L'amour est dans le pré
3.1
L'amour est dans le pré

Émission TV M6 (2006)

Si ma mémoire est encore bonne, nous partîmes un jeudi.


J'avais trouvé depuis peu une place de stagiaire à-tout-faire pour le Groupe M6 qui m'avait vu faire le tour des différents secteurs de "la petite chaîne qui monte". En effet, ma polyvalence professionnelle et mon besoin d'argent récurrent m'avait fait accepter ce job mystérieux et pour le moins inhabituel. Au fil du temps, j'étais passé par tous les étages du groupe et avais offert ma bonne volonté aux services des nombreuses stars de la chaîne. J'officiai pour tout et tout le monde. Je rangeais le bureau et repassais les cravates de Stéphane Plaza, Je goûtais les plats pour l’émission de Cyril Lignac - ce qui me valut d'ailleurs une intoxication alimentaire carabinée - , je nettoyais les lunettes graisseuses de Mac Lesguy, je servais également de paillasson et récurais les Timberland beige d'un Bernard de la Villardière rentrant vidé de ses reportages sur la prostitution dans quelque pays Sud-Américain.
Un travail laborieux et mal payé que j'exécutais bien malgré moi pour régler les nombreuses factures qui s’amoncelaient sur ma table de salon.
C'est dans la laverie de la chaîne au sous-sol du bâtiment tandis que je finissais de laver à la main - et à l'eau de Javel - les slips du chef Etchebest que le téléphone sonna et que mon responsable m'annonça d'une voix blasée ma prochaine affectation.
Un manque de personnel, quelques arrêts-maladies et hop ! Me voilà embauché pour tenir la caméra de l'un des programmes-phare de la chaîne: L'Amour est dans le pré.
Je devais en effet m'improviser cadreur professionnel pour la réalisation des interviews de ces agriculteurs en manque d'amour par la sublime Karine Le Marchand. J'objectai à mon responsable mon ignorance et ma probable incapacité à manier une caméra de manière convenable; ce à quoi il répondit, dédaigneux: " - Pour filmer trois bouseux en plan fixe au fin fond du Poitou te racontant leur misère sexuelle, pas besoin d'être Kubrick ! "
Je me résolus à l'idée pensant qu'effectivement ce ne devait pas être bien compliqué et me rendis sur le champ, en emportant quelques affaires, dans les bureaux luxueux de la production de l'émission.


Un monospace rutilant et floqué au titre de l'émission nous attendait gentiment à la sortie du débrief' de la prod'. Je devais en effet prendre le volant et transporter vers la ruralité mademoiselle Le Marchand et deux prétendantes à l'amour champêtre, aussi vulgaire que mal habillées, que la production venait de "caster" à l'instant.


