiques a été l’un des faits d’armes de Saddam, avec la bénédiction des pays occidentaux, notamment les Etats-Unis, bien au courant de cette histoire pourtant contraire au droit international, avant que ces armes ne se retournent contre les Kurdes, le génocide de Saddam qui fit une centaine de milliers de morts. Là encore, Saddam avait les mains libres. Pour service rendu, Saddam a vu ses dettes exonérantes rayées de l’ardoise, sauf le Koweït qui s’y refuse, l’Irak l’envahit. Si Saddam mettait la main sur le pétrole du Koweït, assurément il aurait eu un pouvoir économique pouvant déstabiliser la région. Les États-Unis interviennent et grâce aux informations des ingénieurs français, en quelques jours, l’Irak a perdu son réseau électrique, et comme l’électricité est l’énergie qui constitue la base de la société moderne, autant dire que l’Irak a fait un retour en arrière de trois siècles. Sont alors votées une série de sanctions à l’ONU, drastiques, dont les conséquences furent la mort de centaines de milliers d’enfants, que les États-Unis ont en toute conscience refusé de lever. Le documentaire lance alors le terme de génocide du peuple irakien par les États-Unis. Bien sûr, la guerre et la chute d’un État a eu pour effet de laisser le terrain aux leaders religieux, Al-Qaïda et Daesh plus tard se construisant sur les ruines, la misère et la haine engrangées par les États-Unis notamment. Suite au 11 septembre 2001, l’Irak est tenue pour responsable de la chute des tours jumelles. Sous l’impulsion de George Bush, des néo-conservateurs, et de son administration, les services secrets américains sont contraints à fabriquer des preuves bidons pour accuser le régime de Saddam de détenir des armes de destructions massives, alors même que les services français estiment que Saddam est à terre, d’où l’opposition Chirac-Bush avec le célèbre discours de Villepin, dernier sursaut de démocratie raisonnée de la France avant de s’aligner en permanence derrière les US. La suite est mieux connue ; les États-Unis envahissent l’Irak en toute illégalité, commettent crimes et méfaits à n’en plus finir, n’ont aucune idée de la région et ne trouvent rien à faire pour remplacer le régime de Saddam, totalement impréparé. Le seul plan qui semble avoir fonctionné est la protection du pétrole irakien. Puis, dans le chaos le plus total, Obama rappelle les boys à la maison, laissant le pays aux mains de Daesh.


Cette histoire est racontée par différents témoignages : du point de vue français, Chevènement pour la période mitterrandienne, Le Maire et Hollande pour la suite des événements tiennent une place importante dans les derniers épisodes. Si le documentaire est assez critique envers la politique de Mitterrand, à juste titre, il reste plutôt muet sur l’inaction française depuis le dernier sursaut chiraquien, chose plutôt dommage. Autre intervenants, plusieurs personnes de l’administration américaine ; des officiers de l’armée à certains politiciens nous offrant une vision de l’intérieure de la guerre irakienne. Enfin, et non des moindres, les témoignages de certains irakiens eux-mêmes : des ministres, des présidents, et surtout un témoignage d’un ancien soldat qui a grandit à Mossoul. Ce témoignage est sans doute le plus précieux puisqu’on a un point de vue précis du ressenti des gens du bas, qui vivent dans leur chair cette géopolitique chaotique. On comprend dès lors mieux ce mouvement contradictoire où Saddam est à la fois un tyran et une figure regrettée, Daesh à la fois libérateur et bourreau, tout comme le ressentiment que les interventions étrangères de toute part ont pu engrangées.


Comme mentionné, il y a une vraie force historique dans le documentaire : de nombreux documents émaillent les 4h de la série, mais aussi des images particulièrement dures des morts civils, tant irakiennes que kurdes lors du génocide commis par Saddam. C’est une force d’autant plus remarquable que, comme le rappelle le documentaire, la guerre en Irak avait été diffusée en directe : des bombardements de nuits, des chier d’étoiles filantes vertes, loin de la réalité des cadavres d’enfants en morceaux que l’on peut apercevoir gisant au sol sur les images du documentaire. Bref, un vrai documentaire qui n’est pas à charge, mais qui tente d’expliquer, de comprendre, et qui n’hésite pas à montrer l’impérialisme occidental à l’œuvre, sans prendre pour autant la défense de Saddam. Comme chaque discours historique a ses forces et ses faiblesses, celui-ci, malgré certaines omissions, reste essentiellement factuel, chose la bienvenue par les temps qui court, et nous raconte l'assassinat d'une nation, ou comment les États-Unis ont rasé un ancien pays allié, et nous rappelle nostalgiquement que la parole des Guignols nous manque.


Ji_Hem_
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le 30 nov. 2023

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