Je m'essaye à Squid Game ces derniers temps... Une série que j'ai longtemps boudé, car elle avait trop une vibe de Kaiji et je me rend compte à quel point j'ai pu me tromper. Elle a ces qualités, puis pour le reste elle s'inspire de Kaiji, tous en étant très loin de l'égaler sur l'originalité des situations et avec une moins bonne gestion de la tension.
Kaiji, c’est un sacré OVNI. À sa sortie, c’était un vrai coup de poing dans l’animation japonaise, un anime laid, criard, pas du tout vendeur… mais captivant comme peu d’autres. Pourtant, à le revoir aujourd’hui, on se dit que ça a sacrément vieilli. Mal, même.
Mais pas au point de l’enterrer.
Ce qui fait la force de Kaiji, c’est son engagement total dans la tension psychologique.
C’est presque clinique, chaque plan, chaque silence, chaque goutte de sueur est là pour étirer ton angoisse. Bizarrement, ça fonctionne toujours, malgré la contrainte de réutilisation de plan qu'on a souvent dans ces vieux mangas. On est pris à la gorge par des jeux pourtant simplistes sur le papier, pierre-feuille-ciseaux, marche sur poutres, tirage de cartes, mais chaque règle devient prétexte à un affrontement mental d’une intensité rare.
À tel point qu’on en arrive à se demander comment ils font pour nous scotcher avec si peu!
Si ça marche, c’est sans doute grâce à Kaiji lui-même. Il n’a rien du héros classique.
Il perd, il doute, il s’énerve, il fait des erreurs grotesques, mais il ne lâche jamais. On suit un mec paumé, piégé par ses dettes, et qui se retrouve à jouer sa vie contre d’autres paumés comme lui. Sa détresse est réelle, ses décisions sont toujours bancales, mais il y a en lui une honnêteté, une obstination presque absurde qui rend chaque victoire précieuse, et chaque défaite bouleversante. C’est un personnage profondément humain, à mille lieues du héros japonais propre sur lui. Il se révèle très vite, via un instinct de survie qui donne envi de le suivre... Autant le dire, le niveau de hype est très fort!
Mention spéciale au narrateur, qui hurle et en rajoute toujours plus... C'est terriblement efficace, presque comme un commentateur sportif qui va parler de vie et de mort!
La grande réussite de la série, c’est aussi ce sous-texte social qui infuse partout. On n’est pas juste dans un thriller à sensations, c’est un monde d’exploitation, de hiérarchies écrasantes, de trahisons ordinaires. Le système est une machine à broyer les faibles, et Kaiji se débat à l’intérieur avec l’énergie du désespoir. Il y a une vraie lucidité sur la cruauté des puissants, sur la solitude face à l’endettement, sur l’illusion de choix dans une société verrouillée. Par moments, Kaiji, c’est presque plus Fight Club que Death Note.
Mais il faut être honnête... Revoir la série aujourd’hui, c’est aussi se confronter à ses limites. Visuellement d’abord, c’est rude. Le character design anguleux et déformé, qui pouvait passer pour du style à l’époque, paraît aujourd’hui fauché et répétitif. Certaines scènes sont recyclées à outrance, les décors sont plats, et l’animation accuse clairement son âge et son budget. Et même si ça participe à l’ambiance glauque, il faut parfois vraiment s’accrocher.
Narrativement, ça patine. Le rythme est volontairement étiré, mais parfois jusqu’à l’absurde. Il y a des monologues internes qui durent des plombes pour une action toute bête, des hésitations qui cassent le souffle, et une répétitivité dans les schémas narratifs... Kaiji découvre un jeu, il panique, il trouve une solution géniale, il échoue presque, puis rebondit.
Ça finit par user.
C'est aussi ce qui fait la force de cet anime, puisque dans son jus de l'époque, il a quand même quelques défauts qui peuvent être vues comme des points forts. Le fait d'étirer certains moments c'est parfois très agréable et rajoute beaucoup à la tension!
Mais! L’absence d’un fil conducteur fort nuit à l’impact global. Ce ne sont que des arcs, plus ou moins liés, et une fois qu’un jeu est fini, on passe à un autre sans vraie évolution des enjeux personnels ou du monde autour. On ne sent pas de montée dramatique progressive, juste une succession de montagnes russes.
Mais malgré tout, j’ai beaucoup d’affection pour Kaiji. Ça reste une série unique, viscérale, qui t’embarque si tu acceptes ses règles. C’est dur, c’est cru, c’est intense, et même si ça a mal vieilli, l’essence est toujours là. Et je pense sincèrement qu’il y a encore plein de spectateurs aujourd’hui qui pourraient tomber sous son charme, à condition de dépasser la forme pour s’attarder sur le fond.
C’est une œuvre à part, imparfaite, mais habitée. Dans le paysage lisse des animés actuels, ça a toujours une valeur énorme.