Nous nous mîmes en route dès que Karine Le Marchand, avec quelque retard, pris place une moue boudeuse aux coins des lèvres à l'arrière du véhicule. L'animatrice était accompagnée de deux femmes beaucoup trop maquillées pour être belles et dont les fragrances bon marché dont elles s'étaient abondamment aspergées envahissaient l'habitacle du véhicule.
Commencèrent alors les présentations tandis que nous quittions Paris et sa banlieue pour le sauvage Limousin. Les deux dames expliquaient à une Karine Le Marchand lasse, pianotant sur son portable en les regardant de temps en temps par dessus ses lunettes Gucci, leurs attentes et autres raisons pour lesquelles elles s'étaient lancées dans cette aventure amoureuse.
La plus jeune d'abord: Brenda. 26 ans, passionnée de vidéos-beauté sur YouTube, de Benjamin Castaldi et vegan enragée (excepté pour les côtes d'agneau et les rillettes du Mans dont elle raffole). La jeune Lilloise souvent déçue par les hommes expliqua à Karine qu'elle comptait bien oublier ses mésaventures amoureuses et enfin se projeter vers l'avenir avec un de ces hommes de la terre aux mains caleuses et aux bourses pleines.
Notre deuxième candidate portait le doux patronyme de Josiane. Notre jeune quinquagénaire divorcée de son cinquième mari, grande amatrice de télé-réalité et cliente assidue, connue - et reconnue - des plus grandes boîtes libertines du Cap d'Agde, souhaitait avec l'émission mettre un terme définitif à son célibat et trouver un homme suffisamment rétrograde - ou sans connexion internet - pour ignorer sa carrière dans le porno amateur Languedocien. Les deux prétendantes avaient en effet des arguments imparables pour participer au show télévisé d'M6.
Karine Le Marchand acquiesçait nonchalamment d'un hochement de tête en regardant par la fenêtre tandis que je dépassai la grande ceinture Parisienne et que les premières traces de verdure apparaissaient derrière les rambardes d'autoroutes.
Après les argumentaires publicitaires des deux prétendantes sur leurs propres mérites, Karine fit brièvement le topo sur l'agriculteur-éleveur que les deux femmes allaient rencontrer dans quelques heures.
Notre homme se nommait Raymond. Le candidat était un pur produit de la région du Limousin. Né dans une bourgade de 26 âmes au fin fond de la Creuse, l'homme s'était spécialisé dans la vache et les bêtes à viande plus précisément. Un peu de fruits, un peu de légumes, du fourrage, un domaine de 600 hectares perdu en pleine campagne. Un isolement total qui avait fini de persuader notre brave paysan de faire appel à la fée Le Marchand pour trouver l'âme soeur tant espérée.
Les deux prétendantes bien à l'aise dans le monospace regardaient sur une tablette tactile la vidéo de présentation de l'ami Raymond. L'homme était massif; une stature imposante se dessinait en contre-jour dans ce qui semblait être une salle d'abattage. Une voix froide, gutturale, au fort accent du terroir mais dans un Français impeccable exposait les motivations et les espoirs de sa démarche télévisuelle.
Le visage, dans l'ombre, ne laissait apparaître que l'éclat blanchâtre de dents tordues et cassées qui perçait les ténèbres dans un sourire vicieux, lâchant de temps en temps un rire grave et éraillé dès qu'il en venait à parler de Karine Le Marchand.
Les deux femmes posèrent la tablette sur la banquette en se regardant un peu inquiètes. Raymond n'avait hélas pas fait l'unanimité dans le coeur des deux prétendantes et avait même laissé un léger froid dans l'habitacle surchauffé.


Le soleil était pourtant du voyage nous accompagnant sur les petites routes pittoresques de notre douce France au son des piaillements amusés de ces dames à l'arrière. Je pris la sortie d'autoroute indiquée sur le GPS et me retrouvai après quelques kilomètres au beau milieu de champs cultivés et de chemins cabossés. Tout était vert autour de nous. Les routes de campagne étroites étaient boueuses et rendaient le sol glissant. Quelques nuages gris et épais venaient gêner le radieux soleil qui nous suivait pourtant depuis le départ et ternissaient insensiblement la bonne ambiance qui régnait dans la voiture. À l'arrière le silence s'était fait. Les dames ne parlaient plus et regardaient le spectacle étrange des corbeaux tournoyant au dessus de nos têtes. Je roulai prudemment sur ces chemins glissants, l'oeil rivé sur mon unique boussole: Le GPS.
Mais plus le monospace s'enfonçait dans les terres, plus le GPS semblait avoir des ratés. Jusqu'à ce qu'au détour d'un croisement posé entre d'immenses platanes, la flèche bleue nous représentant sur cette carte électronique disparut soudainement de l'écran.
Nous étions perdus !
Je stoppai la voiture. Les filles à l'arrière se regardaient, regardaient leur portable: Rien !
Plus de réseau, plus de GPS, plus de modernité rassurante, RIEN ! Les esprits commençaient à s'échauffer, Mademoiselle Le Marchand elle-même piétinait d'impatience en me regardant d'un oeil noir.
Avant que mon routeur ne se fasse la malle j'avais tout de même remarqué que le point rouge représentant la ferme de Raymond était proche. Je tournai sur moi-même, la main devant les yeux regardant au loin si quelque chose ressemblait à une habitation. Au milieu de ces champs ras à perte de vue, de ces quelques arbres nus plantés dans ce paysage dorénavant totalement gris, une forme se dessinait derrière un talus; une faible lueur jaunâtre au loin irisait cette fin d'après-midi.


