Irresponsable
7.3
Irresponsable

Série OCS (2016)

Père et fils. Et mères [Critique de la série "Irresponsable", saison par saison]

Tout le monde n’est pas forcément excité par la perspective de regarder une série comique française – étant donné le niveau de notre humour national (on est bien d’accord qu’on est très, très loin en France de l’humour anglais ou juif new-yorkais, et bien plus près de la lourdeur chinoise ou coréenne en termes de plaisanteries qui ne font rire que nous, hein ?). Qui plus est, tout le monde ne se sent pas concerné par le mal-être des trentenaires actuels, qui est un sujet un peu « mou », appelant souvent des stéréotypes faciles. Sans même parler du fait que la série date déjà de 2016, soit une éternité dans le monde merveilleux des plateformes de streaming. Mais l’on a tous tort, parce qu’"Irresponsable" s’avère une très jolie série française, qui dit des choses justes sur nous, sans trop les surligner – l’un des “maux français”, ça, l’insistance et le manque de finesse – et qui fait rire comme il faut quand il le faut.


Saison 1 :


Débutant par une présentation des personnages et de l’intrigue (un héros qui est une sorte de version XXIème siècle de Gaston Lagaffe, le retour chez maman, les galères, la découverte de la paternité, etc.) très efficace, très bien écrite en fait, la première saison d’Irresponsable met un peu de temps à “prendre ses marques” avant d’atteindre l’excellence. On frôle même la catastrophe avec l’épisode 4 ("la Maman à Benoît") qui flirte dangereusement avec le graveleux national, et avec le 5 ("A la recherche du Jacques perdu"), sans grand intérêt. A ce moment-là, on a peur… mais Frédéric Rosset (et sa co-scénariste Camille Rosset) sait où il va, et nous offre un final éblouissant dans les trois derniers épisodes qui tiennent toutes les promesses de la série.


Saison 2 :


En délaissant à partir de là le registre de la franche comédie, les scénaristes réussissent à creuser les personnages, à les enrichir, et à aller vers une certaine « vérité humaine » qui élève le niveau général d’"Irresponsable". Au centre de la seconde saison se trouve cette fois le personnage de la mère, et ses relations complexes avec son psychiatre / amant, ce qui nous apporte un souffle d’air frais bienvenu par rapport aux gags un peu redondants dus à la fameuse “irresponsabilité” de Julien. A l’inverse, les épisodes tournant autour du dépucelage difficile de Jacques n’échappent pas à la banalité inhérente à ces situations vues et revues des milliers de fois… Si la relation amoureuse entre Julien et Marie semble n’avoir plus grand-chose à nous apporter – un (petit) conflit entre eux promettait un dérapage intéressant vers la haine post-amoureuse, mais est vite résolu dans une ambiance “fleur bleue” décevante ! -, l’introduction du personnage très libre et insaisissable de la nouvelle petite amie de Julien ouvre la série sur une modernité bienvenue, l’éloignant du vaudeville convenu, “à la française”, qui ne nous passionne pas plus que ça. Le final de la saison, avec une petite astuce de narration autour d’une "fête à la maison" (épisodes 8 et 9), et une conclusion littéralement « ravageuse » nous donnent envie de poursuivre l’aventure Irresponsable… Le problème, quand même, c’est qu’on rit beaucoup moins que lors de la première saison !


Saison 3 :


Deux ans se sont écoulés, dans la vie comme dans "Irresponsable", lorsqu’on retrouve Julien, Marie, Jacques et les autres au début de la troisième et dernière saison, et on sent que ce n’est facile pour personne : ni pour les scénaristes, qui rament pour trouver un nouveau sujet, ni pour les acteurs qui sembleront souvent manquer d’enthousiasme au fil d’épisodes qui vont souvent manquer de ce pétillement insaisissable qui fait la bonne comédie… Ni pour les spectateurs qui vont avoir du mal à se passionner autant pour les amours compliqués et réchauffés de Julien et Marie. Bien sûr, il y a dans cette saison finale une idée formidable, qui est de remonter aux sources du « problème » à cette fuite inconcevable du père. De confronter Julien à une sœur inconnue – le plus formidable personnage de la série, interprété par une Allison Chassagne souvent brillante d’étrangeté comme dans "Fin de Chapitre" (épisode 2) ou "la Voisine Cheloue" (épisode 3) – et finalement à son père démissionnaire : malheureusement, les Rosset loupent finalement leur coup, n’osant probablement pas aller trop « près de l’os » en fouillant cette blessure béante de l’abandon et de la lâcheté masculine, et font le choix pas très courageux de nous laisser avec un épisode-bilan ("le Bilan, calmement" – épisode 10) qui tient plus du ressassement que du règlement – pourtant indispensable – de comptes. Et nous abandonnent nous aussi, avec une vague, mais dommageable frustration.


Bien sûr, "Irresponsable", comédie décontractée et contemporaine d’abord sur les aléas de la paternité, puis s’ouvrant sur les traumatismes familiaux à partir de sa seconde saison, nous va bien, quelque part entre du Woody Allen “classique” (la maladresse des hommes, largement incompétents, face à l’insoutenable beauté et force des femmes…) et du Judd Apatow hexagonal (shit, alcool et capotes, le genre, le tout équilibré par un sentimentalisme bien conventionnel). On aime aussi ce joli côté « ligne claire », d’ailleurs annoncé dès le générique, dans l’esthétique d’Irresponsable : cette banlieue parisienne où il semble qu’il fasse toujours beau, où les pavillons comme les immeubles dégagent une sorte de simplicité familière, le choix des couleurs primaires attribuées aux personnages, faisant écho à l’importance de leurs relations, tout cela respire le travail intelligent et soigné, et rappelle occasionnellement – osons la comparaison – l’approche d’un Eric Rohmer.


Mais il est aussi indiscutable que plus de méchanceté nous aurait réjouis, et que la série aurait clairement pu faire beaucoup mieux en termes de “moments de malaise” : tout au long de ses trois saisons, elle restera toujours trop consensuelle, trop gentille même, avec des personnages principaux dont on nous montre malgré tout plutôt les bons côtés, et qui n’ont pas vraiment de part d’ombre. C’est là la grande limite d’une œuvre qui ne s’engage pas assez courageusement dans le labyrinthe des traumas familiaux qui sont pourtant son sujet… mais qui tranche néanmoins très positivement dans le paysage sinistre et sinistré du « rire français »…


Une série qui constitue finalement un remède bienvenu aux affres de la dépression « covidienne » actuelle.


|Critique écrite en 2020]
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EricDebarnot
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le 13 janv. 2020

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Eric BBYoda

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