Jupiter's Legacy
5.4
Jupiter's Legacy

Série Netflix (2021)

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Quand on lu et beaucoup apprécié "Jupiter's Legacy" (et son spin-off "Jupiter's Circle" auquel la série empruntera quelques éléments), la découverte de la première saison de cette adaptation Netflix a de quoi désarçonner, notamment dans ses premiers épisodes. La façon de nous introduire à cet univers est en effet aux antipodes de celle des comics qui avaient ce don de traduire la force de l'ensemble (aussi bien en termes de vision sociétale portée par cette uchronie super-héroïque que des liens entre ses nombreux intervenants tourmentés) à travers seulement quelques phases/pages cherchant toujours le plus fort impact pour aller à l'essentiel et poser au plus vite les pions indispensables à sa -passionnante- intrigue.
Ici, la série reprend bien évidemment les bases de ce monde imaginaire né après la crise de 1929, où quelques individus dotés de super-pouvoirs ont redonné leurs heures de gloire à l'Amérique du XXème siècle par leurs actes de bravoure avant de se heurter aux heures plus sombres de ce début de millénaire remettant en cause leur idéalisme héroïque, mais, plutôt que de rentrer dans le vif du sujet en exploitant les conséquences de ce postulat, elle va préférer s'attarder sur ce dernier en tant que tel au cours de ses huit premiers épisodes qui recouvriront grosso modo à peine un petit quart du premier tome de l'oeuvre de Mark Millar & Frank Quitely. Et on ne peut hélas pas dire que ce parti pris de longue exposition emprunte les meilleurs directions possibles pour séduire son audience, surtout à ses débuts...


Dans le premier épisode, les présentations marquantes des comics avec les différents membres de la dynastie super-héroïque Sampson laissent par exemple la place à un vulgaire dîner familial où les rapports difficiles parents/enfants s'expriment à haute voix avec une écriture digne du plus ordinaire des soap-operas. Chaque rancœur sera ensuite martelée dans des situations répétitives pour bien les imprégner dans l'esprit d'un spectateur que l'on imagine sans doute incapable de les saisir seul. De même, alors que les heures sombres de l'Amérique de 1929 auraient dû se suffire en elles-mêmes pour nous faire comprendre la recherche déterminée d'un nouvel espoir par l'ancienne génération (et jeune à l'époque), la série fait le choix d'y adjoindre une tragédie personnelle, qui accompagnera son héros principal tout au long de son périple dans le passé, afin à nouveau de la surligner et de lui donner un écho simpliste à la dynamique familiale du présent dans une construction en flashbacks (l'ombre paternelle est décidément un problème récurrent chez les Sampson).
Et, si, plus superficiellement, vous comptiez sur "Justice's Legacy" pour vous en mettre plein les yeux à grand renforts de spectaculaire et d'effets spéciaux, le dernier acte du premier épisode risque de vous faire dangereusement tourner de l'oeil tant la laideur des fonds verts se dispute à une bataille visuellement aux fraises que même une série de super-héros made in CW aurait certainement hésité à diffuser en l'état.


Le démarrage de "Jupiter's Legacy" fait donc augurer du pire, suggérant fortement que son approche tient moins d'un réel élan scénaristique recherchant la différence que d'un formatage Netflix où tout est fait pour simplifier l'oeuvre originale dans des codes confortables que l'on retrouve dans bon nombre de propositions de la plateforme.


Cependant, il ne faudra pas s'arrêter à ces premières impressions car, malgré encore bon nombre de maladresses, la série va finalement peu à peu donner du sens à la voie qu'elle a choisie pour se dévoiler sur la durée.
Comme on l'a déjà évoquée, la division de la narration sur deux époques (l'histoire post-1929 et le présent) sera d'abord vue comme un vecteur facile de miroirs générationnels et, plus largement, un moyen de montrer que ces simples mortels puis super-héros sont arrivés à deux tournants de leurs existences où ils vont devoir se redéfinir face à un monde qui les dépasse, mais, dès lors que le dispositif va se coupler à un format d'épisode s'axant principalement sur un personnage en particulier, il va réussir en majorité à installer les fondations intimes de ses protagonistes de manière bien plus intéressante qu'on ne le croyait. Ce sera surtout vrai pour la période post-1929 qui, en plus, de bénéficier d'un côté old-school du film d'aventure sur le mystère en son cœur (bien plus prenant que ce que nous laissait entrevoir les comics pour le coup), va explorer en profondeur le ciment des liens et des doutes de sa bande de futurs héros et donner par-là même bien plus de consistance à leurs alter-egos du présent. Ces flashbacks prendront d'ailleurs le pas en intérêt sur les événements du présent trop souvent dans l'attente des révélations du passé pour prendre une autre ampleur quand ils ne sont pas tirés vers le bas par les faiblesses des aventures de la nouvelle génération (les problèmes de la fille Sampson, Chloé, en sont le pire exemple), le traitement insignifiant de certains seconds rôles ou une nécessaire mais attendue logique de montrer que les super-héros d'hier n'ont plus les armes pour affronter l'Amérique d'aujourd'hui (le Code moral d'Utopian deviendra un outil bien pratique à chaque besoin de l'affirmer).
Malgré ses errements, la construction portera ses fruits en bout de course, cela se vérifiera tout particulièrement avec l'intrigue inédite réservée au personnage de Blackstar, pensée comme le fil rouge contemporain de la saison et dont les rebondissements auront bien du mal à passionner avant qu'à la lumière du reste, son aboutissement apporte une nouvelle lecture à l'objectif de la saison dans la façon d'appréhender le rôle de chacun au sein d'un plan conçu de tout évidence pour le long-terme.


Au-delà de ses imperfections criantes, la première saison de "Jupiter's Legacy" nous laissera avec un échiquier où chacune des pièces est désormais rangée, explicitée sur la fonction qu'elle a à y tenir et prête à entamer l'affrontement bien plus important que nous raconte les comics. En soi, cette première saison est donc un prologue établi par des mains à l'adresse parfois discutable mais qui parviennent à leurs intentions in fine, il faudra toutefois que celles-ci se révèlent bien plus expertes à l'avenir pour être à la hauteur de nos attentes vis-à-vis de cette adaptation.
Espérons que la bêtise d'avoir présenté la série comme une potentielle réponse à "The Boys" dans la guéguerre entre Netflix et Amazon ne lui porte pas trop préjudice en décevant une majorité des spectateurs (elle représente plutôt une troisième alternative originale d'histoire super-héroïque à ranger entre la série d'Eric Kripke et "Invincible" par ses ambitions) car le destin de "Jupiter's Legacy" se jouera clairement dans ses prochaines saisons dont la qualité peut être très grande si elle apprend de ses erreurs de parcours...

RedArrow
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le 10 mai 2021

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