Les filles sautèrent de joie à la vue de cette lumière salvatrice. En effet, cela semblait bien être le doux foyer de l'ami Raymond qui brillait comme l'espoir dans la nuit. Nous grimpâmes dans la voiture et fonçâmes comme un seul homme vers la civilisation. Au bout de quelques minutes nous arrivions devant l'exploitation du candidat et sortîmes du monospace soulagés. Nous allâmes devant la porte d'entrée de la maison à côté de la grange et sonnâmes. Rien !
Nous nous regardâmes un peu anxieux et tambourinâmes à la porte vitrée. Toujours rien !
Nous nous dirigeâmes alors vers la grange où la faible lueur vacillait encore. Karine Le Marchand appelait: - Raymond ! Raymond !
Pas de réponse !
- Allons voir dans cette grange puante s'il y a âme qui vive, bordel ! râlait Karine en se dirigeant d'un pas décidé vers la grange.
Nous rentrâmes tout les quatre dans le bâtiment en criant pour attirer l'attention et tenter d'avertir l'habitant de notre présence.
- Raymond ! Raymond ! Raymond ! Personne ne répondait.
Soudain derrière nous un fracas métallique sec comme le couperet d'une guillotine résonna violemment à nos oreilles. Une pièce d'acier d'une taille colossale vint s'abattre devant la porte de la grange, puis sur le mur d'en face; des plaques de métal tombèrent lourdement au sol couvrant également les murs latéraux nous laissant prisonnier d'un gigantesque cube de métal . Des barres de néon vibrèrent bruyamment puis se mirent à luire, inondant la pièce d'une lumière blanchâtre agressive.
Nous étions abasourdis, saisis par la surprise, immobilisés par une peur terrible. Nous étions prisonniers d'une cellule d'acier planté au milieu d'une grange en pays Limousin, piégés comme des lapins dans un filet construit par la main d'un homme bien décidé à capturer sa proie. Nous nous regardions, silencieux, tétanisés, jusqu'à ce que Brenda se mette à hurler en réalisant l'absurdité de la situation et en remarquant un " Bonjour Mesdames, voulez-vous jouer à un jeu avec moi ? " écrit en rouge-sang sur le mur d'en face.
Un grésillement strident nous sortit de notre torpeur et nous fit reprendre nos esprits. Un rire vicieux et gras comme un confit d'oie, sentant bon le pinard premier prix et la Gitane Maïs, jaillit d'une enceinte balafrée accrochée à quelques mètres au-dessus de nous.
Ce fut un grognement rauque, suivit d'une toux glaireuse, qui nous accueillirent dans ce drôle de jeu. Puis une voix, grave, caverneuse, au fort accent du terroir retentit............Raymond ! ! !



  • Voulez-vous jouer avec moi ? grésilla violemment dans le baffle la voix du maître des lieux.
    Les dames se mirent à hurler de plus belle en tambourinant sur les parois métalliques de la grange.

  • Hurler ne vous fera pas sortir d'ici mesdames. Nous allons jouer à un jeu maintenant, dit la voix dans l'enceinte.
    Les néons vibrèrent dans la pièce. Nous nous regardions interloqués, sans réactions, lorsque soudain par une bouche d'aération au-dessus de nous, un gaz verdâtre s'échappa et commença à flotter lourdement dans la grange.
    Quand j'ouvris les yeux, ma vue était troublée et le sang me battait les tempes. Mon poignet était menotté et j'étais accroché à une poutrelle métallique près de quelques outils des champs qui trônaient sur un râtelier rouillé. Dans le brouillard qui flottait devant mes yeux, j'entrevoyais des ombres étranges; des ombres et des reflets argentés. Des cris aussi. Avec un grand effort je parvenais à fixer mon regard sur le centre de la pièce et discernais les trois femmes qui m'accompagnait, assises et attachées sur des sièges en métal, avec sur la tête ce qui me semblait être une sorte de casque de scaphandrier.
    La voix de Raymond résonna à nouveau dans le baffle.

  • Vous semblez aimer la campagne mesdames ? Vous voulez épouser un paysan ? Prendre part à la vie des champs et régner sur un domaine de plusieurs hectares ? Vous souhaitez devenir la bonne bourgeoise de province accrochée au bras de son Gentleman-farmer ? N'est-ce pas ?
    Mais avant ça mesdames, avant le fantasme doré à l'or fin du Crésus, il va falloir me démontrer que vous êtes en capacité de vivre à la campagne. Avant de jouer à la bourgeoise rurale, de transformer ces hectares de verdure à labourer en liasses de billets à dépenser, il va falloir me prouver que vous êtes faites pour la ruralité, que vous êtes faites pour MOI !"

  • Et moi, BORDEL ? Qu'est ce que je fous là ? se mit à hurler Karine Le Marchand. J'en ai rien à foutre des bouseux, moi. Détachez-moi tout de suite !

  • Au contraire Karine, tu as toute ta place parmi ces prétendantes. Depuis toutes ces années où tu vends de l'espoir à ces dames et des chagrins d'amour à ces messieurs à qui ils ne manquaient que ça. Tu vas devenir une vraie petite paysanne mademoiselle Le Marchand !
    Place au jeu !
    CLANG ! Les casques de scaphandrier se verrouillèrent seuls et tout un mécanisme se mit en branle dans une cacophonie métallique effrayante. Les tuyaux de caoutchouc reliés aux casques commençaient à enfler, à se gorger d'une bouillie blanchâtre et à remplir doucement les casques de métal.

  • Putain, mais qu'est ce que c'est que cette merde ? ça pue ce truc. On dirait du putain de fromage de chèvre ! SORTEZ MOI DE LÀ ! ! hurlait l'animatrice d'M6.
    En effet c'était du lait de brebis en pleine coagulation qui coulait, dégoulinant, dans les masques de scaphandriers de ces dames. La brousse coulait, inexorable, et commençait à emplir le bas du casque. Le fromage montait et ces dames étaient obligées de laper le plus rapidement possible ce caillé de brebis pour ne pas mourir étouffées. Karine compris rapidement le stratagème, cessa d'hurler et avala à grandes gorgées la brousse tiède. Josiane grâce à son entraînement dans les boîtes libertines du Cap d'Agde avala à vive allure le fromage en coagulation et resta à niveau à la faveur d'une grande maîtrise de la gorge profonde. Brenda de son côté, paniquée par la situation, tremblait de tout son corps se laissant submerger par le fromage liquide. Le brebis montait insensiblement sur les parois du casque de la Lilloise et commençait à lui masquer la bouche; puis le nez. Ses bras s'agitèrent de gestes désespérés. Quelques secousses violentes secouèrent le corps de Brenda une dernière fois, La tête de la jolie blonde tomba subitement sur le côté, puis plus rien. Plus un geste.
    Les casques des deux autres femmes se désenclenchèrent alors, laissant couler le caillé de brebis au sol. Les deux prisonnières se mirent à hurler de terreur en voyant le corps inerte de Brenda.
    Les enceintes grésillèrent: - Fromage de brebis 100% biologique mesdames! Pas d'additifs, ni conservateurs. Une agriculture saine. Bien loin de ces industries agroalimentaire néfastes, n'est-ce pas mesdames ? Et pourtant !

  • Sortez-moi d'ici, bordel ! hurla Karine Le Marchand la bouche encore pleine de fromage blanc. AU SECOURS !

  • Rien ne sert de crier Mademoiselle Le Marchand. Ils ne vous entendent pas. Ils sont bien loin de la campagne, vos chers amis.
    Une fumée épaisse surgit à nouveau de la bouche d'aération au dessus de nous, nous plongeant à nouveau et en l'espace de quelques secondes dans un coma artificiel profond.


À notre réveil, le corps de Brenda avait disparu, le sol nettoyé des résidus glaireux du fromage de brebis caillé et les deux femmes débarrassées des lourds casques de scaphandriers.
Les cheveux encore maculés de brousse, Karine Le Marchand et Josiane émergeaient difficilement de ce coma chimique en clignant lentement des yeux, tentant de fixer leur regard sur l'énorme machinerie en face d'elle. Toujours attaché à mon pylône, j'essayais vainement de me libérer et d'aider ces dames totalement prises au piège de Raymond.
- Vous voilà désormais en tête-à-tête mesdames. Comment un fromage de brebis si sain, si naturel, a pu tuer l'une d'entre vous, tandis que que les kilos de fromage à burger et autres viandes sous cellophane ne vous filent pas même un début d'allergie ? Elle était pourtant si jolie notre Brenda; son corps splendide désormais en putréfaction n'aura pas même l'honneur de nourrir mes porcs, ni d'enrichir par ses oligo-éléments gavés de graisse saturée et de conservateurs chimiques mes plants de tomates. Mais trêve de sentiments. Juste en face de vous, mesdames, cette énorme machine pleine de dents acérées et de mécanismes complexes est une machine à saucisse des plus innovantes. Ce bijou de technologie cumule les nombreuses phases de la fabrication de la saucisse. Poussoir, hachoir, tranchage et mise en boyaux, toutes les étapes de la fabrication en une seule et même machine. À l’intérieur de cette machinerie aux engrenages bien huilés, se trouve votre porte de sortie. En effet dans ces dizaines de kilos de chair à saucisse se trouve la clé qui ouvrira le lien de votre main prisonnière. Prisonnière de ce trancheur de saucisson mécanique. Ce trancheur est programmé pour laisser tomber sa guillotine au bout de trois petites minutes et séparer votre jolie mimine de votre bras.
3 minutes mesdames ! Vous avez 3 minutes pour fouiller cette farce dans la turbine et trouver votre délivrance...
...CHERCHEZ !
Les deux femmes plongèrent leur main droite dans la cuve et commencèrent à draguer la farce vigoureusement pour trouver la clé en évitant tant bien que mal la turbine aux lames acérées. Karine Le Marchand malaxait la farce en riant nerveusement tandis que Josiane en pleine crise de tétanie plongeait vigoureusement sa main en pilonnant à grand coup de poing la viande hachée pour trouver enfin sa liberté.
- Je l'ai ! Je touche quelque chose ! Je l'ai putain ! AAAaaaaarrgh ! !
Josiane hurla de douleur. Elle retira violemment sa main encore prise dans les dents de la turbine arrachant lambeaux de peau et morceaux de tendons encore collés à la machine. La pauvresse sortit sa main tant bien que mal, cette main qui pendait encore - on ne sait comment - à son moignon par quelques veines et nerfs distendus tenait entre ses doigts ce qui semblait être une clé. Une clé sanguinolente collée entre son index et son majeur par un amas visqueux de sang et de hachis de porc balançait sur cette main pendante encore accrochée à un bras d'où jaillissait des flots de sang ininterrompus.
Karine Le Marchand surprise par les hurlements de Josiane, regardait avec effarement la cinquantenaire s'agiter et aperçut dans cette main déchiquetée les reflets d'argent de la clé salvatrice. L'animatrice se jeta sur la main de Josiane, arracha la clé d'un coup sec terminant ainsi de déchirer les reste de veines et tendons encore accrochés à cette main branlante. Josiane beugla à la mort quand elle vit sa main définitivement séparée de son corps. Le Marchand s'empara de la clé et tremblante, essayait d'ouvrir la serrure où sa main gauche était piégée.
Clac ! La serrure s'ouvrit. Karine Le Marchand restait désemparée, ne sachant que faire, ni où aller, nous regardant à tour de rôle Josiane et moi. Josiane en pleurs se mit alors à appeler Karine pour qu'elle vienne l'aider à sortir sa main de ce piège maudit. Le bruit strident, métallique, répétitif de la turbine continuait à emplir la salle des tortures rajoutant le bruit à l'odeur.
- KARINE ! KAARIIINE ! hurlait la cinquantenaire ensanglantée. Karine Le Marchand regarda Josiane, me regarda, esquissa un rictus ironique et s'enfuit vers la porte de sortie métallique qui se déverrouilla dans un grand bruit de ferraille rouillée. L'animatrice jeta un dernier regard vers nous et se mit à courir vers les champs immenses en face d'elle.
Une minuterie se mit soudain à sonner. Josiane et moi restions figés, sans un geste, nos regards se croisèrent un instant quand en l'espace d'une seconde la guillotine s'abattit violemment sur la main piégée de la pauvre Josiane. Un cri bref, puis un geyser de sang gigantesque se mit à arroser tout autour de lui, aspergeant d'hémoglobine chaude le hachis de porc artisanal, mon visage et jusqu'aux enceintes accrochées à trois mètres de hauteur. La deuxième main coupée de Josiane tomba dans la cuve; elle tituba doucement en regardant fixement son moignon ensanglanté avant de suivre sa main gauche au fond de la citerne en inox; toutes les deux aspirées par la turbine métallique dans un grand bruit de viande broyée et d'os brisés.
Je restai abasourdi, les cheveux dégoulinants de sang frais qui me coulait dans les yeux, la mâchoire inférieure prise de tremblements incontrôlés, quand la voix de Raymond résonna dans les enceintes:
- Le jeu est terminé ! Il n'y aura pas de gagnant cette fois-ci. Tant pis pour elles.
La porte s'ouvrit et je vis sortir dans un halo de lumière blanche l'immense carcasse de Raymond que j'avais pu deviner sur sa vidéo de présentation. L'homme s'approcha de moi doucement et ôta mes menottes avec le plus grand soin, il m'aida à me relever et je vis un sourire derrière ses moustaches tombantes. Il mit mon bras autour de son cou et m'assista pour sortir de cette salle des tortures. On entra dans son logis, une habitation rustique mais propre et sentant bon les aromates du jardin. Il me posa dans un vieux fauteuil en velours et vint s'assoir en face de moi, les bras croisés.
- Comment tu t'appelles ?
- Ze...Ze Big Nowhere. Mais...mais...Pourquoi ? Qu'est ce qu'on vous a fait ?
- Oh toi rien mon jeune ami. Rien du tout. Mais les dames que tu transportait si innocemment m'ont fait beaucoup de mal, ont fait beaucoup de mal à l'agriculture de ce pays.
- De qu..quoi ?
- Savais-tu mon cher ami que ces trois femmes se connaissaient bien avant votre première rencontre dans les locaux d'M6 ?
Savais-tu que toutes ces belles émissions sur notre belle France et ses charmants agriculteurs n'étaient qu'une entreprise visant à anéantir notre belle paysannerie et ses produits de choix ?
- Qu...?
- Mais oui jeune homme ! La douce et si conciliante Karine Le Marchand n'est pas que l'animatrice-vedette de la sixième chaîne, elle travaille en sous-main pour la firme de biotechnologies agricoles américaine: Monsanto.
- MONSANTO !
- Exactement ! La belle Karine sous couvert d'affabilités en tout genres, de grands sourires ultra-brite et avec l'aide de femmes grassement payées par la firme pour séduire les coeurs faibles et isolés de nos agriculteurs, viennent saper leur moral et leurs espoirs de vie à deux. Elles annihilent leur ferveur amoureuse en les rejetant plus ou moins gentiment semant dépression et idées noires sur le terrain fertile de leur pauvre âme naïve et déboussolée. Des harpies payées par des pollueurs internationaux pour réaliser le grand remplacement des légumes sains en terre saine par des légumes génétiquement modifiés qui poussent dans des barquettes en plastique ou les volailles de plein air par des poules a huit cuisses et six filets tellement plus rentables. Ces femmes utilisaient l'innocence amoureuse de ces paysans isolés, choisissant exclusivement les producteurs et éleveurs bio, pour anéantir en même temps que l'amour qu'ils avaient à offrir, toute une agriculture raisonnée et responsable. Une entreprise de démolition du bien-vivre et bien-manger par le biais d'une émission-télé bien pensante et propre sur elle. Un coup de génie pour les pontes de cette agroalimentation expérimentale. Un joli sourire de Karine Le Marchand et hop un suicide paysan de plus; et au mieux les deux tombent vraiment amoureux, la prétendante dit s'ennuyer ferme à la cambrousse et fait vendre la propriété pour une bouchée de pain à un prête-nom de la firme Monsanto. Ils gagnent à tout les coups.
... Sauf cette fois-ci !
Je restai assis, pétrifié dans mon fauteuil par cette découverte incroyable. "L'Amour est dans le Pré", une vaste opération de destruction de l'agriculture biologique et bio-dynamique Française. Karine Le Marchand, une Lucrece Borgia empoisonnant l'âme de ces hommes rudes au coeur faible.
Bordel, quelle histoire !
- Venez avec moi mon jeune ami, nous allons nous restaurer un peu avant que je ne vous rende à la civilisation dit-il en riant fort.
Nous pénétrâmes dans une pièce immense qui semblait être sa salle à manger. Sur une grande table de bois étaient étalés les bons produits fermier qui font l'honneur et la réputation de nos campagnes: Terrine de lièvre, saucisson, rillettes de porc, jambon sec entier, une immense miche de pain de campagne avec un opinel planté dedans, des fruits secs et du vin de toutes les couleurs.
Je m'asseyais et me jetait comme un seul homme sur les bijoux de notre gastronomie nationale. Levant les yeux pour me servir à nouveau une lampée d'un Madiran bien râpeux à la robe presque noire, je vis au mur, en face de moi, au dessus de la cheminée de pierre, des têtes humaines exposés comme des trophées de chasse. Je me figeai instantanément, laissant tomber mon verre de vin sur la table.
- Vous regardez ma collection ? Effectivement ma survie n'a pas démarré avec mademoiselle Le Marchand mon jeune ami. C'est le résultat d'une longue lutte. Mon mur des trophées s'est enrichi au fil des années. Que du beau linge ! D'anciens ministres de l'agriculture, d'anciens présidents ou secrétaires de la FNSEA et quelques députés d'Europe Ecologie Les Verts viennent garnir ma collection insolite. J'ai même réussi à scalper les moustaches de José Bové dit-il dans un éclat de rire.
Je tremblai de tout mon être et pensai soudain à mademoiselle Le Marchand.
- Et Karine ? Elle s'en est tirée ? Elle s'est échappée ?
- Regardez donc !
Je me précipitai vers la fenêtre et vis au milieu d'un immense champ désert, sur un piquet, un épouvantail coiffé d'un grand chapeau de toile et aux manches garnies de paille.
- Qu'est-ce...que c'est ?
- Regardez mieux mon jeune ami.
- Mais...mais !"
En regardant mieux, je vis au pied de l'épouvantail une mare de sang et quelques gouttes qui coulaient encore, brouillant par petits cercles réguliers le miroir rouge sang maculant le sol. Je regardai complètement tétanisé l'épouvantail ne voulant pas comprendre, n'osant pas y croire; quand une bourrasque de vent soudaine vint emporter le chapeau de l'homme de paille au loin et laissa apparaître le visage éteint de Karine Le Marchand. Je poussai un cri et reculai en fixant le corps sans vie de l'animatrice d'M6.
- Un bien joli épouvantail, parfait pour les oiseaux de mauvais augure, non ? Ah ah ah ah !
Elle aura une place de choix sur mon mur des trophées. C'est donc moi le nouvel et ULTIME gagnant de "L'Amour est dans le pré".
Raymond se mit à rire frénétiquement en me tapant sur l'épaule.
Je fixai l'horizon encore quelques secondes et m'écroulai à terre comme un sac.


Raymond avait raison. Il venait en quelque sorte de gagner le jeu. Effectivement, son Bonheur gisait sur le pré.

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le 7 janv. 2020

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